Un jour, les œufs sont bourrés de cholestérol. Le lendemain, ils sont sans danger pour les personnes aux prises avec un excès de cholestérol. Les études se succèdent avec des résultats souvent contradictoires : de quoi semer le doute sur la qualité de la recherche en nutrition. Le Détecteur de rumeurs s’est interrogé sur la façon dont un Détecteur de rumeurs en herbe pourrait commencer à distinguer le vrai du faux.

À peu près tous les aliments, et les nutriments qu’ils contiennent, ont été scrutés par des chercheurs ou par des compagnies qui tentent de leur trouver des bienfaits — ou des effets malsains — sur notre organisme. Certaines de ces études sont répercutées par les médias ou les réseaux sociaux, mais pas toujours avec les nuances qui s’imposent. Comment faire le tri ?

Pour commencer, il existe plusieurs questions de base que le commun des mortels peut poser à propos d’une étude : le Détecteur de rumeurs en avait d’ailleurs parlé ici et ici, dans le contexte de la pandémie. Or, toutes ces questions restent valables pour toutes les études scientifiques, quelle que soit la discipline. Mais quand il s’agit de nutrition, certaines sont à considérer avec plus d’attention.

1. De quand date l’étude ?

Les médias fournissent souvent peu d’informations sur le contexte dans lequel s’inscrit une étude : les résultats viennent-ils confirmer ou infirmer les conclusions d’une ou de plusieurs recherches antérieures ? L’absence de ce contexte peut entraîner une exagération de l’importance de l’étude.

On ne peut demander à tout le monde de faire une recherche dans une base de données d’études scientifiques pour savoir si d’autres chercheurs ont exploré le même sujet. Par contre, on peut vérifier de quand date l’étude : si elle est vieille de quelques mois ou de quelques années, et si le journaliste ou le Youtubeur qui nous en parle ne semble pas avoir demandé à d’autres experts ce qu’ils avaient à dire là-dessus depuis cette parution, c’est mauvais signe.

Il est normal qu’une étude qui confirme une croyance populaire (« le lait est bon pour les os ! ») ou aille à l’encontre de ce qui était tenu pour acquis (« le chocolat est bon pour la santé ! ») attire l’attention des médias et du public des réseaux sociaux. Il est donc encore plus important de se demander si c’est la toute première étude à arriver à cette conclusion, ou si, depuis sa parution, d’autres chercheurs n’ont pas apporté des bémols ou des critiques.

PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Des grains de cacao

Si, en effet, les résultats remettent en question des connaissances scientifiques établies, il est préférable d’attendre que de nouvelles études viennent les confirmer avant d’y ajouter foi.

2. Combien de personnes ont participé à l’étude ?

Les grandes études, menées auprès de milliers de participants, fournissent souvent des résultats plus fiables que les petites études n’incluant aussi peu que 10 personnes. Le nombre de participants est une information qui devrait figurer en bonne place dans un reportage.

Les méta-analyses, qui combinent les résultats de plusieurs études individuelles, permettent d’augmenter la taille de l’échantillon et la puissance statistique. Toutefois, certaines méta-analyses regroupent des études avec des populations et des méthodes extrêmement différentes et cette variabilité réduit leur puissance, ce qui devrait être mentionné par les auteurs, et relayé par les articles de vulgarisation.

Là encore, il n’est pas rare de voir, en nutrition, des études qui ont été montées en épingle, alors qu’elles avaient été menées sur des groupes beaucoup trop petits pour qu’on puisse en tirer des conclusions.

3. L’étude a-t-elle été réalisée sur des animaux ou des humains ?

Il est inévitable que la question se pose en santé, où tout médicament devra d’abord être testé sur des animaux. Mais elle se pose aussi en alimentation: des nutriments et des aliments sont régulièrement testés sur des animaux. Pensons aux gras saturés qui favorisent l’obésité et le diabète chez les souris, au sucre qui augmente leur anxiété ou aux antioxydants et autres aliments réputés anticancer qui ont d’abord été testés chez des animaux.

Sauf que pour mieux comprendre comment ces aliments et nutriments affectent la santé humaine, ils doivent tôt ou tard être étudiés chez l’homme. Les tests faits sur des animaux ne peuvent pas systématiquement s’appliquer à l’humain en raison des différences physiologiques (réactions aux produits chimiques, susceptibilité aux virus, etc.). De plus, les doses administrées aux animaux peuvent être différentes de celles que l’on donnerait à des humains.

4. La méthodologie utilisée reflète-t-elle un usage normal ?

Les études sur des aliments ou leurs composants (vitamines, minéraux, etc.) impliquent souvent des doses impossibles à consommer dans la réalité. Quand il faudrait manger chaque jour quatre ou six tasses de brocolis ou de bleuets pour en retirer les bienfaits annoncés, il est difficile de penser que les conclusions de l’étude sont applicables !

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

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-St-Paul d'Abotsford, Quebec:
Dossier sur les confitures
Préparation de confitures chez Confitures Nathy (macération des fruits, cuisson, etc., et produits finaux)
- Portrait de Nathalie Daguzan
- Photo de la confiture dont elle nous donnera la recette
BLEUETS, SUCRE, CITRON, LAVANDE

-20 JUILLET 2017
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On ne peut pas s’attendre à ce qu’un reportage ait toujours l’espace nécessaire pour entrer dans tous ces détails. Mais les chercheurs et les médias qui rapportent l’étude devraient préciser si celle-ci portait sur un aliment ou sur ces composants. Par exemple, est-ce les participants devaient manger des bleuets, un extrait de jus de bleuets ou une capsule d’un antioxydant contenu dans le bleuet ?

5. Quelles sont les limites de l’étude ?

Lors de la publication de leur étude, les auteurs sont tenus de mentionner ce qu’ils considèrent comme étant les points faibles de leurs travaux. Par exemple, un nombre élevé d’abandons chez les participants lors d’études de longue durée imposant des régimes stricts. Ou encore, des résultats qui n’ont pas encore été confirmés. Ou une faiblesse dans le mode de cueillette de données. Ou l’âge des participants, puisque les effets d’un aliment ou d’un nutriment sur l’organisme peuvent différer selon qu’on est plus ou moins jeune. Le reportage qui relate cette étude devrait faire écho à de telles limites, lorsqu’il y en a. Et il y en a presque toujours.

6. De quel type d’étude s’agit-il ?

Lorsqu’il s’agit de tester un médicament, on sait que les études « en double aveugle » sont ce qu’il y a de plus solide. Un groupe reçoit le traitement qu’on veut tester et l’autre, un placébo. Personne ne sait à quel groupe il appartient. On compare ensuite les résultats pour chaque groupe.

En nutrition, de telles études sont souvent irréalisables en raison du coût élevé, de la difficulté de conserver la même alimentation sur une longue période et des problèmes éthiques potentiels. Et il est presque impossible de contrôler le régime alimentaire d’une personne dans un contexte de vie réelle. Imaginez, par exemple, soumettre 1000 personnes à un régime végétarien et autant à un régime de viande rouge pendant 20 ans afin de comparer les impacts sur la santé. Qui plus est, il serait impossible de cacher aux participants ce qu’ils mangent. Sans compter la difficulté de distinguer l’effet d’un seul aliment par rapport au reste de l’alimentation.

Souvent, les chercheurs en nutrition mènent donc plutôt ce qu’on appelle des études observationnelles. On rassemble des milliers de participants à qui on fait passer un examen médical et remplir un formulaire sur leurs habitudes de vie et leur alimentation. Les chercheurs observent les participants et évaluent leur état de santé régulièrement pendant quelques mois, mais le plus souvent pendant des années, voire jusqu’à 15 ans. Ces grandes cohortes permettent de croiser des milliers de variables alimentaires avec des milliers d’effets sur la santé. Les chercheurs peuvent ainsi associer des habitudes alimentaires à des états de santé. Par contre, ils peuvent difficilement démontrer une relation de cause à effet entre un aliment et un changement sur la santé.

Malgré ces limites, les études observationnelles, ou épidémiologiques, demeurent la meilleure façon de faire des études nutritionnelles. Elles permettent de désigner des pistes de réflexion et de nouvelles avenues de recherche.

7. Qui finance l’étude ?

Est-ce que les partenaires financiers de l’étude œuvrent dans le même secteur d’activité que le produit étudié ? L’industrie alimentaire ou agroalimentaire finance beaucoup de travaux de recherche. Il peut alors y avoir de l’ingérence dans le choix de la question de recherche, la sélection des données, l’interprétation des résultats et la façon de les expliquer au public.

En 2007, une analyse de plus de 100 études financées par l’industrie avait révélé que la source de financement était étroitement liée aux conclusions de l’étude. Il importe donc que les chercheurs, de même que ceux qui vulgarisent l’étude, mentionnent cette source de financement. Ces recherches ne doivent pas nécessairement être mises de côté, mais analysées en gardant à l’esprit le risque de biais.

8. Comment sont présentés les résultats dans les médias ?

Des nutritionnistes et des chercheurs en nutrition reprochent souvent aux journalistes de ne pas lire les études et de présenter les résultats hors contexte. Les médias se contentent trop souvent de publier les informations contenues dans les communiqués de presse émis par les universités et les centres de recherche — qui mettent nécessairement l’accent sur les éléments les plus encourageants ou les plus décourageants de l’étude — sans prendre le temps de lire les études pour en évaluer les forces et les faiblesses.

C’est ce qui était arrivé avec une revue de la littérature qui avait soulevé la controverse en 2019 lorsqu’on lui avait fait dire qu’on n’avait pas à limiter la consommation de viande rouge. Toutefois, en lisant la méthodologie, on constatait que les auteurs évaluaient à deux ou trois portions par semaine la consommation de viande rouge dans la population. Au final, leur recommandation de maintenir la consommation de viande rouge correspondait donc à celle de l’Organisation mondiale de la santé et du guide alimentaire canadien, qui est de limiter sa consommation de viande rouge à deux ou trois portions par semaine. Une mise en contexte qui a toute son importance…