Des produits chimiques peuvent dérégler notre métabolisme et amplifier le risque d’obésité, vient de conclure une importante étude scientifique. Énorme problème : on les retrouve pratiquement partout dans notre quotidien – écrans solaires, jouets pour enfants, cosmétiques, etc.

« Les médecins se concentrent sur la suralimentation comme cause de l’obésité et utilisent donc les régimes, les médicaments et la chirurgie pour contrôler l’alimentation. Si c’était le cas, l’obésité devrait diminuer, mais au contraire, elle continue à augmenter, surtout chez les enfants. Il manque donc quelque chose », dit d’emblée à La Presse l’auteur principal de l’article, Jerrold J. Heindel.

À l’heure actuelle, plus de 1 milliard de personnes dans le monde sont obèses, soit 650 millions d’adultes, 340 millions d’adolescents et 39 millions d’enfants, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle définit l’obésité par un indice de masse corporelle (IMC) plus grand ou égal à 30.

Une équipe de chercheurs internationaux a tenté de comprendre pourquoi ce nombre ne cesse d’augmenter. Selon eux, la réponse repose en partie sur des produits chimiques présents dans l’environnement, appelés obésogènes.

Les obésogènes sont omniprésents : dans la poussière, l’eau, les aliments transformés, l’emballage des aliments, les cosmétiques, les produits de soins personnels, les meubles, l’électronique, la pollution atmosphérique, les désinfectants, les pesticides, les écrans solaires, les plastiques et les produits ménagers courants.

Ces produits obésogènes incluent notamment le BPA, utilisé dans la fabrication de matières plastiques, les retardateurs de flamme bromés, que l’on retrouve dans les meubles et matériaux pour minimiser les risques d’incendie, et le glyphosate, l’herbicide le plus utilisé dans le monde. Ils interfèrent avec les hormones et le métabolisme, ce qui peut altérer le développement et le fonctionnement du tissu adipeux, du foie, du pancréas, du tube digestif et du cerveau.

« L’exposition aux obésogènes fait qu’il est plus facile de prendre du poids, plus difficile d’en perdre et plus difficile de ne pas en reprendre », soutient M. Heindel, qui est également membre retraité de l’Institut national des sciences de la santé environnementale des États-Unis.

Selon lui, il faut réglementer et retirer ces produits chimiques nocifs des produits quotidiens. « Nous avons écrit cet article pour attirer l’attention des décideurs. Il s’agit d’un problème de santé publique », dit-il.

​​25 %

Proportion des Québécois de 18 ans et plus qui ont une taille et un poids les classant dans la catégorie des personnes obèses, selon les données de 2018

Source : gouvernement du Canada

La période critique

PHOTO GETTY IMAGES

C’est lors de la grossesse et de la petite enfance qu’il est le plus probable que les obésogènes affectent le développement du bébé. Et conduisent, plus tard dans la vie, à l’obésité, notent les experts.

En effet, le placenta ne protège pas de tous les contaminants, indique Valérie Langlois, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique. « Certains vont passer et vont contaminer l’enfant », dit-elle.

PHOTO FOURNIE PAR VALÉRIE LANGLOIS

Valérie Langlois, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique

Après la naissance, le bébé est particulièrement sensible aux effets des produits chimiques, puisque son foie, qui permet la destruction des toxines, est toujours en développement, ajoute l’experte, qui est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicogénomique et perturbation endocrinienne.

L’exposition aux obésogènes, en particulier dans l’utérus et au début de la vie, modifie donc la susceptibilité à la prise de poids, la quantité de nourriture nécessaire pour prendre du poids et la quantité d’exercice ou de régimes nécessaire pour perdre du poids, détaille M. Heindel.

Ces expositions lors du développement de l’enfant peuvent également se transmettre d’une génération à l’autre. « C’est percutant, dans notre imaginaire collectif, de se dire que si ma grand-mère a été exposée à tel produit, moi, qui n’y a jamais touché, je pourrais être obèse », illustre Mme Langlois.

41 millions 

Nombre d’enfants de moins de 5 ans qui étaient en surpoids ou obèses dans le monde en 2016.

18 %

Prévalence du surpoids et de l’obésité chez les enfants et les adolescents âgés de 5 à 19 ans à travers le monde en 2016, contre 4 % en 1975.

Source : Organisation mondiale de la santé (OMS)

Réduire son exposition

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Les chercheurs recommandent d’éviter le plus possible le régime occidental, riche en graisses, en sucre, en sel et en aliments transformés, puisqu’il contient de nombreux obésogènes.

La diminution de l’exposition aux obésogènes pourrait être une stratégie pour prévenir l’obésité. Mais un individu peut-il réellement réduire son exposition ? Difficilement, répondent les chercheurs.

« Le problème est que les obésogènes sont présents partout, ce qui rend pratiquement impossible pour les individus de réduire leur exposition à tous les obésogènes », dit M. Heindel. « Il n’y a pas d’étiquetage des obésogènes sur les produits de consommation. C’est difficile de réduire une exposition quand on ne sait pas où ils se trouvent », renchérit Mme Langlois.

Certaines mesures peuvent toutefois être prises. Les chercheurs recommandent d’abord d’éviter le plus possible le régime occidental, c’est-à-dire riche en graisses, en sucre, en sel et en aliments transformés, puisqu’il contient de nombreux obésogènes dans les emballages, les revêtements de boîtes de conserve, les conservateurs alimentaires, les additifs, les émulsifiants et les édulcorants non nutritifs.

Mais les individus ne peuvent pas tout faire, précise M. Heindel. C’est aux décideurs d’agir et de réglementer l’exposition à ces produits.

Éviter la stigmatisation

Les premières données montrant que des produits chimiques peuvent provoquer une prise de poids ont été publiées au début des années 2000. « Il s’agit toujours d’un domaine restreint avec un nombre limité de chercheurs », dit M. Heindel.

À l’heure actuelle, la population et les dirigeants demeurent peu au courant de la problématique, déplorent les experts.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Edith Bernier

« C’est une bonne nouvelle qu’on s’y attarde, surtout si ça fait longtemps que c’est étudié », lance Edith Bernier, fondatrice du site web grossophobie.ca.

Elle rappelle que le poids n’est pas seulement lié à une consommation de calories, à la qualité de l’alimentation et au niveau de sédentarité. « L’étude prouve que ce n’est pas qu’une question de contrôle », conclut Mme Bernier, qui est également autrice, conférencière et consultante en prévention de la grossophobie et en inclusion des personnes grosses.

Consultez l’étude (en anglais)