Cela vous est peut-être déjà arrivé. Vous regardez un ciel étoilé lorsqu’un point mobile et brillant attire votre attention : un satellite. Jusqu’à tout récemment, il y avait 200 de ces objets artificiels visibles à l’œil nu dans le ciel. Mais dans le cadre de son projet Starlink, l’entreprise SpaceX a déjà lancé 180 satellites visibles et prévoit en envoyer environ 1500 autres en orbite cette année.

Résultat : d’ici la fin de 2020, il y aura environ 1900 objets artificiels visibles dans le ciel nocturne.

« On parle d’une multiplication par un facteur neuf du nombre de satellites que vous pouvez voir à l’œil nu. En moins d’un an, et par un seul opérateur », a exposé Patrick Seitzer, professeur d’astronomie à l’Université du Michigan, lors d’une séance tenue récemment à Hawaii dans le cadre d’une rencontre de l’American Astronomical Society.

Les scientifiques avaient organisé cette conférence pour faire le point sur ce qui constitue le sujet de l’heure en astronomie : les nouvelles constellations de satellites destinées à fournir l’internet dans les régions reculées du globe. 

Des entreprises comme OneWeb, Amazon, Samsung, Facebook et Telesat Canada ont toutes annoncé des projets en ce sens. Mais c’est la californienne SpaceX qui a pris les devants en lançant déjà 180 satellites en orbite.

PHOTO CRAIG BAILEY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le 6 janvier dernier, SpaceX a lancé
 en orbite 60 nouveaux satellites Starlink,
 pour un total de 180 à ce jour.

Dès les premiers lancements, les astronomes ont fortement réagi. Certains d’entre eux ont vu les satellites passer entre leurs télescopes et les objets célestes qu’ils tentaient d’observer, bousillant les images dans certains cas. Le fait que SpaceX a demandé des autorisations pour augmenter sa flotte jusqu’à 42 000 satellites dans le futur a mis toute la communauté astronomique en état d’alerte.

« Nous sommes encore en train d’essayer de comprendre dans quelle mesure il s’agit d’une nuisance et dans quelle mesure il s’agit d’une menace existentielle », a dit Jeffrey C. Hall, de l’Observatoire Lowell, en Arizona.

Les scientifiques ont dit avoir été surpris par la brillance des satellites, calculant qu’ils réfléchissent plus de lumière que 99 % des objets actuellement en orbite. C’est notamment le fait qu’ils tournent très près de la Terre qui les rend si brillants.

« La communauté astronomique a été prise par surprise par la brillance des satellites. SpaceX, de son propre aveu, l’a aussi été », a dit l’astronome Jeffrey C. Hall. Le responsable des relations médias de l’American Astronomical Society a même révélé avoir été joint par des journalistes après le lancement des satellites de SpaceX. Ceux-ci cherchaient à comprendre pourquoi les observations d’ovnis signalées avaient soudain augmenté.

Urgence d’agir

Les astronomes ont bien pris soin d’affirmer que leur objectif n’était pas de freiner les projets des entreprises qui veulent amener l’internet dans les régions reculées.

« Nous devons trouver une façon d’apporter ces bénéfices sociaux au monde entier et de continuer les développements technologiques tout en protégeant le patrimoine du ciel étoilé partout sur la planète », a dit Ruskin Hartley, de l’International Dark-Sky Association.

L’urgence d’agir a toutefois été martelée à maintes reprises pendant la rencontre.

Nous devons agir rapidement, nous ne pouvons tout simplement pas attendre un environnement réglementaire.

Patrick Seitzer, de l’Université du Michigan, en conférence à Hawaii

Les astronomes présents ont dit croire que SpaceX, fondée par le coloré Elon Musk, était de bonne foi quand elle a affirmé vouloir régler le problème.

L’American Astronomical Association a révélé avoir tenu huit téléconférences avec SpaceX au sujet de Starlink depuis mai dernier, et l’entreprise avait dépêché un représentant à la rencontre récente de l’association scientifique à Hawaii.

SpaceX a aussi accepté de peindre en noir l’un des 60 satellites qui viennent d’être envoyés dans l’espace pour voir si cela peut aider à minimiser les réflexions. L’entreprise n’a toutefois pas freiné le rythme de lancement de ces engins.

Établir un standard

« Nous devons convaincre SpaceX qu’il est dans son intérêt d’agir et de régler ce problème rapidement, ce qui établira un standard pour les autres entreprises », a dit Patrick Seitzer, de l’Université du Michigan. Le défi sera toutefois de s’entendre sur les paramètres jugés acceptables, chaque projet astronomique ayant ses propres enjeux.

Les chercheurs ont expliqué que la brillance des satellites de Starlink est telle qu’elle sature parfois les récepteurs des télescopes, rendant la prise d’images impossible et pouvant même endommager les instruments. 

Les satellites de télécommunications ont aussi le potentiel de nuire aux radioastronomes, qui captent les ondes radio émises par les objets célestes. Mais, selon eux, le problème est loin d’être nouveau.

« Bienvenue dans notre monde », a d’ailleurs lancé aux autres astronomes Harvey Liszt, du National Radio Astronomy Observatory, rappelant que, dans sa discipline, on vit avec des interférences de toutes sortes depuis les années 70 et que le problème est de plus en plus criant.

Ruskin Hartley, dont l’association milite contre la pollution lumineuse, a rappelé de son côté l’importance de préserver le patrimoine naturel que constitue un ciel étoilé exempt d’objets artificiels.

« Il y a un risque de changer de façon fondamentale notre relation avec le monde et avec l’Univers », a-t-il dit, plaidant qu’un ciel rempli d’étoiles est « le bien public suprême ».

Une approbation illégale ?

L’entreprise SpaceX a dû faire approuver le lancement de ses satellites par une agence du gouvernement américain appelée la Federal Communications Commission. Or, selon un article publié jeudi dans Scientific American, cette approbation pourrait être contestable devant les tribunaux. Scientific American se base sur un article scientifique rédigé par des chercheurs de l’Université Vanderbilt, à Nashville, qui doit être publié plus tard cette année. Ses auteurs plaident que la Federal Communications Commission avait l’obligation d’examiner les impacts environnementaux du projet Starlink avant de l’approuver. Selon eux, le fait de ne pas l’avoir fait donne une prise juridique aux astronomes qui voudraient freiner le lancement des satellites. « Les astronomes ont ces problèmes et croient qu’ils ne peuvent rien faire d’un point de vue légal. Mais il y a cette loi, le National Environnemental Policy Act, qui exige que les agences fédérales examinent minutieusement leurs actions. L’absence d’étude d’impact de ces satellites commerciaux viole cette loi […] », affirme l’un des auteurs de l’étude, Ramon Ryan, à Scientific American.