Des collectionneurs sont prêts à investir des millions de dollars pour posséder leur propre squelette de dinosaure. L’expansion de ce marché se fait toutefois aux dépens des musées et des centres de recherche publics, qui ne peuvent rivaliser avec ces richissimes acheteurs. Le public et la communauté scientifique y perd au passage l’accès à de précieux fossiles. Explications.

Stan, le T-Rex new-yorkais

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Haut de 4 mètres et long de 12 m, les scientifiques estiment que Stan pesait de sept à huit tonnes de son vivant.

Le 6 octobre dernier, un des spécimens de Tyrannosaurus rex (« T-Rex ») les plus complets au monde a été mis en vente aux enchères à New York. D’abord estimé à moins de 10 millions US (13,2 millions CAN), « Stan » a été vendu 31,8 millions US (environ 41 millions CAN), le prix le plus élevé jamais payé aux enchères pour un fossile. Faisant 4 mètres de haut et 12 m de long, les scientifiques estiment qu’il pesait de sept à huit tonnes de son vivant. « Stan est un squelette unique qui a une très grande valeur scientifique », affirme Jordan Mallon, chercheur scientifique en paléobiologie au Musée canadien de la nature, puisque seule une cinquantaine de T-Rex ont été découverts depuis 1902. Stan a servi à de nombreux moulages destinés à une dizaine de musées dans le monde qui souhaitaient acquérir une copie. Une semaine après la vente de Stan, le squelette d’un allosaure a été adjugé à plus de 3 millions d’euros lors d’une vente aux enchères à Paris. Ce dinosaure, vieux de 150 millions d’années, est considéré comme le « grand-père » du T-Rex.

La vente de dinosaures : est-ce légal ?

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Ce squelette d’allosaure a été adjugé à plus de 3 millions d’euros lors d’une vente aux enchères à Paris il y a deux semaines.

La vente de squelettes de dinosaures est interdite au Canada, bien que la vente d’autres types de fossiles soit permise, explique Jordan Mallon. En Alberta, les dinosaures sont assez communs, mais les squelettes complets sont rares ; la province en interdit donc la vente à des particuliers. Cependant, les fossiles de dinosaures peuvent être vendus en Alberta s’ils ont été découverts dans la province avant 1976 ou s’ils ont été découverts à l’extérieur de la province, importés légalement et enregistrés auprès de la province, précise Philip Currie, paléontologue et professeur à l’Université d’Alberta. « Aux États-Unis, c’est différent. Si le terrain est privé, les fossiles appartiennent au propriétaire et il peut en faire ce qu’il veut », renchérit M. Mallon. Dans le passé, l’Argentine, la Chine et la Mongolie ont eu de gros problèmes de braconnage et de vente de fossiles de dinosaures. Ils interdisent désormais complètement la collecte et la vente de fossiles par quiconque n’est pas scientifique.

Combien sont vendus ?

Il est difficile de dire combien de squelettes sont vendus à des particuliers, car il y a à la fois les ventes légales, qui ne sont pas nécessairement rendues publiques, et les ventes illégales, qui sont – on s’en doute – dissimulées, explique Darla Zelenitsky, professeure de paléobiologie des dinosaures à l’Université de Calgary.

Les experts s’inquiètent

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Un technicien de la Maison Drouot à Paris montre le pied de l’allosaure mis aux enchères le 13 octobre dernier.

Avec la hausse de l’intérêt pour ce marché lucratif, le patrimoine fossilifère glisse entre les doigts des musées, qui ne peuvent se permettre d’acheter ces spécimens. « Ce serait bien si les gouvernements, les musées et les universités avaient les fonds nécessaires pour acheter ces spécimens », indique M. Currie. M. Mallon souligne que tous les squelettes de dinosaures ont une valeur scientifique : lorsque les squelettes sont vendus à des particuliers, de nombreuses informations sur une espèce ne sont plus accessibles aux scientifiques. La vente de ses fossiles constitue donc une perte importante pour la communauté scientifique et pour le public, qui ne pourra voir ces spécimens dans les musées. Lors d’une vente privée, les acheteurs peuvent refuser aux scientifiques l’accès à leur spécimen. Selon Darla Zelenitsky, « les fossiles sont essentiels pour comprendre l’histoire de la vie sur Terre et leur étude peut également fournir un aperçu de l’avenir de la vie sur notre planète ».

Disparition de spécimens uniques

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Fossile de Triceratops exposé au musée Redpath de l’Université McGill, à Montréal

Les chercheurs ne possèdent parfois qu’un seul spécimen par espèce de dinosaure. Le squelette est donc extrêmement important, puisque c’est la seule source d’information sur une espèce disparue. « Nous avons besoin d’avoir accès à plusieurs spécimens de chaque espèce pour pouvoir décrire les variations entre individus et ainsi mieux comprendre l’espèce et son évolution », soutient M. Mallon. « Dans le cas de Stan, c’était un des T-Rex les plus complets. Des spécimens comme celui-là ne devraient pas être vendus », ajoute-t-il. Toutefois, M. Mallon explique que certaines espèces comme celles de tricératops comptent déjà des centaines, voire des milliers de spécimens. La perte est donc moins grande si certains d’entre eux tombent dans les mains de particuliers.

Un travail de longue haleine

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Le crâne de Stan exposé chez Christie’s à New York, en septembre dernier. Les paléontologues ont consacré plus de 30 000 heures à exhumer et à reconstituer son squelette contenant 188 os.

De nombreuses années sont nécessaires afin de reconstruire et de restaurer un squelette de dinosaures. « Pour un gros dinosaure comme le T-Rex, il peut s’écouler de 4 à 5 mois pour exhumer le squelette, affirme M. Mallon. Ensuite, pour le préparer et assembler les os, on doit compter entre 1 et 5 ans, selon la taille du dinosaure. » Dans le cas de Stan, les paléontologues ont consacré plus de 30 000 heures à déterrer et à reconstituer son squelette contenant 188 os.

Le prix des créatures

Plusieurs critères permettent d’évaluer le prix des squelettes. Le fait qu’ils soient plus ou moins complets a une grande importance. Les dinosaures carnivores se vendent également plus chers que leurs congénères herbivores. « Tout le monde aime le T-Rex. C’est un carnivore unique et imposant avec ses griffes et ses dents pointues », affirme le chercheur. Dans la chaîne alimentaire, les carnivores sont moins nombreux que les herbivores et donc beaucoup plus rares, ce qui contribue aux prix plus élevés. « Les petits dinosaures, comme les raptors, sont difficiles à préserver puisque leur squelette est très fragile. On possède très peu de spécimens », mentionne M. Mallon. En raison de leur rareté, ces petits carnivores peuvent se vendre environ un million US chacun.