L’azote est le grand responsable des invasions d’algues et le dioxyde de carbone, des changements climatiques. Mais ces deux polluants sont essentiels à l’agriculture. Est-il possible d’utiliser le génie génétique pour créer des plantes qui contribuent davantage à l’assainissement de l’air et des sols ? Des agronomes s’attaquent au défi.

Elles absorbent plus de dioxyde de carbone pour croître plus vite. Ou alors, plus d’azote atmosphérique pour diminuer l’utilisation d’engrais. Leurs racines sont quasi imputrescibles pour ralentir les changements climatiques. À la mi-février, au congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement de la science (AAAS) à Washington, des agronomes ont montré comment leurs céréales transgéniques pourraient aider à nourrir 10 milliards de personnes en ménageant la planète.

Améliorer la photosynthèse

La respiration des plantes va dans le sens inverse de la nôtre : la photosynthèse transforme le CO2 atmosphérique en oxygène et en matière organique. Une douzaine de projets d’agronomie visent à améliorer le processus. « Nous pensons qu’il sera possible d’améliorer de 50 % l’efficacité énergétique de la photosynthèse », explique Daniel Ort, de l’Université de l’Illinois, qui présentait ses travaux à Washington. « Notre centre vise à diminuer la consommation d’énergie liée à la transformation de produits toxiques de la photosynthèse en molécules utiles pour la plante. Nous avons fait la preuve du concept sur le tabac. » D’autres groupes travaillent sur l’augmentation du nombre de nanopores où l’absorption du CO2 a lieu, sur les zones de la plante où le CO2 est concentré, ou encore sur les bactéries qui facilitent la photosynthèse. L’objectif est d’améliorer les rendements agricoles, pas d’augmenter la capture de CO2 par les plantes. La première culture qui bénéficiera de ces avancées, d’ici moins de trois ans, selon M. Ort, sera la patate, cible de trois des groupes de recherche. Ensuite viendront le soja, le riz, le dolique à œil noir (une légumineuse) ainsi que le manioc. « La technologie sera cruciale pour nourrir l’Afrique. Il faut cependant que le continent surmonte sa réticence à utiliser les plants transgéniques. Les choses semblent changer, le Nigeria vient d’approuver sa première variété Bt, pour le dolique à œil noir. » Le Bt est une molécule produite par une bactérie qui est toxique pour certains insectes ravageurs.

Des racines durables

Sans la photosynthèse des plantes, l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère serait de deux à trois fois plus rapide. Elle permet d’enfouir le carbone du CO2 dans le sol quand la plante et ses racines meurent. Mais les microbes digèrent ensuite ce carbone et libèrent du méthane. À l’Institut Salk, en Californie, un projet de recherche vise depuis deux ans à rendre les racines plus résistantes aux microbes.

« Les racines sont normalement digérées en quelques années », explique Wolfgang Busch, biologiste du projet Harnessing Plants de l’institut de recherches privé. « Nous avons identifié une molécule proche du liège qui peut résister aux microbes pendant des décennies. » L’objectif sera ensuite de modifier les gènes de certaines céréales pour que leurs racines expriment cette molécule. « Nous visons les céréales commerciales parce qu’elles sont cultivées à grande échelle. Il pourrait par ailleurs y avoir des avantages agronomiques si les sols retiennent mieux leur carbone, ce qui permet de retenir l’humidité et les nutriments. Les plantes aux racines plus robustes, souvent plus profondes, pourront également mieux résister à la chaleur et à la sécheresse. »

Le maïs mexicain

Dans la Sierra Juárez, des montagnes du sud-est du Mexique, pousse une variété de maïs très particulière : elle arbore des racines sur sa tige au-dessus du sol, qui lui permettent de tirer de l’azote de l’air. « Normalement, le maïs obtient 99,9 % de son azote du sol », explique Jean-Michel Ané, de l’Université du Wisconsin, qui présentait ses résultats au congrès de l’AAAS. « Dans le cas de notre maïs mexicain, la moitié de l’azote vient de l’air et non du sol. Quand il pleut, les racines en contact avec l’air sécrètent un gel rempli de microbes qui métabolisent l’azote atmosphérique. » Cette variété ne peut pas être cultivée ici, car elle est deux fois plus haute et a besoin de neuf mois pour pousser. Mais M. Ané a bon espoir de pouvoir transposer le gène responsable des racines de la tige afin de réduire l’utilisation d’engrais dans les pays développés et d’améliorer le rendement dans les pays pauvres utilisant peu d’engrais.

La canopée intelligente

D’autres chercheurs travaillent sur l’orientation des feuilles du maïs, pour les rendre plus verticales. Un projet de recherche de l’Université Washington à St. Louis vise une « canopée intelligente » produisant moins d’ombre pour la base de la tige, afin que cette dernière contribue davantage à la photosynthèse.

Analyse du sol téléphone

Le congrès de Washington a aussi accueilli un chercheur de Microsoft, Ranveer Chandra, qui travaille sur l’utilisation d’un téléphone portable pour analyser l’humidité, le pH et certaines caractéristiques minérales des sols. « Nous pensons qu’on peut faire ces analyses avec le récepteur WiFi du téléphone, en disposant des capteurs RFID à bas coût à différents endroits dans un champ, a dit M. Chandra durant sa conférence. Nos tests aux États-Unis ont montré qu’on peut diminuer du tiers l’irrigation et de près de moitié l’application de chaux pour contrôler le pH. Il nous faut maintenant encore diminuer le coût du système pour que les fermiers des pays pauvres puissent s’en servir et améliorer leurs récoltes avec des achats minimums de pesticides et d’engrais. »

Rendement de la culture du maïs

Au Canada

10 tonnes/hectare

Aux États-Unis

11,1 tonnes/hectare

En France

9 tonnes/hectare

Au Brésil

5,8 tonnes/hectare

En Chine

6,1 tonnes/hectare

En Inde

2,7 tonnes/hectare

Au Nigeria

2,6 tonnes/hectare

Source : OCDE