Quelque 1200 sections de gazoducs sont responsables de 10 % des émissions de méthane de l’industrie des hydrocarbures, selon une nouvelle étude française. Cibler ces fuites d’un gaz à effet de serre particulièrement puissant serait une manière peu coûteuse de ralentir les changements climatiques. Une dizaine de ces « super émetteurs » sont au Canada, mais ce chiffre pourrait être sous-évalué, selon les auteurs de l’étude.

20 millions de voitures

Les « super émetteurs » sont en fait ceux qui émettent plus de 25 tonnes de méthane par heure, et peuvent être « vus » par les instruments du satellite européen Sentinel 5-P, lancé en 2017. « Les fuites de méthane industrielles sont généralement mesurées de manière ponctuelle, à partir du sol ou d’un avion », explique l’auteur principal de l’étude publiée jeudi dans Science, Thomas Lauvaux, de l’Université de Saclay, en banlieue parisienne. « Nous pouvons les observer presque en continu parce que le satellite couvre toute la surface de la planète. » Le satellite a observé 1800 panaches de méthane, dont 1200 sont d’origine industrielle. « Généralement, il s’agit d’émissions lors de travaux d’entretien, où on purge une section de gazoduc ou d’unité de compression avant d’y envoyer des employés. On pourrait facilement récupérer le méthane purgé dans des réservoirs. » Les émissions totales de ces super émetteurs correspondent à celles des gaz à effet de serre de 20 millions de voitures.

Mystère au Canada

ILLUSTRATION FOURNIE PAR SCIENCE

Carte des super-émetteurs

La carte des super émetteurs ne compte qu’une poignée de sites au Canada, en Alberta. « Normalement, la situation devrait être similaire à celle des États-Unis, estime M. Lauvaux. Alors il y a certainement une sous-estimation des super émetteurs canadiens. Nous avons eu des problèmes avec les instruments du satellite à cause de la couverture nuageuse très abondante au Canada, et aussi avec la contiguïté de forêts sombres et de champs enneigés. » N’y a-t-il pas aussi de la neige en Russie ? « Oui, mais il semble y avoir plus d’étendues de neige continue sur des plaines, ce qui donne moins de fil à retordre aux instruments du satellite. »

Fuites naturelles et puits de pétrole

Les puits de pétrole sont une source plus importante de fuites de méthane, mais elles sont alors plus lentes. Un puits orphelin (abandonné) de pétrole émet en moyenne six grammes de méthane par heure aux États-Unis et au Canada, selon une étude américaine publiée en 2020 dans la revue Environmental Science and Technology. Les puits en exploitation peuvent aussi émettre du méthane si leur propriétaire ne le brûle pas, un procédé appelé torchage. Les fuites naturelles et agricoles de méthane sont aussi moins intenses. Cela explique la surreprésentation de l’industrie chez les super émetteurs.

Asie centrale et Moyen-Orient

La pire région selon l’étude de Science est l’Asie centrale. « On a l’impression que plusieurs grosses valves sont ouvertes en permanence sur des gazoducs », dit M. Lauvaux. Le Moyen-Orient est l’un des bons élèves. « Peut-être que c’est parce que la main-d’œuvre n’y est pas très chère par rapport au prix du méthane récupéré lors des travaux d’entretien, ou alors c’est pour donner au gaz de la région un cachet plus vert », analyse M. Lauvaux.

La distribution urbaine

Longtemps jugée peu importante dans le problème, la distribution urbaine du méthane est, selon plusieurs études récentes, responsable de fuites deux ou trois plus importantes que prévu. Les cuisinières au gaz seraient aussi plus problématiques que prévu. « Mais il est certain que le point où ont lieu le plus de fuites dans le réseau gazier est la station de compression entre le lieu de production et le gazoduc de transport », dit M. Lauvaux.

L’a b c du méthane

Le méthane (CH4) est un gaz à effet de serre 84 fois plus puissant que le CO2 émis par la combustion du méthane ou de l’essence des voitures, mais il reste beaucoup moins longtemps que le CO2 dans l’atmosphère. Sur 100 ans, chaque gramme de méthane est donc un gaz à effet de serre « seulement » 30 fois plus puissant que le CO2. Le méthane est aussi appelé « gaz naturel ».

La réponse de l’industrie

L’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) n’a pas voulu accorder d’entrevue sur l’étude de Science, mais a déclaré être « en voie d’atteindre ses objectifs de réduction de 45 % des émissions de méthane d’ici 2025 ». L’ACPP affirme aussi qu’une étude publiée en 2018 dans Science par des géologues américains vante la réglementation canadienne en matière de torchage. Cette étude ne mentionnait que la réglementation sur le torchage dans les plateformes pétrolières de Terre-Neuve, mais louangeait par ailleurs les politiques canadiennes de divulgation des émissions de méthane.

Les puits orphelins en chiffres

4 millions : nombre de puits de pétrole abandonnés aux États-Unis

370 000 : nombre de puits de pétrole abandonnés au Canada

60 voitures : Un puits orphelin émet une quantité de méthane équivalente à 60 voitures

Sources : Environmental Science and Technology, EPA

Les fuites de méthane en chiffres

60 % des fuites de méthane sont naturelles.

15 % des fuites de méthane sont associées à l’exploitation des hydrocarbures.

25 % des fuites de méthane sont associées à l’agriculture.

De 40 % à 50 % des fuites de méthane associées à l’exploitation des hydrocarbures proviennent des puits de pétrole.

De 5 % à 25 % des fuites de méthane associées à l’exploitation des hydrocarbures proviennent des stations de compression de gaz naturel.

De 5 % à 10 % des fuites de méthane associées à l’exploitation des hydrocarbures proviennent des gazoducs de transport.

De 10 % à 25 % des fuites de méthane associées à l’exploitation des hydrocarbures proviennent des gazoducs urbains.

Sources : CNRS, AIE