Une ingénieure montréalaise, Farah Alibay, est aux commandes de l’astromobile (ou rover) Perseverance, qui s’est posée jeudi sur Mars. La Presse s’est entretenue avec la femme de 32 ans, qui a vécu jusqu’à l’âge de 13 ans à Joliette et a toujours beaucoup d’amis et de parents au Québec.

Avez-vous commencé à piloter ?

Pour les trois ou quatre premiers jours, je fais partie de l’équipe qui fait les premières analyses, qui vérifie que tout fonctionne bien. À partir de mardi, je vais travailler avec l’équipe qui prépare l’itinéraire pour Perseverance. Comme il y a 12 minutes de délai de communication dans les deux sens, on ne peut pas conduire en temps réel avec un joystick. Chaque nuit martienne, on reçoit toutes les données, toutes les photos, et on prépare un plan pour la journée suivante : comment on va conduire, comment on bouge le bras, comment utiliser tel instrument. Mon job, c’est d’assembler tous ces morceaux-là, de réaliser le plan global.

Perseverance n’est-il pas plus autonome que ses prédécesseurs ?

Il est capable de se conduire lui-même. On lui fait un plan pour la journée et on lui dit : « Quand tu auras fini, conduis 200 mètres vers le nord. » Il évite les obstacles par lui-même. Il pourra aussi éventuellement décider de faire une analyse non prévue, de dire : « Cette roche-là a l’air cool. »

Depuis quand êtes-vous à la NASA ?

Ça fait sept ans et c’est ma deuxième mission vers Mars. J’ai travaillé sur InSight, qui a atterri il y a deux ans et demi. Ç’a été un long chemin vers la NASA. Après mes études, j’ai fait un stage à la NASA. C’était l’été où l’astromobile Curiosity a atterri sur Mars. J’ai cogné aux portes de tous les patrons pour leur raconter mon histoire, pour avoir un poste.

Combien de temps allez-vous travailler sur Perseverance ?

Au moins jusqu’à la fin de l’année. Les trois premiers mois sont les plus intenses. On travaille au rythme de Mars : comme un jour martien dure 24 heures 39 minutes, notre horaire doit être décalé de 39 minutes chaque jour. À un moment donné, on va vivre la nuit. Alors, quand Mars va se retrouver de l’autre côté du Soleil, en septembre, et qu’on va passer un mois sans pouvoir communiquer avec Perseverance, on va prendre des vacances pendant que le robot fait une sieste. J’ai hâte !

Vous dites avoir été inspirée par un enseignant au secondaire…

C’était quand j’étais en Angleterre [de l’âge de 13 ans jusqu’à l’université]. Il m’a fait travailler tellement fort, il me donnait toujours des exercices supplémentaires. J’ai réalisé plus tard qu’il voulait me préparer pour l’université. Il savait que je voulais aller dans une grande université, mais que c’était plus difficile si on avait fréquenté une école publique, comme moi, plutôt qu’une grande école privée. Je lui parle encore une ou deux fois par année, j’ai même parlé à la classe de ses petits-enfants.

On parle beaucoup, ces temps-ci, de la pression qu’on fait subir aux jeunes, particulièrement aux filles, pour qu’ils réussissent.

Ce prof s’est rendu compte que je m’ennuyais à l’école parce que c’était trop facile. Mes parents m’ont toujours encouragée à faire ce que je voulais : du patinage artistique, du ski… Au secondaire, j’avais un job, je travaillais dans un resto. Quand j’étais petite, ma mère me disait : « Ne grandis pas trop vite, prends le temps de jouer. » Je prenais tous mes jouets et je les ouvrais pour voir comment ils fonctionnaient. Ça a beaucoup nourri ma curiosité. Aujourd’hui, après avoir travaillé plusieurs semaines de 70, 80, 90 heures sur Perseverance, je sais que j’ai besoin de prendre du temps pour me reposer.

Vous avez quitté le Québec à 13 ans. Y avez-vous encore des proches ?

Beaucoup, et la famille de ma mère est encore au Québec. Mes parents habitent maintenant en France, mon père a travaillé à l’étranger comme ingénieur, mais ils prévoient redéménager au Québec.

Que vous a apporté le Québec ?

Quand je travaillais sur InSight, il y avait un instrument français : parler français m’a beaucoup aidée, même si les Français riaient un peu de mon accent québécois. Le fait de connaître plusieurs cultures m’a amenée à privilégier la diversité, l’inclusion ; je fais partie de comités sur ces questions à la NASA.

Pensez-vous aller un jour dans l’espace ou que vos enfants iront sur la Lune ou sur Mars ?

J’ai toujours voulu être astronaute, j’en rêve encore. La NASA prévoit, d’ici 20 à 30 ans, d’envoyer des astronautes sur Mars, alors qui sait ?

Des nouvelles de Perseverance

Les tests sur Perseverance ont continué vendredi. Ce week-end, son mât devrait être déployé, ce qui permettra de prendre des photos panoramiques. Après plusieurs jours de vérifications et de mises à jour logicielles, la première mission de Perseverance sera de déployer l’hélicoptère Ingenuity, une tâche qui prendra dix jours. Les tests de vol d’Ingenuity, une technologie qui ne sera pas utilisée de manière opérationnelle lors de cette mission, prendront un mois. Il y aura d’autres tests de technologie, notamment une mini-usine de fabrication d’oxygène à partir du dioxyde de carbone de l’atmosphère martienne. C’est seulement après que Perseverance prendra la route.