De plus en plus d’études montrent les effets délétères du vacarme provenant des activités humaines sur les poissons et les mammifères marins. Des chercheurs québécois se penchent maintenant sur l’impact du bruit sur les invertébrés marins, notamment les homards et les moules.

Baleines échouées après avoir entendu un sonar

Les premières indications que le bruit nuit aux animaux marins sont venues au passage de sous-marins militaires. « On a commencé à voir, il y a quelques décennies, des échouages de baleines peu après des manœuvres et des tests militaires. Les sonars militaires sont très puissants », explique Pierre Cauchy, spécialiste d’acoustique marine à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER). « Ç’a été confirmé il y a une vingtaine d’années. On a adapté les façons de faire pour protéger les baleines. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA NOAA

Une baleine de cuvier échouée à Guam après des manœuvres militaires sous-marines

Depuis, des études ont montré que poissons et calmars peuvent aussi être affectés. « On parle de sources de bruit très fortes, qui font des ondes de choc comme des explosions. Le son est tellement fort et proche que les animaux sont tués quasiment instantanément. Les mammifères ont des tympans un peu comme les nôtres. Tous les organes des poissons n’ont pas la même densité. La vessie natatoire, par exemple, peut éclater. Mais on parle de cas extrêmes. »

Un plan de réduction des impacts du bruit marin publié en 2016 par l’Administration océanique et aéronautique nationale des États-Unis (NOAA) précise que le degré de gonflement des vessies natatoires des poissons influence leur taux de survie après ces bruits très élevés, qui peuvent dépasser 200 décibels.

Difficulté à communiquer

Ces dernières années, les recherches ont porté sur d’autres effets du bruit sous-marin. « Est-ce que les moteurs des bateaux chassent la faune marine de certains endroits, ou nuisent à la communication entre les animaux ? demande M. Cauchy. On sait, par exemple, que les espèces de baleines qui communiquent entre elles à des centaines de kilomètres de distance ont une capacité réduite [à des dizaines de kilomètres] quand il y a beaucoup de bruit de bateaux. »

« L’été prochain, une communauté du Nunavut, Baker’s Lake, nous a demandé de vérifier si les navires qui sont plus fréquents à cause d’un projet minier ont fait fuir certains types de poissons, comme le rapportent des pêcheurs, indique le spécialiste d’acoustique marine. Ces études sont plus difficiles à faire que celles sur les bruits extrêmes, parce qu’on parle de productivité marine et de taux de reproduction, des variables qui sont influencées par une foule de facteurs. »

Pistes de solution

Les recherches sur les bruits extrêmes ont déjà mené à des améliorations des pratiques marines, selon M. Cauchy. « Par exemple, pour les explorations sismiques sous-marines ou alors l’installation des pylônes, on peut commencer par émettre des bruits moins forts dans l’espoir que les mammifères s’éloignent, et peut-être aussi les poissons. Pour les navires, on peut évidemment diminuer la vitesse, mais ça peut avoir des impacts économiques. La voie maritime du Saint-Laurent, par exemple, est vitale pour l’Amérique du Nord. » Le plan d’action de protection du béluga, publié en 2019 par Pêches et Océans Canada, propose notamment d’altérer les horaires des navires pour protéger certaines périodes des journées et de l’année.

Homards plus agressifs

À l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), le biologiste Réjean Tremblay a mis au point le « larvosonic », un bassin spécialement aménagé pour tester l’impact du bruit sur les larves. « Les larves de moules flottent au début de leur vie et se nourrissent de plancton, dit M. Tremblay. À un certain point, elles se fixent aux rochers. Il semble qu’elles se fient au bruit ambiant pour voir si elles sont assez proches des côtes et décider de se fixer. Le bruit des navires peut les affecter. »

  • Des larves de moules sur les cordes qui forment le substrat du larvoscope de l’ISMER

    PHOTO FOURNIE PAR RÉJEAN TREMBLAY

    Des larves de moules sur les cordes qui forment le substrat du larvoscope de l’ISMER

  • Le larvoscope de l’ISMER

    PHOTO FOURNIE PAR RÉJEAN TREMBLAY

    Le larvoscope de l’ISMER

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D’autres études ont montré que le bruit rend les homards plus agressifs. « Les homards dominants font du bruit et les autres doivent reproduire le bruit pour montrer leur soumission, dit M. Tremblay. Si des navires empêchent les homards dominants d’entendre les autres, ils peuvent penser qu’ils ont de la compétition et devenir agressifs pour défendre leur place. » L’appareil auditif du homard serait la toison de poils sur ses pattes, ce qui reste à confirmer.

Grâce à des hydrophones installés à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Sept-Îles, M. Tremblay termine un ambitieux projet d’étude de l’impact du bruit sur les invertébrés avec des collègues français. Les animaux étudiés seront ensuite caractérisés à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), au laboratoire de biologie d’Isabelle Marcotte.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UQAR

Un hydrophone installé à Saint-Pierre-et-Miquelon

« On veut évaluer le stress créé par le bruit sur le plan biochimique, dit Mme Marcotte. On s’est concentrés sur des espèces qui ont des valeurs économiques : les moules, les huîtres, les homards, les crabes. L’industrie des moules de l’Île-du-Prince-Édouard, qui est responsable des trois quarts de la production au Canada, est très intéressée par nos travaux. Ça pourrait aider à diriger les moules vers les sites d’aquaculture où on veut qu’elles se fixent. »

Les congrès sur les bruits marins incluent depuis quelques années des séances sur les invertébrés. À Dublin en 2016, des chercheurs ont montré qu’en présence de bruit, certaines espèces de mollusques se cachent dans le sable, ce qui compromet leur capacité à se nourrir et à se reproduire. Les bernard-l’hermite peuvent penser qu’un bruit de bateau signifie que leur coquille est endommagée, ce qui les amène à s’en extirper pour l’examiner, une action qui les rend vulnérables aux prédateurs, a indiqué un conférencier.

Bruyante construction d’éoliennes

PHOTO PHIL NOBLE, ARCHIVES REUTERS

La construction d’éoliennes en mer fait énormément de bruit.

Un autre projet de M. Tremblay, de l’UQAR, porte sur la construction d’éoliennes en mer. Pour enfoncer les structures qui les soutiennent, de puissants coups de masse sont nécessaires – ce qui fait énormément de bruit. Les larves de pétoncle grandissent plus vite en présence de ce bruit, mais les effets de cette maturation hâtive ne sont pas clairs – et on ne sait pas s’ils sont positifs ou négatifs. « Nous réalisons présentement des expériences sur le terrain pour confirmer les observations obtenues en laboratoire et démontrer les conséquences sur les post-larves et juvéniles, par la suite », dit M. Tremblay.

Atlas et Mars

M. Cauchy travaille sur le projet Mars (Station de recherche acoustique marine), un projet de caractérisation du bruit des navires individuels. « On veut comprendre les caractéristiques associées au bruit, dit M. Cauchy. Est-ce que des moteurs électriques sont la solution, ou alors des changements au design des navires ou des hélices ? » Atlas, un autre projet de l’ISMER, compte créer une carte 3D du bruit – ambiant et d’origine humaine – partout dans le fleuve Saint-Laurent. « Mars et Altas ensemble vont nous permettre de vraiment améliorer la situation pour la faune, en tenant compte des réalités économiques », dit M. Cauchy. Mars, qui comprend quatre antennes sous-marines avec chacune trois hydrophones, en plus des équipements à bord des navires, implique aussi le centre de recherche appliquée Innovation maritime (IMAR).

Une version précédente de cet article indiquait erronément que Mars comprend quatre hydrophones, que M.Cauchy dirige le projet Mars et que l'IMAR fait partie de l'UQAR.

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    Augmentation des bruits émis par les homards, en présence de bruit de navires
    SOURCE : MARINE Pollution bulletin