Au sous-sol de l’Hôpital général juif, une petite salle anciennement vouée à la radio-oncologie accueille désormais une imposante machine, surnommée le PolarTrak. C’est ici que des patients testeront dès 2023 une thérapie inédite de traitement du cancer.

Ce nouveau laboratoire de recherche a été inauguré à la fin du mois de juin par l’Hôpital général juif et la firme québécoise Starpax Biopharma. Le concept ? Des bactéries, à la surface desquelles sont attachés des médicaments, sont injectées directement dans la tumeur. Ces petits organismes sont guidés par des champs magnétiques dans tout son volume, afin de la détruire.

Les premières études cliniques prévues sur des humains porteront sur six types de cancers, soit les cancers du pancréas, de la prostate, de la tête et du cou, du rectum, de la vulve et les récidives de cancer du sein.

Place aux bactéries

IMAGE FOURNIE PAR STARPAX

Bactéries Bn1-S à la surface desquelles sont attachés des médicaments.

La bactérie nommée Bn1-S est au cœur de cette nouvelle technologie. Cet organisme, développé en laboratoire grâce à plus de 800 mutations, est sensible aux champs magnétiques, ce qui permet de contrôler sa trajectoire avec une précision millimétrique.

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Le patient est positionné dans le PolarTrack de façon à ce que la tumeur se trouve au croisement des champs magnétiques.

Les bactéries sont injectées par endoscopie par la bouche, par le rectum ou par injection à travers la peau : une intervention d’une dizaine de minutes. Lors de l’injection, le patient est positionné dans le PolarTrack de façon à ce que la tumeur se trouve au point de convergence des champs magnétiques.

  • La tumeur et ses zones hypoxiques (anneau rouge foncé)

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    La tumeur et ses zones hypoxiques (anneau rouge foncé)

  • Les bactéries se dirigent naturellement vers les zones hypoxiques

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    Les bactéries se dirigent naturellement vers les zones hypoxiques

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Les champs magnétiques se déplacent ensuite à travers la tumeur, distribuant les bactéries dans tout son volume. Le médicament, qui se trouve sur le dos des bactéries, est relâché graduellement dans la tumeur. Il ne circule donc pas dans le système sanguin. Puisque les agents toxiques ne se répandent pas dans tout le corps, les effets secondaires causés par les traitements traditionnels sont fortement réduits.

Manque d’oxygène

Les bactéries, qui n’ont pas besoin de vaisseaux sanguins pour se déplacer, réussissent à pénétrer dans les zones hypoxiques de la tumeur, soit où le niveau d’oxygène est faible. Cette capacité est un avantage indéniable pour vaincre le cancer.

En effet, les tumeurs cancéreuses présentent des niveaux d’oxygène inférieurs par rapport aux tissus normaux. Dans ce milieu, les cellules cancéreuses prolifèrent rapidement en consommant presque tout l’oxygène autour d’elles pour former une barrière, appelée zone hypoxique.

Cet environnement leur est favorable, puisqu’il leur permet de mieux résister aux médicaments, aux traitements standards et aux attaques du système immunitaire.

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Michel Gareau, président et fondateur de Starpax Biopharma

Les vaisseaux sanguins ne se rendent pas à ces zones hypoxiques, donc on a beau inventer la meilleure drogue du monde, elle ne se rend pas.

Michel Gareau, président et fondateur de Starpax Biopharma

Toutefois, les bactéries de Starpax réussissent à pénétrer naturellement dans ces zones hypoxiques, puisque le niveau d’oxygène est le même que celui de leur milieu de culture.

Après 60 minutes, les bactéries meurent parce que la température du corps humain est trop élevée pour leur survie. Mais les médicaments qui se trouvaient à leur surface poursuivent leur tentative de détruire les cellules cancéreuses.

Début des études

Jusqu’à présent, la technologie a été testée lors d’études précliniques sur les animaux, tels que les singes, les souris, les chiens et les cochons. « On a eu un ratio de rémission de 100 % sans effets secondaires », se réjouit M. Gareau, qui est impatient de commencer les études cliniques. « On ne s’attend pas à un échec », lance-t-il.

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Le nouveau laboratoire de recherche a été inauguré à la fin du mois de juin.

Le ministère de l’Économie et de l’Innovation a accordé un financement pouvant atteindre 7 millions de dollars pour la mise en place de la salle PolarTrak.

« Cette nouvelle salle de l’Hôpital général juif permettra d’innover grâce à des traitements avant-gardistes, en plus de créer des retombées directes sur le dynamisme de la recherche au Québec », avait déclaré Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation et ministre responsable du Développement économique régional, lors de son inauguration.

Des innovations québécoises contre le cancer

D’autres chercheurs travaillent activement pour révolutionner les soins et la détection précoce du cancer. La Presse vous présente quelques projets en cours.

Un soutien-gorge qui sauve des vies

Un professeur et chercheur de l’Université de Sherbrooke, Elijah Van Houten, souhaite développer un moyen facile et pratique de faire un dépistage du cancer du sein à domicile. Son équipe travaille à élaborer un soutien-gorge capable de détecter les petites tumeurs du sein. Il utilise une technologie de pointe pour construire un prototype de soutien-gorge qui peut détecter les changements dans le tissu mammaire en cas de tumeur. Contrairement à la mammographie, le soutien-gorge serait sans douleur et portatif. Cette technologie pourrait également aider à détecter les récidives de cancer du sein, afin qu’elles puissent être dépistées et traitées plus tôt.

Vers une guérison des lymphomes

Tarik Möröy, chercheur à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM), a découvert avec son équipe qu’une enzyme spécifique est nécessaire au développement et à la progression des lymphomes, un cancer qui affecte un type de globules blancs. Ces expériences ont montré qu’une souris qui développe un lymphome ne tombe plus malade et ne développe plus la maladie plus tard dans la vie lorsque le gène DDX3 est éliminé. L’équipe du laboratoire de Möröy souhaite maintenant tester des médicaments dans le but de réduire le dosage de cette enzyme, et donc les effets secondaires graves du traitement du lymphome.

Détecter les mélanomes

Le taux d’incidence du mélanome — l’une des formes les plus graves de cancer de la peau – augmente rapidement dans le monde, mais sa détection et son traitement à des stades précoces nécessitent des méthodes invasives et peu précises. Jinyang Liang, chercheur à l’Institut national de la recherche scientifique, et son équipe développent une plateforme permettant de diagnostiquer et traiter le mélanome au stade précoce. Leur approche combine des nanomatériaux, une microtechnologie et l’imagerie ultrarapide afin de déterminer le type de lésion en fonction des échanges de chaleur sur la peau.