Une maladie neurodégénérative sème le désarroi dans la péninsule acadienne et dans la région de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Jusqu'ici inconnue, la maladie, qui entraîne des pertes de mémoire, des spasmes et des hallucinations, a touché au moins 48 personnes et fait 6 morts. Le mystère demeure sur ses causes exactes.

Juin 2019. Roger Ellis, 61 ans, s’effondre et convulse. L’homme de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, est amené d’urgence à l’hôpital. Les médecins soupçonnent qu’il est atteint d’épilepsie, mais les scans de son cerveau ne confirment pas ce diagnostic.

Dans les semaines qui suivent, son état devient critique. Il hallucine, devient agressif, perd la mémoire, ne peut plus manger.

En trois mois, Roger Ellis perd 60 lb. Sa famille est inquiète.

On lui fait passer une batterie de tests. Les médecins de M. Ellis soupçonnent qu’il est atteint de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, un trouble très rare qui attaque le système nerveux central et qui entraîne la mort en moins de deux ans.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Steve Ellis et son père Roger Ellis

Afin d’en avoir le cœur net, le sexagénaire subit une ponction lombaire, un examen médical consistant à recueillir le liquide céphalorachidien dans le dos entre deux vertèbres. Son échantillon est envoyé à Winnipeg.

Encore une fois, le test est négatif. « Les docteurs et le neurologue étaient sous le choc, parce qu’ils étaient certains à 99 % qu’il s’agissait de la maladie de Creutzfeldt-Jakob », raconte Steve Ellis, fils de Roger.

Roger Ellis est demeuré à l’hôpital pendant un an, puis, toujours sans avoir de diagnostic, il a été transféré dans une maison pour aînés.

Chaque journée, notre père souffre. Il a de la difficulté à parler, il perd ses mots, il est confus, il a de la difficulté à dormir.

Steve Ellis, fils du malade

Pas seuls au monde

Au début du mois de mars dernier, Steve Ellis tombe sur une note de l’agence de santé publique du Nouveau-Brunswick rendue publique dans un article de Radio-Canada. Le message, destiné aux médecins de la province, demande de surveiller l’arrivée d’une maladie inconnue et d’être à l’affût de symptômes similaires à ceux de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Pour M. Ellis, une chose est sûre : c’est la maladie dont son père est atteint. « Je n’en revenais pas. Je lisais l’article et c’était l’histoire de mon père. C’était tous les mêmes symptômes. C’est la première fois que j’ai su qu’il y avait d’autres personnes comme lui », se remémore-t-il.

Steve Ellis s’empresse de créer un groupe de soutien sur Facebook. « Notre famille était vraiment seule. C’était difficile d’expliquer à d’autres personnes la maladie de mon père. Quand j’ai vu qu’il y avait d’autres personnes atteintes, j’étais heureux de savoir que j’allais pouvoir leur parler », dit-il. Deux mois après sa création, le groupe compte déjà plus de 200 membres.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Roger Ellis

Dans les jours qui suivent, Steve Ellis entame des démarches afin que son père rencontre le neurologue Alier Marrero, le médecin responsable des travaux de recherche sur la maladie. « Il lui a fait faire des tests cognitifs, d’équilibre, de motricité. Ils ont fait des prises de sang et ont vérifié s’il y avait des métaux dans son corps », explique Steve Ellis.

Le neurologue lui confirme la nouvelle. Il est bel et bien un cas suspect de la maladie.

Pas de traitement

Au bout du fil, Luc LeBlanc raconte son histoire. « Je suis un cas confirmé de la maladie, lâche-t-il d’emblée. Mais pas depuis longtemps. »

Après 10 ans de symptômes inexpliqués, l’homme de 41 ans de Dieppe, au Nouveau-Brunswick, a reçu le diagnostic du syndrome neurologique inconnu en novembre dernier.

« Au début, j’avais une sorte de brouillard dans le cerveau et ça me faisait faire de l’anxiété, dit-il. Les médecins m’ont dit que c’étaient des attaques de panique. » M. LeBlanc a commencé à être suivi par un psychologue et à être médicamenté pour l’anxiété.

Dans les mois qui ont suivi, il a commencé à avoir des spasmes musculaires.

PHOTO FOURNIE PAR LUC LEBLANC

Luc LeBlanc

Les médecins pensaient que c’était sûrement moi qui créais des problèmes dans ma tête à cause de l’anxiété.

Luc LeBlanc

Mais les années passaient et sa situation empirait. Pertes de mémoire, douleurs musculaires, insomnie, changements d’humeur, pertes de poids. Il savait qu’il y avait quelque chose de plus grave.

En 2018, le père de deux jeunes enfants a demandé de consulter un neurologue. En novembre 2020, après deux ans d’attente, M. LeBlanc a rencontré le DAlier Marrero qui lui a immédiatement diagnostiqué la maladie.

Six mois plus tard, M. LeBlanc doit continuer de composer avec ses symptômes chaque jour, puisque aucun traitement n’existe pour les patients atteints de la maladie. « C’est déprimant et décourageant. Je ne vois pas de lumière au bout du tunnel. »

« Ça demeure un mystère »

Une enquête gouvernementale se poursuit pour trouver la cause de la mystérieuse maladie neurologique qui a fait son apparition au Nouveau-Brunswick. Selon le gouvernement provincial, le premier cas remonte à 2013, mais n’a été diagnostiqué qu’au début de l’année 2020. La condition touche des personnes de tout âge, allant de 18 à 85 ans.

« En 2018, on a commencé à voir l’émergence d’une série de patients qui avaient des caractéristiques communes. À partir de là, le nombre de cas a toujours monté », explique le DAlier Marrero, le neurologue qui a établi le lien entre les personnes infectées. Jusqu’à présent, la maladie a touché au moins 48 personnes et fait 6 morts dans la province.

PHOTO FOURNIE PAR ALIER MARRERO

Le Dr Alier Marrero, neurologue

Le DMarrero a été témoin de dizaines d’histoires semblables à celles de Roger Ellis et de Luc LeBlanc. « Ce sont des gens qui avaient une très bonne santé et, tout à coup, ils ont des changements de comportements. Ils deviennent anxieux, dépressifs, parfois agressifs », explique le neurologue.

Les patients développent ensuite des douleurs inexpliquées dans les bras, dans les jambes et ont des spasmes musculaires. « Quand on fait des tests habituels, tout est normal. Il n’y a pas d’explication à leurs douleurs. C’est le cerveau lui-même qui génère la douleur », dit-il.

Dans les semaines qui vont suivre, les patients vont développer des troubles du langage, suivis de troubles de la coordination. « Les personnes vont bégayer et répéter sans cesse les mêmes mots et les mêmes phrases. Elles vont aussi avoir de la difficulté à marcher », indique le DMarrero.

En quelques mois, les muscles et le cerveau de l’individu vont s’atrophier, ce qui éventuellement engendre la mort.

Cause environnementale soupçonnée

Les personnes atteintes de la maladie ne sont pas distribuées de façon homogène dans la province, indique le spécialiste. La plupart d’entre eux vivaient dans les régions du sud-est et du nord-est du Nouveau-Brunswick, dans la péninsule acadienne et dans la région de Moncton.

Malgré des examens approfondis, aucun diagnostic n’a été déterminé pour le moment.

Ça demeure un mystère pour nous. Mais nous savons maintenant que ce n’est pas génétique, c’est acquis dans l’environnement. C’est peut-être à cause de l’eau ou des animaux.

Le Dr Alier Marrero

Les spécialistes explorent toutes les causes potentielles, notamment les expositions alimentaires, environnementales et animales. « Une série d’experts ont été consultés depuis des mois. On a communiqué avec des vétérinaires et des experts en santé environnementale et en sécurité alimentaire. On a aussi consulté des experts de la faune et la flore et du ministère des Pêches et des Océans », dit le DMarrero.

Ensemble, les experts ont construit un questionnaire élargi pour chaque patient. L’objectif ? Trouver le point commun entre les individus infectés. Pour ce faire, le personnel médical tente de retrouver tous les endroits où les patients sont allés au cours de leur vie. « Nous vérifions les professions, les voyages et les loisirs de chaque personne », dit le DMarrero.

Rendre l’information publique

Le DMarrero souligne l’importance de faire connaître la maladie. « Avec la collaboration de la santé publique fédérale et provinciale, des contacts ont été établis avec la santé publique des autres provinces, dont le Québec, pour les mettre au courant », dit-il.

Selon le neurologue, des cas de la maladie se trouvent peut-être déjà au Québec.

Le Québec est juste de l’autre côté de la frontière. S’il y a des cas, ils pourraient être évalués et dirigés vers des spécialistes de notre province.

Le Dr Alier Marrero

Steve Ellis souhaite également que la maladie se fasse connaître le plus rapidement possible. « Je sais que beaucoup de personnes de la Gaspésie vont dans la péninsule acadienne, parce que c’est vraiment proche. C’est important qu’elles soient au courant », dit-il.

Une clinique spécialisée

Une clinique spéciale consacrée aux personnes atteintes du syndrome neurologique inconnu a ouvert à Moncton à la fin du mois d’avril. La clinique s’attend à recevoir entre 16 et 20 patients par semaine.

« Tous les cas de la province seront transmis à la clinique pour qu’ils soient tous évalués au même endroit », explique le DMarrero. Le but de la clinique sera de cerner les causes de la condition et de développer un traitement.

La Clinique du syndrome neurodégénératif spécial sera dirigée par une équipe médicale multidisciplinaire composée d’un travailleur social, d’un neuropsychologue, d’une infirmière et de personnel de soutien administratif. « Notre travail n’est pas seulement de trouver la cause, mais aussi d’accompagner les patients. Chaque personne que l’on rencontre nous touche. Il faut les soigner avec empathie et compassion », soutient le DMarrero.

Des rencontres auront lieu chaque semaine avec des spécialistes de différents pays, afin d’échanger sur la maladie.