À quoi ressemblera notre monde dans 30 ans, quand les changements climatiques l’auront peut-être considérablement modifié ? Dans un projet qui cherche à frapper l’imagination, des chercheurs dirigés par l’incontournable Yoshua Bengio veulent en donner une idée. L’idée : utiliser l’intelligence artificielle pour générer des images de maisons et de rues inondées afin de toucher les consciences.

Votre maison sous les flots

Regardez votre maison, sa pelouse, ses arbustes. Puis tentez d’imaginer le tout envahi par l’eau. Difficile ? L’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal, ou Mila, veut vous aider avec cette vision cauchemardesque. Dirigé par le professeur Yoshua Bengio, ce centre de l’Université de Montréal et de l’Université McGill planche sur un projet intitulé « Visualiser le changement climatique ». L’idée est de générer des images de maisons inondées, telles qu’elles pourraient l’être en 2050 avec la montée des océans et la fréquence accrue des événements extrêmes. « L’objectif est de sensibiliser les gens au fait que le changement climatique, tôt ou tard, touchera tout le monde. Les psychologues nous disent qu’on est moins sensible à un problème si on n’en perçoit pas les répercussions sur nous-mêmes », dit Sasha Luccioni, chercheuse en apprentissage machine à Mila.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Yoshua Bengio, professeur et directeur scientifique de l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal

Géolocalisation et modèles climatiques

Le projet est évidemment plus complexe que de simplement ajouter de l’eau sur la photo de n’importe quelle maison. Le site web, qui est encore en développement, permettra aux usagers d’entrer une adresse canadienne (celle de leur maison ou d’un lieu qu’ils aiment, par exemple). Les coordonnées GPS seront alors trouvées. Puis, avec des modèles climatiques notamment fournis par le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC), on calculera la probabilité que cette adresse soit inondée en 2050. Le niveau d’eau sera calculé en fonction de la topographie du terrain. Si vous habitez sur le mont Royal, évidemment, vous risquez peu d’être touché par les flots. Mais une carte vous montrera jusqu’où l’eau pourrait aller dans les environs. Le modèle tiendra compte tant de la hausse du niveau des océans que des crues printanières, qui seront exacerbées dans certaines régions par les changements climatiques.

Dessine-moi une maison inondée

Si l’adresse entrée comporte un risque d’inondation, le système d’intelligence artificielle se mettra en branle. Il générera une image réaliste de l’aspect du lieu selon le niveau d’eau prévu. Les chercheurs ont nourri leurs algorithmes avec des photos de maisons et de rues inondées afin qu’ils apprennent à en générer d’aussi bonnes. « Le réseau s’entraîne. Il examine si l’eau a tendance à aller sur les murs de la maison ou sur le sol et produit des images de plus en plus réalistes », explique Sasha Luccioni. Le système est en fait constitué de deux réseaux de neurones. Le premier génère des images, puis les envoie à un deuxième qui tente de déterminer s’il s’agit d’images de synthèse ou de véritables photos. « C’est comme un jeu entre adversaires qui jouent l’un contre l’autre », explique Mme Luccioni. Un tel système est appelé « réseaux antagonistes génératifs » et a été inventé à Montréal par Yoshua Bengio et ses collaborateurs en 2014.

PHOTO MARYSE BOYCE

Sasha Luccioni, chercheuse en apprentissage machine à l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal

Appel au public

Le hic, pour l’instant, est que le groupe ne compte que quelques centaines de photos de maisons inondées. Il en faudrait idéalement entre 5000 et 10 000 pour entraîner le système au niveau voulu. Les chercheurs ont donc créé un site web et une application mobile, baptisés ClimatePix, afin de récolter des images de lieux inondés auprès du grand public.

Pousser à l’action

Chaque fois que le site web affichera une maison inondée, il précisera la probabilité que cette situation se produise en 2050. On prévoit aussi que l’usager puisse essayer plusieurs scénarios pour en visualiser les conséquences – émissions de GES qui suivent la tendance actuelle, qui sont réduites de manière draconienne ou qui diminuent plus lentement, par exemple. « On veut aussi essayer d’illustrer les actions citoyennes qui peuvent influencer le futur climatique. Disons que les gens deviennent végétariens, on peut faire des calculs des émissions épargnées et renvoyer des résultats différents », ajoute Sasha Luccioni. Les chercheurs espèrent pouvoir publier une première version du site web avant les prochaines crues printanières.

L’intelligence artificielle pour l’humanité

Le projet « Visualiser le changement climatique » s’inscrit au sein du pôle « IA [intelligence artificielle] pour l’humanité » de Mila. L’idée est d’encourager « le développement responsable et bénéfique de l’intelligence artificielle ». Des projets pour aider à la reconnaissance du terrain lors de catastrophes naturelles ou au diagnostic de maladies génétiques chez les nouveau-nés, par exemple, sont dans les cartons. « Le professeur Bengio a inspiré les gens à s’engager dans ça et je dois dire que c’est vraiment beau et inspirant », dit Sasha Luccioni.