Les criminels antisociaux ont des cerveaux différents de la normale. L’imagerie cérébrale montre qu’ils ont moins d’empathie, sont plus impulsifs et ont plus de difficulté à comprendre les émotions d’autrui, révèle une étude de chercheurs québécois, publiée cet automne dans la revue Neuroscience and Behavioral Reviews. La Presse s’est entretenue avec Jules Dugré et son directeur de thèse de doctorat Stéphane Potvin, de l’Université de Montréal, qui ont travaillé avec des collègues du King’s College de Londres.

Quelle est la genèse de cette étude ?

Stéphane Potvin : La violence est un problème social préoccupant, qui engendre des coûts de plus de 15 milliards pour la société au Canada chaque année. Les personnes les plus à risque d’être violentes ont un trouble de personnalité antisociale, une irritabilité, une irresponsabilité, une impulsivité, etc. Ce trouble est dû dans une proportion d’environ 50 % à des facteurs neurobiologiques, même si les facteurs sociaux sont extrêmement importants. Nous voulions mieux comprendre les différentes hypothèses sur ces mécanismes neurobiologiques.

Quelles sont les hypothèses en question ?

Jules Dugré : La moitié des détenus dans les prisons ont un trouble de personnalité antisociale. Les études psychocriminologiques sur ces personnes ont noté une insensibilité potentielle à la punition, un manque d’empathie et une hypersensibilité à la récompense, à l’appât du gain. Nous avons regroupé 83 études en neuroimagerie, c’est la méta-analyse la plus exhaustive sur le sujet. Ce qui ressort, c’est qu’il y a des différences sur le plan du contrôle cognitif, sur le plan de la capacité à inhiber une réponse inadéquate ou violente. Ensuite, aussi sur le plan de la cognition sociale, de l’empathie, de la capacité à inférer les états mentaux d’autrui, c’est plus difficile. En outre, pour la détection des menaces, face à la peur, par exemple, il y a une hyposensibilité aux stimuli négatifs – en anglais, on parle de fearlessness. Finalement, il y a une moins grande sensibilité aux punitions, qui ne semblent pas chez ces personnes modifier le comportement.

Est-ce que certaines hypothèses des études psychocriminelles ont été invalidées ?

Stéphane Potvin : Il est important de noter que pour les caractéristiques où nous avons vu des corrélations, il y avait aussi une correspondance au niveau des régions du cerveau impliquées dans ces domaines cognitifs. Les deux domaines où on a eu des résultats mitigés sont le système de la récompense, ainsi que la prise de risque. Pour la récompense, on pensait que ce serait la même chose que pour les réseaux impliqués dans les punitions, mais on n’a pas vu grand-chose.

Pouvez-vous déjà appliquer ces résultats à l’encadrement des prisonniers, à la prévention de la criminalité et aux libérations conditionnelles ?

Jules Dugré : Il faut être prudent, mais on pourra éventuellement identifier les sous-populations à risque de passage à l’acte, et aussi les processus neurobiologiques impliqués. Il faut vraiment comprendre comment ces personnes-là réagissent pour réduire le risque.

Stéphane Potvin : Il est important de faire une étude longitudinale [étude consistant à suivre les mêmes personnes sur plusieurs années] pour voir si les altérations neurobiologiques restent stables dans le temps ou si elles fluctuent, comment elles sont en fonction de l’état clinique, et identifier des marqueurs de réponse au traitement. Ce genre d’étude neurobiologique longitudinale sera de plus en plus courant en psychiatrie.

Pensez-vous que la prédiction de la récidive sur des critères de neuroimagerie sera utilisée couramment avant que vous preniez votre retraite ?

Jules Dugré : Il faut tout d’abord que je finisse mon doctorat.

Stéphane Potvin : Je ne veux pas parler en termes d’années, mais je ne doute pas qu’avec l’évolution de la neuroimagerie, la psychiatrie va aller vers ça.

Y a-t-il des recherches sur la part d’inné et d’acquis de ces particularités neurobiologiques ?

Jules Dugré : Dans le diagnostic de personnalité antisociale, il faut une persistance des comportements antisociaux avant l’âge de 12-15 ans, avec de la violence. Mais les hypothèses sur l’origine de ces troubles ne sont pas encore validées.

Stéphane Potvin : Pour être vraiment généreux, on peut évoquer l’une des hypothèses, qui implique l’oxytocine, la neurohormone de l’attachement. Des variations génétiques des récepteurs de l’oxytocine sont peut-être associées aux troubles de personnalité antisociale. Mais la démonstration génétique est extrêmement complexe.

Jules Dugré : Il y a aussi l’hypothèse de l’amygdale [les amygdales sont des lobules du cerveau], impliquée dans le système du cortisol, l’hormone du stress, et dans la détection de la menace. Mais dans notre étude, nous n’avons pas trouvé de lien entre l’amygdale et la détection de la menace. Il y avait quelques petits liens dans les sous-analyses, mais pas plus.

Outre les études longitudinales, quelle est la prochaine étape de vos recherches ?

Stéphane Potvin : On veut étudier la coactivation entre les différentes régions du cerveau pour les particularités neurobiologiques des troubles de personnalité antisociale.

Est-ce que la neuroimagerie pourrait être utilisée pour étudier d’autres phénomènes sociaux, comme le racisme systémique ?

Stéphane Potvin : Je suis d’abord et avant tout chercheur en schizophrénie. Mes travaux portent principalement sur ces populations-là, sur la neuroimagerie comme prédicteur de la réponse aux traitements, aussi pour d’autres troubles psychiatriques.

Jules Dugré : Effectivement, ça pourrait être utilisé pour des processus biologiques que tout le monde a. On pourrait étudier l’empathie envers d’autres types de populations, par exemple les adeptes de théories du complot et les antivaccins.

Les propos ont été édités pour plus de clarté.