(Montréal) Une rondelle de hockey sonore développée par des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à l’intention des joueurs non voyants pourrait révolutionner non seulement ce sport, mais aussi plusieurs autres pratiqués par des athlètes handicapés.

Au fil des ans, les hockeyeurs non voyants ont utilisé tout d’abord une boîte de jus de tomate, puis un contenant d’acier rempli de billes. Tout va bien quand cette rondelle improvisée fait du bruit en se déplaçant, mais ça se complique quand elle s’immobilise et devient silencieuse ; les joueurs ont alors plus de difficultés à la repérer.

« Et évidemment, recevoir une rondelle d’acier dans le front, ça fait mal, a lancé en riant Steve Vezeau, un des responsables du projet. Ça fait partie des motivations du projet. »

C’est Gilles Ouellet, un employé de l’UQAM qui est membre du club de hockey sonore les Hiboux de Montréal, qui a eu l’idée de mettre à profit l’expertise de ses collègues pour développer une rondelle un peu plus moderne et efficace.

Après trois ans d’efforts, l’équipe formée de M. Vezeau, de l’École de design ; de Mounir Boukadoum, du département d’informatique ; de Frédéric Nabki, qui enseigne le génie électrique à l’ÉTS ; de M. Ouellet et de François Beauregard, lui aussi un joueur des Hiboux, a accouché d’un prototype prometteur, la BIPeR.

Multiples défis

Ils ont toutefois dû relever de multiples défis pour en arriver là.

« On prévoyait six à huit mois au départ, a admis Steve Vezeau. On a découvert que c’est un milieu très hostile. Il y a la question des impacts, mais à ça s’ajoutent le froid et l’humidité. »

Les essais de certains prototypes n’ont duré que quelques minutes. Certaines résines n’avaient jamais été testées sur la glace et personne ne savait si elles seraient en mesure de résister à une douzaine de coups continus dans un délai très court.

La BIPeR est composée d’une coquille extérieure en plastique qui absorbe les chocs. On retrouve à l’intérieur un module électronique qui contient un circuit imprimé muni de différents capteurs qui permettent d’analyser le comportement de la rondelle, où elle se trouve dans l’espace et à quelle vitesse elle va, et de transmettre l’info par le biais d’un avertisseur sonore. Le tout est alimenté par une pile.

« On a travaillé très fort pour développer la forme, les parois, le matériau pour pouvoir jouer sur une patinoire à-12 degrés. Il a fallu beaucoup de travail pour déboguer cet aspect-là », a dit M. Vezeau.

La BIPeR a maintenant fait ses preuves. À une certaine époque, les joueurs pouvaient utiliser jusqu’à cinq boîtes de jus de tomate par match. La rondelle d’acier, elle, pouvait durer un ou deux matchs tout au plus, mais très souvent quand les matchs étaient assez intenses, on pouvait en démolir jusqu’à trois chaque soir.

En comparaison, la nouvelle rondelle dure environ trois matchs en nombre d’heures.

« Les premiers tests n’ont pas été faciles, a raconté Gilles Ouellet. On trouvait parfois que le bruit n’était pas assez fort. Mais lors des derniers tests, les joueurs ont trouvé ça très pertinent. Le dernier son qu’on a essayé ressemblait plus à un chant d’oiseau, et c’est celui qui était le mieux perçu.

«Ça va rendre le jeu encore plus rapide et intéressant, a-t-il ajouté. Ça va […] permettre aux joueurs de la récupérer plus rapidement. Et comme la rondelle fera du bruit en étant dans les airs, on pense que ça va aider les gardiens à faire plus d’arrêts. »

Il est ainsi possible d’ajuster l’intensité sonore de la rondelle en fonction de la taille de l’aréna et de la foule, pour toujours permettre aux joueurs de l’entendre. Le prochain prototype sera capable d’atteindre 120 décibels, soit l’équivalent d’une scie à chaîne ou d’un coup de tonnerre, à mi-chemin entre un concert rock et un avion militaire qui décolle d’un porte-avions.

Application dans d’autres sports

L’arrivée de la BIPeR pourrait dynamiser un sport qui est déjà en pleine expansion.

PHOTO STEVE VEZEAU, LA PRESSE CANADIENNE

La rondelle BIPeR

On compterait environ 400 joueurs en Amérique du Nord. Il y a trois grands clubs au Canada — à Montréal, Toronto et Vancouver — tandis qu’aux États-Unis, une douzaine d’équipes ont été mises sur pied seulement depuis quelques années.

Ultimement, ceux qui le pratiquent espèrent en faire un sport paralympique.

« Les États-Unis veulent organiser une première Coupe des nations en mai prochain, avec quatre pays, a dit Gilles Ouellet. Il y a déjà une équipe en Finlande et des joueurs un peu partout en Europe. Quand on aura une rondelle efficace, on pourra l’exporter et ça pourra contribuer à la popularité du sport et à standardiser le sport. »

Et le hockey n’est probablement qu’un début.

« La technologie électronique a été développée pour le hockey parce que c’est de là que venait la demande, mais elle peut être exportée vers d’autres sports pour handicapés visuels, que ce soit le baseball, le softball, le soccer, a expliqué Steve Vezeau. Le module électronique est relativement petit et pourrait se mettre dans un ballon de soccer, par exemple. Et on a travaillé fort pour qu’il puisse supporter les impacts. »

Les inventeurs de la BIPeR cherchent maintenant un partenaire qui serait intéressé par le potentiel commercial de la rondelle pour la produire à grande échelle. USA Hockey a financé une petite partie du prototype, mais Les Hiboux sont un OSBL et n’ont donc pas beaucoup de moyens.

La rondelle BIPeR a récemment obtenu le premier prix du Défi en innovation sociale, qui est remis par la société de la valorisation de la recherche universitaire Aligo Innovation. Ce prix s’accompagne d’une bourse de 10 000 $.