L’Arctique est la région du monde où le réchauffement de la planète est le plus rapide. C’est donc un endroit privilégié pour mesurer la capacité d’adaptation de l’homme. Les résultats d’une récente étude montréalaise sur le sujet sont encourageants.

PHOTO FOURNIE PAR JAMES FORD

James Ford, géographe à l’Université McGill

De la motoneige au bateau

Depuis 30 ans, la température a augmenté de 2 °C en Arctique, et l’extension maximale de la banquise a baissé de 20 %. Et pourtant, l’accès aux pistes utilisées par les autochtones a légèrement augmenté, selon James Ford, géographe à l’Université McGill et à celle de Leeds, en Angleterre. « Ça nous a beaucoup surpris », explique M. Ford, qui est l’auteur principal de l’étude publiée à la fin de mars dans la revue Nature Climate Change. « Les sorties en bateau et en motoneige sur la terre ferme sont plus fréquentes, et les sorties sur la banquise n’ont presque pas diminué. Un facteur important a été le vent : les jours de bourrasques sont moins fréquents, ça rend la glace plus prévisible. » En moyenne, les Inuits des neuf villages du Nunavut où a travaillé M. Ford sortaient 100 jours par année sur l’eau, 200 jours sur la terre ferme et 200 jours sur la banquise (certaines expéditions avaient lieu à la fois sur la terre et sur la banquise). Le nombre de sorties sur l’eau a augmenté de 3 %, sur la terre ferme de 0,2 % alors que le nombre de sorties sur la banquise a diminué de moins de 1 %.

L’expérience est cruciale

Une autre découverte de l’étude est que l’expérience est cruciale pour s’adapter aux changements des pistes. « En moyenne, les sorties en bateau sont jugées sécuritaires si les glaces recouvrent moins de 30 % de l’océan, dit M. Ford. Mais les plus expérimentés sont à l’aise avec 50 % de couverture de glace. Ça augmente de 100 jours en moyenne le nombre de leurs sorties chaque année par rapport aux moins expérimentés. » Les problèmes sociaux minent-ils la transmission des connaissances ? « Ça nuit, c’est certain. Mais il est possible de rendre plus efficaces les enseignements des aînés avec la technologie, les téléphones satellites, les drones. Alors je suis optimiste. »

La technologie

La technologie pourrait également favoriser l’adaptation en Arctique, selon James Ford. Il a dirigé La Presse vers Smart Ice, une ONG de Terre-Neuve-et-Labrador qui a installé des stations de mesure de l’épaisseur de la glace au Nunavut et au Labrador. « J’ai commencé à travailler au Nunatsiavut, la région inuite du Labrador, il y a 10 ans », explique Trevor Bell, fondateur de Smart Ice, en entrevue depuis Pond Inlet, au Nunavut, où il donne une formation technique. « J’étais à l’Université Memorial et nous avions un programme sur la santé mentale des Inuits. On a commencé à me parler de motoneiges qui tombaient dans l’eau parce que la glace n’était pas aussi épaisse que d’habitude. Nous avons fait un projet pilote au Nunatsiavut, puis un autre au Nunavut. Maintenant, nous avons ajouté une mission d’intégration des savoirs scientifiques et traditionnels et de diminution des barrières à l’emploi chez les Inuits. »

Une usine au Labrador

Plus tard cette année, Smart Ice ouvrira une usine de détecteur d’épaisseur de glace au Nunatsiavut. « Une vingtaine d’autres communautés du Labrador, du Nunavut et du Nunavik sont intéressées à nos services, dit Trevor Bell. Il faudrait des centaines d’appareils, on les dispose parfois à des centaines de kilomètres des villages. Je ne voulais pas commander les détecteurs à Montréal et que les profits de leur fabrication restent dans le Sud. Nous avons donné le design aux communautés inuites et l’avons modifié pour que les détecteurs puissent être assemblés par des jeunes du Nunatsiavut. Nous sommes en train de les former. » L’usine est en construction à Nain, le village le plus septentrional du Labrador, qui compte 700 habitants.

La chasse à l’eider

Entre le début et la fin du XXe siècle, le nombre d’eiders à duvet (Somateria mollissima borealis) dans l’Arctique canadien et le Groenland a chuté de 70 % à 80 %. La cause du déclin de ce canard vient d’être déterminée par des biologistes canadiens : la création par les gouvernements centraux de villes où se rassemblaient les Inuits et où ils pouvaient acquérir des armes et des embarcations motorisées. « Nous avons comparé les sédiments dans les plans d’eau près de communautés plus nombreuses et n’ayant pas connu de croissance », explique Jules Blais, de l’Université d’Ottawa, qui est l’auteur principal de l’étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. « La quantité d’azote provenant des excréments d’eiders diminuait beaucoup près de Cape Dorset, mais pas vraiment dans les régions moins peuplées. » La datation de l’azote des sédiments a permis de reconstituer les populations d’eiders jusqu’en 1850. L’une des deux régions moins peuplées étudiées était Ivujivik, au Nunavik. Les eiders à duvet, dont le nombre a augmenté depuis un moratoire sur la chasse au Groenland en 2002, passent l’été dans l’Arctique canadien et le nord du Groenland, et l’hiver dans le sud du Groenland et à Terre-Neuve.