Même si le monde réussit à s’entendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, les changements climatiques auront un impact inévitable sur les océans et les côtes. À la plus récente réunion annuelle de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), à la mi-février à Seattle, une dizaine de chercheurs présentaient leurs observations et prédictions sur la vie marine. Un dossier de Mathieu Perreault

Le mystère des océans

Plus chauds, plus acides, moins oxygénés. Telle est la prédiction générale pour l’impact des changements climatiques sur les océans. Mais il est très difficile de prévoir quel sera l’effet sur les chaînes alimentaires complexes de la vie marine.

Acidification

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L’acidification des océans entraînée par les changements climatiques nuit aux organismes ayant une carapace. Si plusieurs espèces de zooplancton en ont et risquent d’être affectées, il est loin d’être évident que cela se traduira directement par une baisse de la productivité marine. « Certains types de phytoplancton [des algues microscopiques] ont une photosynthèse beaucoup plus efficace quand le taux de CO2 dans l’eau augmente », explique Scott Doney, un biologiste de l’Université de Virginie qui présentait ses recherches à l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS). « D’autres peuvent tirer de l’énergie du carbone présent dans l’eau. S’il y en a plus, il y a plus d’énergie. Mais il n’est pas clair que la faible quantité de CO2 dissoute dans l’eau, qui est comparable à la concentration dans l’air, change beaucoup la donne. » Et même l’effet du pH sur les carapaces du zooplancton est incertain. « Il y a un effet sur la formation de la carapace, mais aussi sur le métabolisme général du zooplancton, dit M. Doney. Les travaux sur l’effet de l’acidification sur le métabolisme sont très récents, il n’est pas clair dans quelle direction ça va aller. »

Oxygène et algues toxiques

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Les coups de chaleur et l’acidification provoquent des vagues de blanchissement de coraux.

L’acidification des océans pourrait affecter davantage certaines espèces de plancton que d’autres. « Les algues toxiques semblent prospérer dans les eaux chaudes et acides, dit M. Doney. Mais là, il y a aussi un effet important de l’oxygénation de l’eau. Les algues toxiques semblent aimer les eaux qui ont peu d’oxygène. On s’attend à ce que dans certaines régions, surtout dans les tropiques, il y ait plus de stratification des eaux, que les eaux profondes se mélangent moins avec les eaux de surface et que ça mène à des zones très peu oxygénées. Mais on connaît encore mal l’effet que les changements climatiques auront sur les courants marins, qui pourraient changer la donne au niveau de la stratification et de l’oxygénation. » Dans ce portrait négatif pour certaines des régions très prisées par les touristes des pays riches, il ressort toutefois une bonne nouvelle pour le monde entier. « Les mers les plus susceptibles d’être frappées par une stratification et une diminution du taux d’oxygène ne sont pas les plus productrices au monde, loin de là », dit M. Doney.

Les invasions à venir

L’une des sessions du congrès de l’AAAS à Seattle portait uniquement sur les parasites et les virus marins. Les trois chercheuses, Kristina Miller de Pêches et Océans Canada, Carolyn Friedman de l’Université de Washington, et C. Drew Harvell de l’Université Cornell, ont affirmé que plusieurs maladies dévastatrices pour les animaux marins sont plus virulentes dans les eaux chaudes. Elles travaillent respectivement sur le saumon, les huîtres et les étoiles de mer. « Ça a des effets en cascade, dit Mme Harvell. Les étoiles de mer ne contrôlent plus les populations d’oursins, qui dévastent les forêts d’algues où se cachent les juvéniles de nombreuses espèces de poissons. » Ces maladies migrent aussi vers le nord, où des populations n’ayant aucune protection sont très vulnérables. Ces dernières années, par exemple, un parasite affectant le chat domestique (notamment dangereux pour les femmes enceintes) a atteint l’Alaska, où il provoque des morts de mammifères marins, notamment des bélugas.

Une lueur d’espoir

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Un océanologue californien a annoncé des nouvelles relativement bonnes au congrès de l’AAAS. James Randerson, de l’Université de Californie à Irvine, a découvert que les modèles d’oxygénation de l’eau prévoient une diminution dans les tropiques, mais seulement jusqu’en… 2150. Par la suite, les zones pauvres en oxygène rapetissent progressivement, jusqu’à retrouver les taux d’oxygénation actuels. Ce phénomène est dû à un rééquilibrage avec l’océan Austral qui, par ailleurs, devrait aussi diminuer la quantité d’azote dans les tropiques à partir du XXIIe siècle. Les taux d’azote augmentent dans les tropiques en raison du boom agricole dans les pays émergents, l’azote des engrais n’étant pas complètement absorbé par les champs.

Des sentinelles robotiques

Un chimiste du prestigieux institut océanographique Woods Hole, au Massachusetts, pense que les drones sous-marins constituent la seule manière de bien comprendre et prévoir les changements à la vie marine qu’amèneront les changements climatiques. « Il nous faut comprendre la base de la vie marine, les processus microbiologiques, a expliqué Mak Saito, de Woods Hole, à Seattle. Nous avons mis au point une analyse automatique des principaux biomarqueurs de stress et enzymes microbiens, qui sera transportée par des drones sous-marins autonomes. C’est un projet qui permettra de diagnostiquer les changements à l’échelle des océans. »

Sonner la retraite

Quand on pense changements climatiques et océans, on pense généralement au niveau de la mer qui augmente. Une politologue de l’Université Harvard, A.R. Siders, a présenté au congrès de l’AAAS un plan d’action pour gérer de manière équitable les évacuations de communautés côtières menacées. « Mon analyse des propriétés achetées par un programme national visant à évacuer les zones trop souvent inondées montre que le résultat est très inéquitable, dit Mme Siders. Dans les quartiers pauvres, souvent les propriétés seront achetées à la pièce, sans plan d’ensemble, à faible prix. Celles qui restent valent encore moins cher, sont invendables. Il y a un problème aussi avec les locataires, qui ne sont souvent pas compensés pour leur déménagement. Il faut absolument planifier cette retraite de nos rives pour éviter d’aggraver les inégalités sociales. »

En chiffres

6 cm : augmentation du niveau de la mer entre 2000 et 2016
15 cm : augmentation du niveau de la mer entre 1880 et 2000 15 à 45 cm : augmentation du niveau de la mer en 2090, par rapport à maintenant, si les Accords de Paris sont respectés
23 à 53 cm : augmentation du niveau de la mer en 2090, par rapport à maintenant, en vertu des engagements fermes pris actuellement

Sources : GIEC, Nature

La question des élèves

Une question posée par Érika Salvas, Émilie Fortier et Séléna Kaloune en secondaire 2 du Collège de L’Assomption.

Question 

Est-ce que les changement risquent d’affecter la photosynthèse dans les océans et rendre la nourriture moins disponible pour les autres espèces, et l’homme en particulier ?

Réponse

La photosynthèse est un processus par lequel les plantes prennent du CO2 et de l’énergie solaire et fabriquent de la matière organique, relâchant de l’oxygène. Ainsi en théorie, plus de CO2, plus de photosynthèse, normalement.

Mais cela ne vaut que sur la terre ferme. Quand ils se réchauffent, les océans ont une capacité diminuée d’absorber le gaz carbonique de l’atmosphère. Ainsi, le taux de CO2 dans la mer va augmenter, mais moins rapidement que dans l’atmosphère. Et le gaz carbonique dissous dans l’eau de mer la rend plus acide, ce qui va affecter la photosynthèse par les algues (phytoplancton) d’une manière encore mal comprise.

Par contre, l’acidification des mers devrait être négative pour au moins certaines espèces de zooplancton, qui se nourrissent de phytoplancton.

Le réchauffement de la planète pourrait aussi favoriser dans certaines régions des océans les algues toxiques plutôt que les algues vertes à la base de la chaîne alimentaire.

Pour compliquer le tout, on a récemment découvert des bactéries océaniques dotées d’une molécule appelée rhodopsine, capable de transformer l’énergie du soleil en énergie cellulaire. Cette capacité est appelée « phototrophie », plutôt que « photosynthèse ». La moitié de l’énergie solaire captée par les océans et transformée en matière organique serait due à cette rhodopsine plutôt qu’à la photosynthèse, selon une étude publiée l’automne dernier dans la revue Science Advances.

Dans le cadre d’un projet spécial, des écoles québécoises ont soumis des questions scientifiques à notre journaliste, qui y répondra d’ici à la fin de l’année scolaire. Si votre école désire participer au projet, où que vous soyez au Québec, écrivez-nous !

Écrivez-vous pour nous faire part de votre question à mperreault@lapresse.ca

Rectificatif:
Une version antérieure de ce texte comportait les mauvais noms des élèves posant la question.