La découverte d’un mécanisme permettant aux bactéries océaniques de transformer les rayons du soleil en énergie soulève de nouvelles inquiétudes. Et si cette capacité insoupçonnée accentuait les conséquences du réchauffement planétaire ?

L’antithèse de la photosynthèse

La photosynthèse, mécanisme qui permet aux végétaux de consommer du CO2 et d’émettre de l’oxygène, représente un maillon important de la régulation du climat. Or, des chercheurs ont découvert un mécanisme, basé sur des bactéries dites « rhodopsines », qui pourrait avoir l’effet contraire, aggravant ainsi l’effet de serre.

Phototrophie et photosynthèse

On savait depuis 2000 que certaines bactéries des océans sont dotées d’une molécule, appelée rhodopsine, capable de transformer l’énergie du soleil en énergie cellulaire. Cette capacité est appelée « phototrophie », plutôt que « photosynthèse », qui elle inclut la transformation de molécules de carbone (le CO2). La rhodopsine, pour sa part, est incapable de transformer les molécules de carbone. « Nous avons pris des échantillons d’eau jusqu’à 200 mètres de profondeur en Méditerranée et dans l’est de l’Atlantique pour voir quelle était la contribution de la rhodopsine et des algues à la transformation de la lumière du soleil en énergie cellulaire », explique Laura Gomez-Consarnau, de l’Université de Californie du Sud (USC), qui est l’auteure principale de l’étude publiée cet été dans la revue Science Advances. « Nous avons été très surpris de constater que les deux mécanismes étaient à égalité. »

Aggraver les changements climatiques

Les bactéries sont « hybrides », explique Mme Gomez-Consarnau. « Quand il y a des nutriments dans l’eau, elles s’en nourrissent. Mais quand il y en a peu, elles utilisent la phototrophie pour créer des réserves d’énergie. Or, avec les changements climatiques, les océans devraient s’appauvrir en nutriments. On peut donc penser que les bactéries capables de phototrophie vont être plus susceptibles de survivre que les algues, qui ont besoin de nutriments pour que s’opère la photosynthèse. Le problème, c’est que dans les eaux riches en nutriments, contrairement aux algues — qui consomment du CO2 et produisent de l’oxygène —, les bactéries avec ce type de rhodopsine produisent du CO2, un gaz à effet de serre. » Selon Oded Bejà, qui a découvert les bactéries capables de phototrophie basée sur la rhodopsine, l’avantage de ces dernières par rapport aux algues est de 3 % à 4 %. « C’est un avantage énorme sur les algues », dit M. Bejà, qui travaille à l’Institut de technologie Technion en Israël.

Tant de questions sans réponse

La biologiste californienne Laura Gomez-Consarnau veut maintenant confirmer dans d’autres océans l’abondance relative, par rapport aux algues, des bactéries capables de phototrophie basée sur la rhodopsine. « On veut aussi mieux comprendre comment elle passe de son fonctionnement normal à la phototrophie et quelle influence ont la température et l’acidité, dit-elle. Ces deux variables vont changer avec les changements climatiques. » M. Bejà vient quant à lui de découvrir une nouvelle famille de rhodopsine qui n’est pas capable de phototrophie dans des bactéries de la mer de Galilée et de la Méditerranée. « J’ai transmis mes résultats à l’équipe de l’USC, dit M. Bejà. Ça les a menés à réévaluer à la baisse leur estimation de la quantité d’énergie solaire transformée en énergie cellulaire par la rhodopsine dans les océans. Sinon, ils auraient conclu que la rhodopsine était deux fois plus importante que les algues. »

L’ABC de la rhodopsine

La rhodopsine la plus connue est celle qui est présente dans notre rétine et aide à transformer la lumière en signaux nerveux. La rhodopsine donnant à des bactéries la capacité de phototropisme est techniquement appelée « protéorhodopsine ». La première rhodopsine détectée ailleurs que dans la rétine d’animaux l’a été dans des bactéries de la mer Morte, dans les années 70, mais il ne s’agissait pas alors de rhodopsine capable de phototrophie, selon M. Bejà de Technion. La rhodopsine attise beaucoup d’intérêt chez les spécialistes de l’« optogénétique », une technique d’analyse génétique utilisant la lumière.

Chimiosynthèse

La phototrophie par la rhodopsine peut techniquement être placée côte à côte avec deux autres sources importantes de formation d’énergie cellulaire : la photosynthèse et la chimiosynthèse. Cette dernière, découverte dans les années 80, permet aux organismes présents dans les sources hydrothermales situées au fond des mers de transformer certains composés chimiques, notamment le méthane et des composés de soufre, en énergie cellulaire. La découverte de la phototrophie basée sur la rhodopsine par M. Bejà en 2000 a été un « accident » et une « grande surprise ». « Il s’agissait des premières analyses métagénomiques de l’eau des océans, dit M. Bejà. On voulait savoir ce qu’il y avait dans l’eau et à quoi ça servait. »

En chiffres
50 % de la photosynthèse basée sur la chlorophylle survient dans les océans
80 % des bactéries des océans sont capables de phototrophie grâce à la rhodopsine
De 25 % à 30 % du CO2 émis par l’activité humaine a été absorbé par les océans grâce à la photosynthèse basée sur la chlorophylle
Sources : USC, UCSD

La question des élèves

Le groupe de sixième année de Maryse Monet, de l’école de l’Orée-des-Cantons, à Waterloo, s’interroge sur les enjeux environnementaux posés par les plateformes pétrolières. Voyez leur question.

Question : Quels sont les impacts sur les animaux marins de l’implantation de plateformes pétrolières ?

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Opération visant à éteindre l’incendie qui a ravagé la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, en avril 2010, au large de la Louisiane, dans le golfe du Mexique

Réponse : L’essentiel des dommages causés par les plateformes modernes est lié à leur construction. Ces dommages sont mesurables jusqu’à deux kilomètres de la plateforme, selon une étude internationale parue en 2016 dans la revue Frontiers in Marine Science. L’impact sur la flore et la faune des fonds marins se fait surtout sentir dans un rayon de 200 à 300 mètres autour du puits de pétrole sous-marin. Les écosystèmes fragiles, comme les coraux d’eau froide, peuvent être affectés pendant plus d’une décennie.

Par la suite, des accidents peuvent provoquer des fuites et des dommages à l’environnement. En 2003, une étude américaine a conclu que la moitié (53 %) des hydrocarbures qui entrent dans les océans sont issus de fuites naturelles de pétrole, de réservoirs non exploités par l’homme. C’est donc dire que le reste provient de puits de pétrole sous-marins et de déversements depuis des navires. L’homme est ainsi responsable de fuites d’hydrocarbures dans les océans totalisant 11 000 barils par jour. Il y a dans le monde 12 000 plateformes pétrolières, selon un rapport de l’ONU paru en 2016.

Les accidents les plus graves, comme l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon en 2010 dans le golfe du Mexique, ont des conséquences plus funestes. Des milliers de poissons et d’animaux marins, dont des dauphins, sont morts lors de cette marée noire, qui s’est produite à moins de 100 km des rives américaines. Dans les années qui ont suivi, des malformations et une augmentation importante de la mortalité infantile des mammifères marins ont été observées, selon la Commission sur les mammifères marins du gouvernement américain.

Un débat a aussi entouré l’utilisation de produits chimiques appelés « dispersants », pour décomposer en fines gouttelettes la marée noire. Une partie de ces fines gouttelettes a été dégradée par des bactéries mangeuses de pétrole présentes naturellement dans l’océan, mais là encore, un débat oppose les scientifiques quant à la capacité de ces bactéries de « digérer » tout le pétrole d’une marée noire.

Enfin, les plateformes en fin de vie utile sont de plus en plus laissées sur place au lieu d’être complètement démantelées. Selon plusieurs études, dont le rapport de l’ONU de 2016, les bases des anciennes plateformes deviennent des récifs de corail artificiels très riches en diversité. On appelle cette approche « Rigs to Reef ».