Une étoile de mer de la côte ouest du Canada et des États-Unis est pratiquement disparue, selon une nouvelle étude. Sa disparition est une catastrophe pour les pêcheurs. La Presse s'est entretenue avec l'auteure de l'étude, Drew Harvell, de l'Université Cornell, alors qu'elle était sur le terrain, dans l'île américaine de San Juan, à l'est de l'île de Vancouver, en Colombie-Britannique.

On parle d'une mystérieuse maladie des étoiles de mer depuis quelques années. S'agit-il toujours de la même ?

Oui, apparemment. Les symptômes sont identiques : une décoloration et des amputations, même si toutes les espèces ne sont pas autant touchées. On n'a pas encore déterminé exactement quel est le pathogène en cause. Mais on sait qu'il est très petit, alors il s'agit vraisemblablement d'un virus.

Quelle est l'importance de votre étude, parue dans Science Advances ?

La quantité de données et notre cible, une espèce d'étoile de mer très importante pour les écosystèmes, le soleil de mer [Pycnopodia helianthoides]. Nous avons des rapports de plus de 11 000 plongées faites entre 2006 et 2016, en partie grâce à des citoyens scientifiques qui ont eu une formation de base. C'est une approche prometteuse pour l'avenir. Nous avons aussi analysé la biomasse de soleils de mer recueillis lors de sondages en mer profonde au large des côtes américaines entre 2004 et 2016, et depuis 2014, il n'y a pratiquement plus de soleils de mer. Le soleil de mer est un grand prédateur des oursins qui, depuis qu'il a disparu, sont tellement nombreux que de nombreuses forêts d'algues dont les oursins se nourrissent ont été complètement rasées. Ces forêts d'algues sont des pouponnières cruciales pour beaucoup d'espèces de poissons. L'impact de cette maladie du soleil de mer sera énorme sur les pêcheries.

Avez-vous utilisé des drones ?

Il y a des vidéos, mais nous ne les avons pas encore analysées, parce que les drones, contrairement aux humains, ne filment pas seulement les zones et les animaux qui nous intéressent.

Les 11 000 plongées ont-elles donné des pistes sur des mécanismes tempérant l'effet de la maladie ?

Tout ce qu'on peut voir, c'est que le réchauffement des eaux est la donnée cruciale. La chaleur semble favoriser la transmission du virus. Depuis un demi-siècle, la côte du Pacifique s'est beaucoup réchauffée, de 2 à 3 °C, du Mexique jusqu'en Alaska.

Est-il possible de repeupler les zones touchées par la maladie ?

La maladie va et vient. Le soleil de mer a été touché dans la première vague, à partir de 2013, puis encore dans la deuxième en 2016, et à nouveau dans une nouvelle éclosion l'automne dernier. Certaines des 19 autres espèces d'étoiles de mer de la côte du Pacifique semblent acquérir une certaine résistance à la maladie au fil des ans, mais il est trop tôt pour en être certain. Il y a plusieurs programmes de reproduction pour essayer de renforcer cette résistance dans des aquariums de recherche.

Sait-on quelque chose de la biologie de cette résistance à la maladie ?

Il semble y avoir une réponse immunitaire. Des groupes à l'Université de Géorgie et à celle de Californie ont identifié un génotype protecteur très particulier de l'étoile de mer pourpre Pisaster ochraceus, mais c'est encore préliminaire.

Que sait-on des espèces qui n'ont pas été touchées par la maladie ?

Les recherches sont encore ici très embryonnaires. Trois ou quatre espèces d'étoiles de mer ont même prospéré alors que sévissait la maladie, peut-être en raison de la baisse de la concurrente des espèces touchées.

60 % Diminution du nombre de soleils de mer aperçus par plongée entre 2014 et 2016 dans les eaux côtières canadiennes du Pacifique, par rapport à la moyenne de 2006 à 2014

1 m  Diamètre maximal d'un soleil de mer (Pycnopodia helianthoides)

26 Nombre maximal de « bras » d'un soleil de mer

Sources : Cornell, Science Advances

L'épidémie En bref

Les loutres

Les pêcheurs de Colombie-Britannique pourraient être moins touchés par la disparition des soleils de mer grâce aux loutres. « Elles jouent un rôle similaire aux soleils de mer dans les écosystèmes, explique Jenn Burt, de l'Université Simon Fraser, qui a publié l'an dernier une étude sur le sujet. Les loutres mangent les oursins, ce qui préserve les forêts d'algues où les poissons se reproduisent. »

L'Atlantique aussi

Une espèce d'étoile de mer, Asterias forbesi, présente au milieu de la côte américaine atlantique, semble aussi avoir été touchée par une maladie similaire, selon plusieurs rapports publiés depuis 2011 par une biologiste de l'Université du Rhode Island. « Ça semble plus localisé », note Mme Burt, de l'Université Simon Fraser.

Les abalones

Un escargot de mer de la Californie est l'un des seuls autres exemples d'une épidémie virale aussi dévastatrice que celle qui décime les étoiles de mer, selon Drew Halvell, de Cornell. « C'est arrivé en 2011 et ça a dévasté une pêcherie qui est très importante sur le plan commercial et pour les autochtones », dit Mme Harvell, qui vient de publier le livre Ocean Outbreak sur la crise des étoiles de mer.