Elle s’appelle Farah Alibay. Fille de Joliette, bardée de diplômes, ingénieure. C’est elle qui est ces jours-ci aux commandes d’un astrovéhicule que la NASA vient de poser sur Mars. Juste ça !

Je l’écoutais chez Anne-Marie Dussault, jeudi : éloquente, brillante, rayonnante. Une ambassadrice charismatique pour la science, pour la technologie, pour la… persévérance.

Perseverance est le nom du rover qui s’est posé il y a deux jours dans le cratère Jezero, sur la planète rouge, et « persévérance », c’est aussi le credo de Mme Alibay : tout ne lui a pas été donné tout cuit dans le bec. Elle a dû se battre, surmonter des échecs ; bref, ça n’a pas été, dit-elle, une ligne droite de Joliette à la NASA…

Et la voilà aux commandes du rover américain sur Mars, le cinquième du genre. Perseverance va glaner des informations et des échantillons qui vont nous renseigner sur cette planète qui nous fascine, nous, les humains, depuis la nuit des temps.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE FARAH ALIBAY

Farah Alibay à sa console lors de l’atterrissage de la sonde Perseverance sur Mars au Jet Propulsion Laboratory de la NASA, en Californie, le 18 février dernier

Mars est, au moment où j’écris ces lignes, à 204 549 415 kilomètres de nous, ce qui fait que la lumière de la planète rouge met 11 minutes et très exactement 22 3034 secondes à nous parvenir. Un signal de Farah Alibay envoyé à Perseverance met 12 minutes à atteindre l’astrovéhicule… Et vice versa.

Je répète : Mars est à 204 549 415 kilomètres de nous. Et il faut 12 minutes pour envoyer une commande à l’astrovéhicule…

Avez-vous le vertige ? J’ai le vertige.

Mais ce vertige-là, provoqué par les distances (littéralement) astronomiques, n’est rien à côté de ce que cherche, au fond, la NASA sur Mars : un signe de vie, actuelle ou ancienne. Farah Alibay fait partie d’une équipe qui commande un robot cherchant des réponses à cette question qui nous chatouille depuis toujours, nous, les humains, depuis que nous regardons le ciel : sommes-nous seuls ?

Je ne parle pas de Martiens cachés dans des grottes, je parle de microbes. La vie commence avec des microbes. Depuis des années, les scientifiques postulent qu’il pourrait y avoir eu de la vie sur Mars, parce qu’on y voit des canaux, des canyons…

Ce qui donne à penser qu’il y aurait eu de l’eau sur Mars. Donc des microbes… Donc de la vie.

Je cite un ami, que j’appellerai Le Mammouth, qui a eu ces mots de petit garçon émerveillé jeudi quand Perseverance a envoyé sa première image de Mars, un sol rocailleux ombragé par sa propre silhouette mécanique : « Si, avant que je quitte ce monde, et à défaut de pouvoir regarder les étoiles encore plus haut que l’exosphère, je pouvais enfin savoir que la vie a existé ailleurs, je serais l’homme le plus heureux de la planète… »

Le vertige fondamental du mystère de la vie dans l’univers, joliment résumé en quelques mots.

À quoi sert la grande aventure de l’exploration spatiale ? Ah, les spécialistes vous citeront mille inventions qui nous servent dans le quotidien – mousse mémoire, lentilles de lunettes anti-égratignures ou chirurgie oculaire LASIK – toutes dérivées de notre entêtement à explorer l’espace, depuis 60 ans, toutes formidables d’ingéniosité…

  • La première image haute résolution prise par les « Hazard Cameras » (Hazcams), situées sous l’astromobile Perseverance, après son atterrissage sur Mars.

    PHOTO NASA/JPL-CALTECH, REUTERS

    La première image haute résolution prise par les « Hazard Cameras » (Hazcams), situées sous l’astromobile Perseverance, après son atterrissage sur Mars.

  • La plateforme de descente, qui contient l’astromobile Perseverance, en chute libre dans l’atmosphère de Mars, attachée à son parachute. L’image a été captée par l’orbiteur de Mars, Reconnaissance.

    PHOTO NASA/JPL-CALTECH, REUTERS

    La plateforme de descente, qui contient l’astromobile Perseverance, en chute libre dans l’atmosphère de Mars, attachée à son parachute. L’image a été captée par l’orbiteur de Mars, Reconnaissance.

  • L’astromobile Perseverance en plein amarsissage. L’image a été captée par la plateforme de descente.

    PHOTO NASA/JPL-CALTECH, REUTERS

    L’astromobile Perseverance en plein amarsissage. L’image a été captée par la plateforme de descente.

  • L’une des six roues de l’astromobile Perseverance, captée en haute définition et en couleur par les « Hazard Cameras ».

    PHOTO NASA/JPL-CALTECH, REUTERS

    L’une des six roues de l’astromobile Perseverance, captée en haute définition et en couleur par les « Hazard Cameras ».

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Et si l’exploration spatiale servait à nous faire réfléchir au sens de la vie, à notre place dans l’Univers ; à nous extraire de notre nombril, pour regarder vers l’au-delà ?

Farah Alibay est aux commandes du rover depuis quelques heures. Tout part d’un film, dans son cas : Apollo 13, du nom de cette mission lunaire de 1970 qui a failli virer à la catastrophe… Catastrophe évitée grâce aux ingénieurs de la NASA. Farah Alibay a vu ce film mettant en vedette Tom Hanks et elle a attrapé le virus, le virus de l’espace.

Autre inspiration : Julie Payette, qui n’a pas été qu’une mauvaise gouverneure générale, qui a été un modèle pour l’ingénieure Alibay. Une femme, comme elle, qui travaille dans l’espace, qui est astronaute ? Ç’a été un signal pour la jeune Farah : go, girl, toi aussi, tu le peux, vise les étoiles !

On ne dira jamais assez le pouvoir de l’émulation. Et Farah Alibay va inspirer d’autres femmes, d’autres personnes des minorités à explorer le ciel. Ce n’est pas rien.

De Madagascar à Joliette, de l’école Antoine-Manseau à Cambridge et au MIT, d’échecs en recalages pour aboutir au Jet Propulsion Laboratory de la NASA en Californie, de la Terre à Mars : l’histoire de Mme Alibay est irrésistible…

Cette petite fille née à Montréal de parents malgaches qui avaient choisi le Québec comme destination dans cette grande aventure humaine qu’est l’immigration s’est un jour dit, pendant son secondaire : « Il y a des gens qui travaillent à la NASA, pourquoi ce ne serait pas moi ? »

Et ç’a été elle, Farah, qui pousse plus loin la grande aventure humaine, la grande et mystérieuse aventure de la vie.

Je vous l’ai dit, hein ? Ça me donne le vertige.

VOCABULAIRE MARTIEN — C’est le vocabulaire qu’il faut, semble-t-il, utiliser pour parler d’un atterrissage sur Mars.

Autant vous le dire comme ça sort : « présentiel », je vais m’y habituer ; « distanciel », même chose ; mais « amarsissage », jamais, ce sera la seule fois…