(Los Angeles) La colère gronde sur les flancs du Maunakea, volcan éteint qui domine l’île d’Hawaii : depuis la mi-juillet, plusieurs centaines de manifestants, principalement des autochtones polynésiens, y bloquent la construction du TMT, futur plus grand télescope de l’hémisphère Nord.

Certains opposants au Thirty Meter Telescope (TMT) mettent en avant le caractère « sacré » de la montagne pour la religion et la culture hawaïenne. D’autres brandissent des menaces sur l’environnement ou encore un déni de souveraineté des populations autochtones.

Les manifestants ont même reçu le soutien et la visite de stars comme Jason Momoa (Aquaman) ou Dwayne Johnson (Fast and Furious).

Le chantier n’a pas encore débuté, or le temps presse après des années de négociations et de procédures en justice, se désolent les responsables du projet international, d’un coût estimé à 1,4 milliard de dollars. Il doit notamment permettre aux astronomes d’étudier l’univers à ses premières heures.

« Il a pris un retard considérable de plusieurs années à cause de la situation. Son coût a aussi augmenté de manière significative […] Le processus d’obtention du permis de construire à Hawaii a duré dix années ! », déclare à l’AFP Christophe Dumas, astronome français et responsable scientifique du TMT, censé ouvrir en 2027.

« Le meilleur site »

Le télescope géant pourrait bien sûr être construit ailleurs qu’à Hawaii. Après une première série de recours devant les tribunaux de l’archipel en 2015, une solution de repli avait d’ailleurs été officiellement identifiée à La Palma, aux Canaries.

Seulement voilà, le Maunakea « est le meilleur site dans l’hémisphère Nord. Cela tient à son altitude élevée (4207 m) » et à des conditions atmosphériques très stables qui donnent un pourcentage de nuits claires « de l’ordre de 70 % », souligne M. Dumas.

Des qualités qui expliquent que treize télescopes parsèment déjà les pentes du volcan, permettant chaque année de nouvelles découvertes et la publication d’une kyrielle d’études scientifiques.

Un télescope de plus, même géant, ferait-il donc une si grande différence que cela pour les opposants au TMT ?

« J’ai discuté avec les leaders de l’opposition. Et ils ont bien insisté sur le fait que non seulement il est trop grand, mais que c’est aussi un de trop », explique à l’AFP Greg Chun, responsable du Maunakea pour le compte de l’université d’Hawaii, qui cogère ce territoire avec l’État.

Les opposants, qui se sont baptisés « protecteurs » du Maunakea, disent : « Nous avons partagé la montagne suffisamment longtemps, maintenant ça suffit », poursuit M. Chun.

En 1960, un tsunami meurtrier avait dévasté les communautés établies au pied du volcan et les autorités locales avaient souhaité développer les observatoires pour relancer l’économie, faisant souvent fi des réticences de la population.

Prochaines semaines critiques

Avec le TMT aujourd’hui, « la communauté a l’impression qu’elle n’est jamais écoutée, jamais prise en compte », estime Greg Chun.

De l’avis de nombreux observateurs, le projet cristallise en effet des ressentiments remontant au renversement de la monarchie hawaïenne, avec le soutien des États-Unis, à la fin du XIXe siècle.

Jonathan Osorio, spécialiste de la religion et de la culture hawaïenne et lui-même opposant au télescope, maintient l’importance du site pour les autochtones. Mais « le plus gros problème avec le TMT, c’est que voici plus d’une décennie, certaines institutions de l’État ont décidé que le télescope devait être construit sans tenir compte d’aucune opposition », a dit ce doyen de l’université d’Hawaii dans les médias locaux.

« Le TMT est utilisé comme un outil médiatique et de pression envers les autorités d’Hawaii, pour réclamer plus d’autodétermination politique pour le peuple hawaïen », conteste Christophe Dumas.

« La culture et la science peuvent continuer à coexister de façon pacifique » sur le Maunakea, affirme le responsable du projet, assurant que tout a été fait pour satisfaire des opposants qui « représentent une partie fortement minoritaire de la population d’Hawaii ».  

« Le site n’est pas au sommet de la montagne et ne sera visible que depuis 14 % de l’île », il ne contient « aucun artefact archéologique ou qui puisse être relié à des pratiques religieuses » et tous les liquides et eaux usées seront récupérés et recyclés hors du site, plaide-t-il.

Les autorités locales ont engagé des médiations, mais « le projet ne peut pas attendre beaucoup plus » et « les prochaines semaines seront critiques » pour savoir si le télescope sera finalement construit à Hawaii ou aux Canaries, avertit Christophe Dumas.