(Kourou) Décollage réussi samedi pour le télescope spatial James Webb (JWST), attendu depuis trente ans par les astronomes du monde entier pour examiner l’Univers avec des moyens inégalés, qui va pouvoir rejoindre son poste d’observation à 1,5 million de km de la Terre.

Le JWST, le plus puissant télescope spatial jamais conçu, s’est arraché du sol à bord d’une fusée Ariane 5 depuis le Centre spatial guyanais à 12 h 20 GMT.

Exactement 27 minutes et sept secondes plus tard, le directeur des opérations de lancement Jean-Luc Voyer a annoncé : « Bonne séparation télescope Webb, Go Webb », déclenchant un tonnerre d’applaudissements dans le centre de contrôle Jupiter à Kourou.

PHOTO NASA TV VIA AFP

Le télescope James Webb se séparant de la fusée Ariane.

« C’est un vrai cadeau de Noël », a déclaré ensuite dans un point de presse Thomas Zurbuchen, responsable des missions scientifiques pour la NASA, qui a fabriqué le JWST avec la collaboration des agences spatiales européenne (ESA) et canadienne (ACS).  

Le directeur général de l’ESA Josef Aschbacher s’est félicité que la fusée d’Arianespace – qui a « fonctionné extrêmement bien » – a « placé le vaisseau très précisément en orbite ». Un point important car une bonne injection en orbite économise le carburant dont le James Webb aura besoin pour atteindre son point final et fonctionner par la suite.

Juste après son envol, le télescope a survolé l’Atlantique, puis l’Afrique, jusqu’à la séparation finale, intervenue à 1400 km d’altitude et à une vitesse dépassant 34 000 km/h. Une caméra embarquée sur l’étage supérieur d’Ariane a montré cette séparation et, surtout, le déploiement des panneaux solaires du James Webb.

À cette opération critique devait succéder une deuxième, environ 12 heures après le décollage, avec la première de trois corrections de trajectoire pour atteindre sa position finale.

Il mettra environ un mois pour y parvenir. Avec l’ambition d’éclairer plus avant l’humanité sur deux questions qui la taraudent : « D’où venons-nous ? » et « Sommes-nous seuls dans l’Univers ? ».

Et apercevoir ainsi les lueurs de « l’aube cosmique », quand les premières galaxies ont commencé à éclairer l’Univers depuis le Big bang, il y a 13,8 milliards d’années.

Dans les pas d’Hubble

Il doit permettre de mieux comprendre la formation des étoiles et des galaxies, et d’observer les exoplanètes dont les astronomes découvrent toujours plus de spécimens, pour y identifier peut-être un jour d’autres Terres.

Le président américain Joe Biden a félicité la NASA et l’équipe du télescope pour ce lancement, soulignant dans son tweet que le James Webb était « un brillant exemple de ce qu’on peut accomplir quand on rêve grand ».

PHOTO CHRIS GUNN, NASA VIA ARCHIVES AP

Le James Webb va marcher dans les pas du télescope Hubble, qui a révolutionné l’observation de l’Univers : c’est grâce à lui que les scientifiques ont découvert l’existence d’un trou noir galactique au centre de toutes les galaxies, ou de vapeur d’eau autour d’exoplanètes.

Imaginé par la NASA dès le lancement de Hubble en 1990, le JWST s’en distingue à plus d’un titre.

La taille de son miroir, de 6,5 mètres d’envergure, lui procure une surface et donc une sensibilité sept fois plus grande, suffisante pour détecter la signature thermique d’un bourdon sur la Lune.  

Autre différence : son mode d’observation. Là où Hubble observe l’espace essentiellement dans le domaine de la lumière visible, James Webb s’aventure dans une longueur d’onde échappant à l’œil : l’infrarouge proche et moyen. Un rayonnement que tout corps, astre, humain ou fleur, émet naturellement.

Cette lumière sera étudiée par quatre instruments, munis d’imageurs et de spectrographes pour mieux la disséquer. Leur développement a mobilisé une pléthore d’ingénieurs et de scientifiques, sous la houlette de laboratoires et d’industriels américains et européens.

Grâce à cela « en regardant les mêmes objets (qu’avec Hubble), on verra de nouvelles choses », expliquait à Paris l’astronome Pierre Ferruit, co-responsable scientifique du télescope pour l’ESA.

Par exemple, les premières galaxies, des objets dont l’éloignement a fait virer leurs lumières vers le rouge. Ou de jeunes colonies d’étoiles, qui grandissent masquées dans les nuages de poussières de leurs pouponnières. Ou encore l’atmosphère des exoplanètes.

Dix milliards de dollars

La condition impérative au bon fonctionnement du JWST est une température ambiante si basse qu’elle ne trouble pas l’examen de la lumière.

Hubble est en orbite à quelque 600 km au-dessus de la Terre. À cette distance, le JWST serait inutilisable, chauffé par le soleil et sa réflexion sur la Terre et la Lune.

Il va être placé à l’issue d’un voyage d’un mois à 1,5 million de km de là. Et sera protégé du rayonnement solaire par un bouclier thermique de cinq voiles souples qui dissipera la chaleur, abaissant la température (qui est de 80 °) à -233 degrés côté télescope.

Mais avant d’en arriver là, la machine et ses concepteurs vont devoir réaliser un véritable exploit : son déploiement sans failles, avec une série d’opérations impliquant par exemple pour le seul bouclier 140 mécanismes d’ouverture, 400 poulies et presque 400 mètres de câbles.  

Car l’observatoire, avec ses douze mètres de hauteur et un bouclier équivalant à un court de tennis, a dû être plié pour se glisser dans la coiffe d’Ariane 5. « L’encapsulage » s’est effectué avec guidage laser pour éviter tout dommage à l’instrument, dont le développement a coûté quelque 10 milliards de dollars (environ 12,8 milliards $ CAN).

Pour ces manœuvres, la NASA a aussi imposé des mesures draconiennes de propreté pour éviter toute contamination du miroir du télescope, par des particules ou même une haleine chargée…

Il faudra plusieurs semaines pour savoir si le télescope est prêt à fonctionner. Avec une entrée officielle en service prévue en juin.