« Farah, je ne sais pas si c’est une bonne idée pour toi d’aller en génie, c’est un domaine dominé par les hommes. Je ne sais pas si tu vas réussir, ça va être difficile. » Elle avait 16 ou 17 ans lorsqu’une professeure chargée de l’orienter pour sa carrière lui a lancé cette remarque. Une quinzaine d’années plus tard, Farah Alibay est ingénieure en aérospatiale à la NASA. Elle participe jeudi soir à l’ouverture de la conférence G-CHANGE*, pour encourager les jeunes filles à étudier dans le domaine des sciences.

Q : Pourquoi participer à cette conférence ?

R : Je veux démystifier mon travail, parler de mon parcours, des obstacles que j’ai rencontrés… Je veux montrer aux jeunes que lorsqu’on parle de grande carrière, ce n’est pas quelque chose d’impossible. Je veux leur montrer qu’on peut être une fille comme tout le monde, et qu’on peut se rendre où on veut quand on a un rêve et un but. Quand j’ai commencé, on me disait : « Mais non, le sexisme en 2010, ça n’existe plus ! » Il faut changer notre culture, notre façon de faire, et ce n’est pas juste en le disant que ça va se faire.

Q : Comment encourager les jeunes à s’intéresser aux sciences ?

R : Je me souviens avoir demandé à mon professeur de mathématiques : « À quoi ça va me servir dans la vie, la trigonométrie ? » Tu imagines, entendre ça d’une ingénieure de la NASA… Ce qui est bien, c’est qu’on commence à amener de la robotique ou de la programmation, pour montrer aux jeunes que ce qu’ils apprennent s’applique aussi dans la vie.

Q : Pourquoi est-ce important d’avoir de la diversité dans le domaine des sciences ?

R : Parfois, je me retrouve dans une salle à être la seule femme ou la seule femme de couleur. Ça peut être difficile de prendre sa place à la table, de s’exprimer quand on est différent du reste des gens ou quand on ne voit pas de gens qui nous ressemblent dans notre chaîne de commande. Il y a eu des moments où un chef d’équipe a été sexiste ou m’a traitée différemment, ou en tout cas, des moments où je me suis sentie différente. Ce que je voyais comme une faiblesse, je l’ai tourné en force. Personne ne me ressemble, donc les gens se souviennent de moi, surtout dans un domaine compétitif : « Ah oui, Farah, la fille aux cheveux rouges ! »

Q : Quelle est la place des hommes dans cette évolution des mentalités ?

R : Au début de ma carrière, c’était difficile de prendre ma place, de répondre aux questions, de présenter mon travail… Ça m’est arrivé quelques fois où c’était moi qui avais fait la recherche, les tests, et on demandait les résultats à un homme qui était à côté de moi, au lieu de me les demander, à moi. J’encourage souvent les gens à amplifier la voix d’une personne, qui que ce soit. Si quelqu’un a fait un travail ou a eu une idée, qu’on lui donne une place, au lieu de la lui prendre. Quand on parle de la diversité et de l’inclusion, ce ne sont pas juste les femmes qui doivent faire un effort pour se faire une place : il faut aussi que les hommes soient des alliés, aident les femmes ou les minorités avec lesquelles ils travaillent.

Q : Parlez-vous aussi des difficultés que vous avez pu subir ?

R : Je pense que ça s’améliore depuis les cinq dernières années, on parle beaucoup plus de l’importance de la diversité. C’est important d’avoir des conversations honnêtes, de parler des obstacles, mais d’humaniser ça, pour montrer que les échecs qu’on vit ou les doutes qu’on ressent sont normaux. Il faut donner [aux jeunes filles] une base pour qu’elles puissent se rappeler cette conversation quand elles iront en génie, ou quand elles auront ces doutes.

Q : Le mot de la fin ?

R : Qui que tu sois, quoi que tu fasses, tu peux te retrouver dans n’importe quel domaine : il y a une place pour toi, où que tu veuilles aller.

* L’initiative G-CHANGE a pour but d’encourager l’implication des femmes dans le domaine des sciences, de l’ingénierie et des mathématiques. L’initiative offre deux jours de conférences ouvertes à tous les 21 et 22 octobre à l’École de technologie supérieure de Montréal. Elle propose également un programme de mentorat avec des ambassadrices inspirantes pour les jeunes filles de 15 à 19 ans. Farah Alibay interviendra pendant un atelier de communication scientifique donné à 15 jeunes filles en présentiel à 16 h 30, ainsi que lors de l’ouverture de la conférence donnée en format hybride (en ligne et en présentiel) à 17 h 30.

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