Les variants menacent-ils l’efficacité des vaccins ? C’est la question que se posent de nombreux infectiologues. D’autres se demandent s’il vaut mieux multiplier les doses simples pour éviter l’apparition de nouveaux variants.

Les anticorps dans le sang

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Un technicien de laboratoire travaille sur des échantillons de sang prélevés en Afrique du Sud pour déterminer l’efficacité du vaccin de Johnson & Johnson.

Pei-Yong Shi, de l’Université du Texas, est au premier plan de l’étude sur l’efficacité des vaccins contre les variants du SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la COVID-19. Et il est optimiste. « Nous avons exposé le sang de 20 personnes vaccinées [qui avaient reçu la deuxième dose du vaccin de Pfizer deux semaines plus tôt] aux trois variants, britannique, sud-africain et brésilien, et au SARS-CoV-2 initial, isolé dans l’État de Washington en janvier 2020 », explique M. Shi, qui a publié deux études à partir de ses travaux, en février dans Nature Medicine et en mars dans le New England Journal of Medicine. « Il n’y a pas eu de changement avec les variants brésilien et britannique, mais il y a eu une diminution des deux tiers de l’activité des anticorps avec le variant sud-africain. Mais cela ne signifie pas qu’il y a une baisse d’efficacité. On observe, avec le variant sud-africain, une activité des anticorps cinq fois plus élevée que ce qu’on voit deux semaines après la première dose des vaccins de Moderna et de Pfizer, alors que la protection contre la COVID-19 de modérée à sévère est de 90 %. Même s’il y a moins d’anticorps qui réagissent au variant sud-africain, on semble en avoir suffisamment pour éviter la maladie. » Pourquoi alors Pfizer et Moderna travaillent-ils sur une troisième dose pour protéger contre les variants ? « Il vaut mieux travailler pour rien qu’être surpris par le SARS-CoV-2 », dit M. Shi.

Peu de mutations

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Aperçu d’une cellule (de couleur brun-vert) infectée par des particules du SARS-CoV-2 (points roses). L’image, colorisée, a été obtenue grâce à la technique de microscopie électronique à balayage.

Une équipe de l’Université d’Oxford a pour sa part analysé la proportion de mutations qui surviennent à l’intérieur d’un même patient. « Nous travaillons depuis longtemps sur l’apparition des mutations dans le VIH », explique Matthew Hall, infectiologue à l’Université d’Oxford, qui est l’auteur principal de l’étude publiée cette semaine dans la revue Science. « Le SARS-CoV-2 a très peu de diversité génétique chez le même patient ; généralement, plus de 90 % des copies du coronavirus sont du même type génétique. Et pour qu’un variant soit transmis par un patient, il faut qu’il représente une forte minorité des copies du SARS-CoV-2. Alors on n’a pas beaucoup d’émergence de variants, seulement trois malgré la forte transmission du SARS-CoV-2. Le taux de mutation du SARS-CoV-2 est quatre fois moins élevé que celui du virus de la grippe. »

Pression sélective et résistance aux vaccins

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Les experts ne s’entendent pas sur le risque d’apparition de nouveaux variants résistants aux vaccins qui pourrait être entraînée par l’espacement des deux doses, stratégie retenue par le gouvernement du Québec.

L’une des questions les plus pressantes que se posent les chercheurs concerne la « pression sélective » de mutation du SARS-CoV-2 associée à la mutation. Grosso modo, si une minorité importante de la population est protégée par un vaccin, les variants résistants aux vaccins formeront une proportion plus importante des copies du SARS-CoV-2 transmises par les gens vaccinés. Or, comme la majorité de la population ne sera toujours pas vaccinée, la transmission continuera à être fréquente et ces variants résistants aux vaccins pourront se répandre. « Si on donne une dose à beaucoup de gens, on diminue le nombre de cas de COVID-19 à court terme », explique Caroline Wagner, une bioingénieure de l’Université McGill qui a publié cette semaine dans Science une étude sur les conséquences épidémiologiques et génétiques d’un espacement entre les deux doses de vaccin. « Mais il se peut que si le vaccin ne protège pas complètement contre le virus, particulièrement s’il n’enraye pas la transmission, il y ait plus de mutations. » Les experts ne s’entendent assurément pas sur le risque d’apparition de nouveaux variants résistants aux vaccins associé à l’espacement des deux doses, la stratégie retenue par le gouvernement du Québec. Matthew Hall, de l’Université d’Oxford, estime que si le vaccin n’empêche pas la transmission du SARS-CoV-2, donner une dose rapidement à un nombre maximal de personnes pourrait diminuer le nombre d’hospitalisations à court terme, mais ultimement augmenter le nombre de morts, à cause de l’augmentation du nombre de variants résistants aux vaccins. Un autre chercheur, Nicholas Davies, de l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, qui a publié en février dans Science une analyse détaillée du variant britannique, pense plutôt que la stratégie de donner seulement une dose au nombre maximal de personnes pourrait diminuer le risque de variants résistants aux vaccins, même avec une protection partielle contre la transmission, citant une récente étude qui vient d’être prépubliée par d’éminents épidémiologistes de l’Université Harvard.

Comme pour l’influenza

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Des vaccins — saisonniers — contre l’influenza

Pour prévenir le pire, l’Union européenne vient de lancer le programme Vaccelerate, qui vise à créer pour le SARS-CoV-2 un système de mise à jour du vaccin similaire à celui qui existe pour la grippe. Chaque année, quand de nouvelles souches d’influenza apparaissent chez les animaux migrateurs en Asie, les vaccins antigrippaux sont modifiés, puis testés lors de la première vague de la grippe saisonnière, qui survient en Australie en été. Des modifications sont possibles avant que la grippe n’arrive en Amérique du Nord et en Europe, l’hiver suivant.

Pfizer et l’Autriche

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Des gens attendent de recevoir le vaccin de Pfizer-BioNTech à Schwaz, en Autriche

La province autrichienne du Tyrol a l’une des plus hautes prévalences du variant sud-africain en Europe. Pfizer a décidé de profiter de l’infortune de cette province autrichienne pour tester l’efficacité de son vaccin contre le variant sud-africian, en y envoyant 100 000 doses supplémentaires de vaccin, pour vacciner d’ici le printemps tous les habitants de la ville de Schwaz et des environs, la zone la plus touchée du Tyrol par le variant sud-africain. Les deux tiers des nouveaux cas à Schwaz sont liés au variant sud-africain. — D’après Reuters

En chiffres : le vaccin de Johnson & Johnson face au variant sud-africain

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Fioles du vaccin Johnson & Johnson

Une seule étude a été publiée sur l’efficacité des vaccins contre les variants à partir de données réelles, issues d’un essai clinique de Johnson & Johnson en Afrique du Sud. Dans ce pays, où le variant sud-africain est plus présent qu’ailleurs, l’efficacité du vaccin pour prévenir les cas graves de COVID-19 était comparable aux cohortes d’autres pays.

72 %
Efficacité du vaccin de Johnson & Johnson aux États-Unis contre les formes modérées et graves de la maladie

86 %
Efficacité du vaccin aux États-Unis contre les formes graves

64 %
Efficacité du vaccin de Johnson & Johnson en Afrique du Sud contre les formes modérées et graves de la maladie

82 %
Efficacité du vaccin en Afrique du Sud contre les formes graves

Source : Santé Canada