La COVID-19 va faire entre 5 et 45 fois plus de morts que la grippe saisonnière, selon une nouvelle analyse américaine. Les auteurs déplorent que plusieurs citent des extrapolations au sujet de la grippe pour s’attaquer au confinement.

« Certains regardent les chiffres du nombre de morts de la COVID-19 et se disent que ce n’est pas beaucoup plus élevé que la grippe saisonnière », explique l’auteur principal de l’étude publiée jeudi dans la revue JAMA Internal Medicine, Jeremy Faust, de l’Université Harvard. « On ne peut pas comparer les extrapolations de mortalité probable de la grippe et les morts comptabilisées en bonne et due forme pour la COVID-19. »

Les extrapolations utilisées pour la grippe ne peuvent servir à la comparer à la pandémie actuelle. « Les extrapolations visaient à pallier le sous-diagnostic découlant du fait que les tests grippaux ne sont pas toujours faits à l’hôpital, dit le Dr Faust. Les CDC pensaient que ça inciterait les gens à avoir une meilleure hygiène, à se faire vacciner. Alors on arrivait avec des extrapolations probablement trop élevées. J’ai toujours su que c’était une faute académique, mais je n’avais jamais pensé que ça aurait pu avoir des conséquences aussi funestes. »

On voit des politiciens s’appuyer sur ces extrapolations pour justifier la réouverture des magasins.

Le Dr Jeremy Faust, de l’Université Harvard

Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) estiment que la grippe fait de 23 000 à 61 000 morts chaque année aux États-Unis. Mais le nombre de morts officiellement attribués à la grippe saisonnière allait de 3348 à 15 620 par année entre 2013 et 2020. Cela signifie que la COVID-19 sera entre 9,5 et 44,1 fois plus mortelle que la grippe saisonnière.

Décès probable

Même si plusieurs départements de santé publique ont commencé à comptabiliser sous la rubrique COVID-19 des décès sans test, avec le qualificatif « décès COVID-19 probable », le Dr Faust estime que le nombre réel est probablement plus élevé. « On a de faux négatifs dans les tests, particulièrement quand le patient arrive tard dans la maladie, dit le Dr Faust. On voit que le nombre d’excès de décès par rapport aux autres années est plus élevé. »

Est-il possible que le nombre de décès passe sous la moyenne annuelle cet été parce que des patients très âgés seront morts quelques mois avant terme ? « Oui, c’est possible, dit le Dr Faust. On doit donc parler d’‟années de vie perdues” pour additionner les gens qui ont eu une vie écourtée de quelques mois. »

Dans les processus d’autorisation des nouveaux médicaments, on utilise souvent la notion d’« années de vie ajustées par la qualité » (QALY), plutôt que simplement d’« années de vie » (LY), pour donner plus de poids aux années passées en bonne santé. Ce concept sera-t-il aussi utilisé dans le cadre de la COVID-19 ? « Je pensais que oui, mais visiblement, c’est très délicat, on ne veut pas avoir l’air de dire que certaines vies valent moins que d’autres. »

Est-il possible que le nombre de morts officiellement attribués à la grippe soit aussi sous-évalué ? « Il est vrai que si une personne a une crise cardiaque, arrive à l’hôpital, a un test positif de COVID-19 puis meurt, on va attribuer le décès à la COVID-19, dit le Dr Faust. Il est difficile de dire ce qui se produit dans une telle situation si le patient a plutôt la grippe. Tout d’abord, on ne teste pas systématiquement tous les patients pour la grippe. Mais j’ai des doutes sur la mortalité réellement attribuable à la grippe. Si vous regardez les courbes de mortalité des 20 dernières années, il est impossible de déterminer les années où la grippe a été plus sévère. »

La vérité sur le Diamond Princess

Une autre comparaison est possible avec le navire de croisière Diamond Princess, qui a été coincé pendant des semaines au Japon avec 3700 passagers. « J’ai été l’un des premiers à souligner, au début de mars dans Slate, que le Diamond Princess pouvait nous donner le taux réel de mortalité parce que tout le monde à bord était testé, dit le Dr Faust. En ajustant pour l’âge des passagers, ça donne un taux de 0,5 % [une infection mène à la mort dans 1 cas sur 200]. C’est cinq fois plus que le taux officiel de la grippe. Mais le taux de mortalité de la grippe n’est pas très solide, et la COVID-19 sera 10, 20, 50 fois pire parce qu’on n’a pas d’immunité de groupe. »

En chiffres

752,4 : mortalité hebdomadaire lors du pic de la saison grippale, moyenne des saisons 2013-2020, aux États-Unis

15 455 : mortalité hebdomadaire lors du pic de la première vague de COVID-19, aux États-Unis

SOURCE : JAMA