Le niveau de radiation dans l’atoll de Bikini, dans les îles Marshall, est 10 fois plus élevé que prévu, selon une nouvelle étude américaine. Cela signifie que le retour des quelques centaines de Bikiniens et de leurs descendants qui ont été déplacés pour les tests nucléaires américains dans les années 40 et 50 doit être encore reporté. Les chercheurs proposent un nettoyage de l’atoll, comme ce fut le cas près de la centrale de Fukushima.

Radioactivité

Les trois études sur la radioactivité dans l’atoll de Bikini, dans les îles Marshall, contiennent de bonnes et de mauvaises nouvelles : la radioactivité dans les fruits, les eaux côtières et les plages n’est pas plus élevée que prévu. Mais au centre de l’atoll de 5 km2, les niveaux sont 10 fois supérieurs aux prévisions officielles. « Les chiffres du département de l’Énergie sont basés sur des mesures très exhaustives faites en 1978 », explique Ivana Nikolic-Hughes, physicienne de l’Université Columbia qui a cosigné deux des trois études publiées à la mi-juillet dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). « Ils ont calculé que la demi-vie de l’élément le plus problématique, le césium 137 [137Cs], était de 8,5 ans plutôt que de 30 ans en laboratoire, à cause des tempêtes et de l’érosion par les vagues [la demi-vie est le laps de temps au bout duquel 50 % des atomes d’un élément radioactif ont disparu]. C’est vrai pour les plages, mais pas pour l’intérieur des terres. Nous sommes arrivés à des niveaux plus élevés aussi parce que nous ne souscrivons pas au modèle officiel, qui considère que les gens passent une partie de chaque journée dans la maison, ne vont pas chaque jour à la plage, entre autres hypothèses. Nous préférons utiliser une moyenne sur la superficie de l’atoll. » Bien que ce niveau de radioactivité soit supérieur à celui des environs de Tchernobyl, il ne pose pas problème tant qu’on n’y passe pas plus de quelques semaines, selon la chercheuse.

Les tests

Sur une centaine de tests atmosphériques et sous-marins menés par les États-Unis dans le Pacifique, 67 ont eu lieu dans les atolls de Bikini et d’Enewetak, évacués avant les tests. Les tests étaient particulièrement puissants et un retour prématuré dans les années 70 a mené à de nouvelles évacuations. Les habitants d’un autre atoll, Rongelap, ont été évacués après des tests ayant causé plus de retombées que prévu. Les tests ont cessé en 1963 après la conclusion d’un traité interdisant les tests atmosphériques américains et soviétiques.

Les Bikiniens

Un peu plus de 160 Bikiniens ont été évacués en 1946. « On parle probablement maintenant de plusieurs centaines de personnes, en comptant les descendants, dit Mme Nikolic-Hughes. Au départ, les Bikiniens ont été envoyés dans un atoll inhabité qui était justement inhabitable. Ensuite, on les a envoyés dans l’île d’Ebeye, près de la base militaire américaine de Kwajelein. Plus de 10 000 personnes vivent sur Ebeye, qui mesure 0,25 km2, contre 5 km2 pour Bikini. La pêche y est très différente, on doit aller dans l’océan, plutôt que dans le lagon de l’atoll. Beaucoup de Bikiniens ont donc déménagé vers Maduro et d’autres aux États-Unis, où les Marshalliens ont le droit de travailler en vertu du traité d’indépendance de 1986. » La physicienne new-yorkaise espère que les nouvelles études publiées dans PNAS mèneront le gouvernement américain à financer la décontamination du sol de Bikini. « À mon avis, ça coûterait une centaine de millions. C’est beaucoup moins compliqué qu’à Fukushima, par exemple. Ce n’est que 0,01 % de la somme affectée à la modernisation de l’arsenal nucléaire américain. »

Cancer

Une étude menée en 2010 par l’Institut national du cancer a calculé que les tests nucléaires avaient augmenté de 1,6 % le nombre de cancers dans les îles Marshall, et que la moitié des cancers subis par les évacués de Rongelap étaient attribuables aux tests. Les États-Unis ont versé plus de 700 millions US à différents moments aux habitants des îles Marshall affectés par les tests.

En chiffres

15 kilotonnes : puissance de la bombe nucléaire larguée sur Hiroshima en 1945

15 mégatonnes : puissance de la plus grosse bombe nucléaire testée par les États-Unis, à Bikini en 1954

58 mégatonnes : puissance de la plus grosse bombe nucléaire testée par l’URSS, au-dessus de l’île de Severny, dans l’Arctique, en 1961

1054 : nombre de tests nucléaires américains

Source : Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires