Une équipe de chercheurs montréalais vient de mettre en lumière, pour la toute première fois, des changements dans les bactéries peuplant les voies digestives des personnes atteintes de fibromyalgie.

En effet, dix-neuf espèces bactériennes étaient présentes dans le microbiome des sujets atteints, soit en plus grande quantité, soit en quantité moindre, que dans celui des témoins sains.

L’étude réalisée par des chercheurs de l’Université McGill, de l’Université de Montréal et de l’Institut de recherche du CUSM est publiée mercredi par la revue médicale « Pain ».

La fibromyalgie est une maladie incurable touchant de 2 à 4 % de la population. Elle entraîne fatigue, troubles du sommeil et difficultés cognitives, mais les douleurs chroniques diffuses constituent son principal symptôme.

« Les symptômes persistent même avec les meilleurs traitements, a dit le premier auteur de l’étude, le docteur Amir Minerbi, de l’Unité de gestion de la douleur Alan Edwards du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Notre capacité à soigner n’est vraiment pas très bonne. »

Les chercheurs ont eu recours à diverses techniques, dont l’intelligence artificielle, pour confirmer que les changements observés dans le microbiome des sujets atteints de fibromyalgie n’étaient pas causés par des facteurs qui modifient le microbiome, par exemple l’alimentation, les médicaments, l’activité physique et l’âge.

« On entend beaucoup parler du microbiome humain et de son rôle par rapport à différentes maladies, a expliqué le docteur Minerbi. Ça révolutionne la médecine en nous permettant de comprendre des problèmes qu’on ne comprenait pas très bien auparavant. Ça nous permet de traiter des maladies qui étaient impossibles à traiter auparavant. Nous nous sommes dit qu’il fallait importer cette révolution dans le domaine de la douleur chronique, ce que personne n’avait fait auparavant. »

Le docteur Minerbi et ses collègues ont constaté que la fibromyalgie et ses symptômes – douleur, fatigue et troubles cognitifs – étaient, de tous les facteurs qui agissaient sur le microbiome des personnes atteintes, ceux dont l’effet était le plus marqué. Ils ont également fait une observation « inédite », à savoir une corrélation directe entre la gravité des symptômes et la présence ou l’absence plus marquée de certaines bactéries.

« Aucune bactérie n’est spécifique à la fibromyalgie ou trouvée seulement chez les patients qui ont la fibromyalgie, mais certaines sont présentes en quantités nettement plus élevées ou moindres que chez des sujets en santé, a-t-il dit. Et les quantités de quelques-unes de ces dix-neuf bactéries peuvent prédire la gravité des symptômes : plus il y en a, pires sont les symptômes, et l’inverse. »

Pour l’instant, on ne saurait dire avec certitude si les variations du microbiome observées chez les patients fibromyalgiques ne sont que des marqueurs de la maladie ou jouent un rôle dans son apparition. Les chercheurs devront maintenant vérifier si le microbiome intestinal subit le même type de changements en présence d’autres douleurs chroniques, par exemple des lombalgies, des céphalées et des douleurs neuropathiques.

Quel est le rôle des bactéries ?

Les chercheurs veulent donc savoir si les bactéries peuvent provoquer la douleur et la fibromyalgie, et si leur présence peut les orienter vers un éventuel traitement curatif et accélérer la démarche diagnostique.

« On va transplanter le microbiome des patients dans des souris saines pour voir si elles vont développer les symptômes de la fibromyalgie, a expliqué le docteur Minerbi. Si ça se produit, ça nous en dira long sur la causalité. Est-ce que ces bactéries jouent potentiellement un rôle dans la fibromyalgie ? Nous croyons que c’est le cas. »

Les chercheurs tenteront aussi, au cours des prochaines semaines, de moduler la composition du microbiome intestinal pour essayer d’aider les patients, notamment avec des interventions alimentaires, puisque le microbiome intestinal peut commencer à changer en seulement deux semaines en réponse à de telles interventions. Ils jetteront aussi un œil du côté du cannabis et des transplantations fécales.

La piste des interventions alimentaires semble prometteuse.

« Plusieurs patients me disent qu’ils se sentent mieux quand ils ne mangent pas de ci ou de ça, mais le problème est que c’est très individuel, a expliqué le chercheur. Ça peut fonctionner pour un, mais pas pour un autre. On espère acquérir une meilleure compréhension de ce mécanisme. Dans cinq ou dix ans, je pourrais être en mesure d’analyser le microbiome intestinal d’un patient […] et formuler des recommandations alimentaires spécifiquement pour ce microbiome intestinal, ou de choisir des médicaments plus efficaces. C’est ce qu’on espère et c’est ce qui stimule nos recherches. »

La fibromyalgie est difficile à diagnostiquer. Parfois, les patients attendent leur diagnostic pendant quatre ou cinq ans. Mais cette époque pourrait bientôt être révolue : grâce à l’apprentissage machine, l’ordinateur des chercheurs a pu diagnostiquer la fibromyalgie à partir de la seule composition du microbiome avec un taux d’exactitude de 87 %.

Ils croient que cela pourrait éventuellement « changer la donne en matière de diagnostic ».