Depuis une vingtaine d’années, les colonies d’abeilles pollinisatrices souffrent d’un mal mystérieux appelé « trouble d’effondrement des colonies ». Les pesticides sont montrés du doigt, tout comme les changements climatiques et de nouveaux virus. À l’Université de Californie, un ambitieux programme vise à contrer le problème avec des traitements, une meilleure alimentation et une génétique améliorée.

Vétérinaires électroniques

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE CALIFORNIE À RIVERSIDE

Boris Bar

L’objectif principal du responsable du projet, Boris Bar, de l’Université de Californie à Riverside, est de créer des « vétérinaires électroniques ». « Avec les autres animaux d’élevage, on a mis au point toute une série de biomarqueurs qui nous indiquent si l’animal est en santé, explique M. Bar. La température corporelle, des analyses d’urine, la quantité d’eau ou de nourriture ingérée, les déplacements quotidiens, la liste s’allonge sans cesse. On a même plus de manières de surveiller à distance les cultures de céréales, de fruits ou de légumes avec les analyses de sol, et maintenant des analyses par ordinateur de photos de plants. Mais avec les abeilles, presque rien n’a été développé. Je vise à déterminer des odeurs et des sons qui indiquent que la colonie est en santé. On sait déjà, par exemple, que les larves émettent des sons très particuliers qui, s’ils sont absents, indiquent un problème. » Les premiers tests de vétérinaires électroniques pour abeilles pourraient survenir avant 2025, échéance prévue du projet de recherche.

Alimentation et microbiome

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James Nieh

En plus de détecter les signes précurseurs du trouble d’effondrement des colonies, le groupe de M. Bar travaille sur des traitements. James Nieh, de l’Université de Californie à San Diego, travaille sur des molécules qui pourraient être ajoutées au nectar dont se nourrissent les abeilles, dans des petits contenants d’eau sucrée disposés près des ruches. « Certaines espèces dans certaines régions résistent mieux aux pesticides et aux virus, dit M. Nieh. Ça pourrait être dû à des composantes de leur alimentation. Nous voulons identifier ces molécules. Nous travaillons aussi sur le microbiote des abeilles, les bactéries de leur système digestif, pour voir si certains microbiotes protègent mieux d’une exposition aux pesticides et aux virus. »

Une génétique mal connue

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Joshua Kohn

Contrairement à beaucoup d’espèces agricoles, les abeilles ont une génétique très mal connue. « On a très peu de génomes, les programmes d’hybridation sont faits à l’ancienne, sans analyse génétique », explique Joshua Kohn, entomologiste à l’Université de Californie à San Diego, qui participe au programme de M. Bar. « Nous voulons pallier cette lacune pour en arriver à un plan scientifique d’hybridation. Nous nous penchons sur les espèces sauvages, pour voir quelles portions de leur génome sont responsables des traits désirables et des traits indésirables. Nous étudions notamment les abeilles africanisées, qui sont très agressives, un trait évidemment indésirable, mais aussi très résistantes et capables d’adaptation, un trait très désirable dans le contexte du trouble d’effondrement des colonies. » M. Kohn pense qu’il faudra une bonne dizaine d’années pour avoir une base de données génétiques des abeilles minimalement comparable à ce qui existe pour d’autres espèces aussi importantes pour l’agriculture. Cela pourrait permettre de prévenir les problèmes et de mettre en place des stratégies pour les détecter avec le vétérinaire électronique de M. Bar, puis de les traiter avec les recherches sur l’alimentation et le microbiome de James Nieh.

Des virus à l’Université de Montréal

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Marie Marbaix étudie les facteurs négatifs qui ont un impact sur la longévité et le rendement des abeilles mellifères. Elle est accompagnée de Levon Abrahamyan, de la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

À la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, Levon Abrahamyan se penche depuis quelques années sur les virus des abeilles. « Nous sommes en train de faire une carte des virus en fonction des régions et du climat au Québec, dit M. Abrahamyan. On pense que les virus jouent un rôle-clé dans le trouble d’effondrement des colonies. Les pesticides et le climat pourraient favoriser ou nuire au développement des virus et des autres parasites. Il pourrait également y avoir une interaction entre virus et parasites. » Le développement de molécules antivirales pourrait être crucial pour aider ce secteur de l’agriculture, selon M. Abrahamyan. « L’une des méthodes potentielles des infections virales est de développer des composés antiviraux contre les virus des abeilles, par exemple des inhibiteurs de la réplication virale. Ces antiviraux peuvent être administrés aux abeilles avec de l’eau sucrée, par exemple. Si la plupart des virus pathogènes sont transmis aux abeilles par le varroa, alors une stratégie antivirale efficace pourrait être de contrôler l’infestation des ruches d’abeilles par ce parasite. »

Le trouble d’effondrement des colonies

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Le laboratoire extérieur de Boris Bar

Observé en Europe dans les années 1990 et en Amérique du Nord au début du millénaire, le trouble d’effondrement des colonies consiste en une mortalité massive des colonies après l’hiver. Les pertes normales de 20 % par colonie ont augmenté de manière vertigineuse, atteignant parfois 90 %, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Pour le moment, l’Asie semble épargnée. Les causes de ce phénomène sont encore imprécises, mais beaucoup de militants et de chercheurs montrent du doigt des pesticides appelés néonicotinoïdes, aussi utilisés au Québec.

Une histoire africaine et brésilienne

PHOTO TIRÉE DU SITE DE FAPESP

Warwick Kerr, l’enthomologiste qui a introduit des abeilles africaines en Amérique dans les années 1950, pour augmenter la production de miel au Brésil

Les abeilles « africaines » sont la terreur des Américains qui vivent dans les États du Sud. Ces abeilles, qu’étudie Joshua Kohn, sont issues d’abeilles introduites dans les années 1950 au Brésil par un entomologiste américain qui tentait d’obtenir un hybride capable de régler le problème de production insuffisante de miel des abeilles européennes dans les tropiques, notamment en Amérique latine. Une erreur est survenue dans le laboratoire brésilien, et des abeilles africaines se sont échappées, produisant des hybrides beaucoup plus agressifs (qui piquent davantage) qui ont progressé vers le nord, arrivant au Mexique dans les années 1980 et aux États-Unis dans les années 1990. La réputation des abeilles « africanisées » a notamment inspiré le film-catastrophe The Swarm, avec Michael Caine, qui, en 1978, prévoyait leur invasion meurtrière du Texas.

PHOTO JEFFREY W. LOTZ, FLORIDA DEPARTMENT OF AGRICULTURE AND CONSUMER SERVICES

Des abeilles africaines se sont échappées, produisant des hybrides beaucoup plus agressifs qui hantent des Américains qui vivent dans les États du Sud.

Les abeilles en chiffres

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE CALIFORNIE À RIVERSIDE

Boris Bar au travail à son laboratoire extérieur

90 millions : nombre de colonies d’abeilles pollinisatrices dans le monde en 2019
87 millions : nombre de colonies d’abeilles pollinisatrices dans le monde en 2014
77 millions : nombre de colonies d’abeilles pollinisatrices dans le monde en 2009
600 000 : nombre de colonies d’abeilles pollinisatrices au Canada 40 000 : nombre de colonies d’abeilles pollinisatrices importées au Canada chaque année

Sources : FAO, Conseil canadien du miel