Après plus d’une centaine de tentatives infructueuses en un demi-siècle, un vaccin efficace contre la malaria semble à portée de la main. En septembre, un vaccin britannique a affiché une efficacité de 80 %. Et les succès de la lutte contre la COVID-19 pourraient rendre possibles d’autres traitements et prophylaxies.

L’a b c de la malaria…

Le paludisme, ou malaria, est causé par un parasite, le plasmodium, qui est transmis par un moustique. Même si la maladie est une plaie depuis l’Égypte des pharaons, ce n’est qu’en 1880 qu’un Français a identifié le plasmodium, en Algérie. Peu après, en Inde, un médecin britannique a prouvé que le vecteur du paludisme était le moustique. L’invention par un Suisse du DDT en 1939 a permis l’éradication de la malaria dans plusieurs pays riches, notamment les États-Unis en 1951. Mais le DDT est jugé trop toxique et l’éradication aujourd’hui est plus compliquée.

… et sa géographie

La Chine est parvenue en 2021 à éradiquer le paludisme, et il pourrait disparaître de l’Asie d’ici quelques années, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais une espèce asiatique de moustique a fait son apparition en Afrique, ce qui pourrait être catastrophique parce que cette espèce vit dans les villes, contrairement aux vecteurs africains traditionnels qui préfèrent les campagnes. À noter, ce sont les conquistadors qui ont transporté en Amérique latine la malaria, ont découvert des généticiens du Collège universitaire de Londres. Le paludisme, qui fait un million de victimes et un demi-millier de morts chaque année dans les Amériques, n’y existait pas avant le XVIe siècle, écrivaient-ils en 2019 dans la revue Molecular Biology and Evolution.

Hépatite

Le vaccin R21, dont les résultats d’essais cliniques de phase II ont été publiés en septembre dans le Lancet, utilise un virus inoffensif d’hépatite comme vecteur pour entraîner le système immunitaire humain à réagir aux protéines paludiques. « On agit dès le début de l’infection », explique Halidou Tinto, de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) du Burkina Faso, qui est parmi les coauteurs de l’étude du Lancet.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’IRSS

Halidou Tinto, de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) du Burkina Faso

Le Mosquirix, seul vaccin antipaludique approuvé depuis l’an dernier, n’a qu’une efficacité de 40 %, deux fois moins que le R21. La phase III des essais cliniques du R21 est en cours. « Si tout va bien, je pense que l’approbation pourrait être rapide, peut-être même d’ici la fin de 2023. » Le R21 est en préparation depuis 2010 et est testé depuis 2015.

L’autre vaccin

Le Mosquirix est aussi un vaccin dont le vecteur est le virus de l’hépatite. « La grande différence, c’est qu’on exprime beaucoup plus la protéine du parasite à la surface du vaccin », explique Katie Ewer, de l’Université Oxford, qui est parmi les coauteurs de l’étude du Lancet. « Alors le système immunitaire humain réagit davantage au parasite, plutôt qu’à l’hépatite. Nous utilisons les technologies de biotechnologies du XXIe siècle, d’où le nom R21. »

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Katie Ewer, de l’Université Oxford

Avec le Mosquirix, il y avait quatre fois plus de molécules du virus hépatique que de molécules paludiques, alors que c’est moitié-moitié avec le R21. Autre avantage, 200 millions de doses de R21 seraient produites en un an par le Serum Institute de l’Inde, tandis que la capacité de production de GSK, la société qui produit le Mosquirix, est inférieure à 10 millions de doses par année. Quant au prix du Mosquirix, il est de cinq à dix fois supérieur à celui du R21.

Anticorps monoclonaux

Autre avancée importante : des anticorps monoclonaux permettent de prévenir 88 % des infections paludiques pendant six mois, selon des résultats publiés début septembre dans le New England Journal of Medicine. Les anticorps monoclonaux sont un type de médicaments utilisés comme traitement contre la COVID-19. Pour la malaria, ils seraient donnés en prophylaxie, soit avant le départ vers un lieu où la malaria est présente.

« C’est très important pour les voyageurs, les soldats déployés dans les zones où il y a de la malaria et pour les femmes enceintes », explique Kassou Kayentao, du Centre international pour l’excellence en recherche du Mali (CIER), qui est l’un des coauteurs de l’étude.

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Kassou Kayentao, du Centre international pour l’excellence en recherche du Mali

« Depuis que la méfloquine n’est plus utilisée, nous n’avons plus de prophylaxie. » Les anticorps monoclonaux sont coûteux, donc ils ne pourront être utilisés à la place du vaccin, selon M. Kayentao. Ils étaient étudiés depuis plusieurs années, mais le succès d’autres anticorps monoclonaux comme traitement pour la COVID-19 a aidé à financer les essais cliniques. Des avenues plus traditionnelles sont aussi envisagées, cela dit : en octobre dans le Lancet, une étude norvégienne a montré que poursuivre le traitement antipaludéen pendant trois mois après la guérison chez les enfants au Kenya et en Ouganda diminuait les rechutes et les réinfections.

La malaria saisonnière

L’une des difficultés rencontrées avec les vaccins paludiques, c’est que la malaria est saisonnière dans plusieurs pays, dont le Burkina Faso. « Avec le Mosquirix, on a essayé la vaccination en bas âge en même temps que les autres vaccins, même dans les pays avec vaccination saisonnière, dit le DTinto. Il se peut que les résultats supérieurs du R21 soient en partie dus à la vaccination juste avant la saison des pluies, qui ramène la malaria. »

En septembre dans Nature Ecology & Evolution, une étude américano-malienne a découvert que contrairement à ce qu’on croyait, des moustiques restent vivants mais en dormance durant la saison sèche, dans les régions d’Afrique où la malaria est saisonnière. Il s’agit donc d’une cible importante pour la lutte contre le paludisme.

L’ARN messager

Les vaccins à ARN messager, envisagés depuis une dizaine d’années, ont connu leur heure de gloire avec la COVID-19, car ceux de Pfizer/BioNTech et de Moderna sont parmi les plus efficaces. Ces pharmaceutiques se tournent maintenant vers la malaria. « Nous avons des rencontres avec BioNTech pour un essai clinique de vaccin à ARNm », dit le DTinto.

Mais il craint que cette technologie ne soit boudée en Afrique. « Au début, la vaccination contre la COVID-19 était faible en Afrique faute de doses, dit le DTinto. Mais maintenant, c’est par scepticisme. Les Africains estiment, à tort ou à raison, que la COVID-19 n’est pas une menace relative très grande pour eux. Et ils se disent : alors qu’il a fallu des décennies pour avoir un vaccin contre le palu, on a utilisé seulement un an pour en avoir un contre la COVID-19. C’est suspect pour beaucoup, ici. »

En savoir plus
  • 50 %
    Proportion des Burkinabés infectés par la malaria chaque année
    Source : IRSS
    240 millions
    Nombre d’infections au paludisme en 2020
    Source : OMS
  • 627 000
    Nombre de morts dues à la malaria en 2020
    Source : OMS
    80 %
    Proportion des patients morts de la malaria qui ont moins de 5 ans
    Source : OMS
  • 400 000
    Nombre de morts évitées chaque année par les programmes antipaludéens
    Source : OMS
    94 %
    Proportion des personnes qui meurent du paludisme vivant en Afrique subsaharienne
    Source : OMS