Le toit du monde a été occupé bien avant ce que l’on croyait : l’homme habitait le Tibet il y a 160 000 ans, ce qui recule de 120 000 ans la présence humaine dans le plus haut lieu habité du monde. Visite des traces laissées par un cousin éloigné de Néandertal.

Une mâchoire

Des chercheurs chinois et européens ont analysé une partie de mâchoire, une mandibule, trouvée dans une caverne située à 3280 m d’altitude, près du Tibet. Elle appartenait à un adolescent et ne contenait pas d’ADN, mais des traces de protéines qui ont pu être analysées et comparées avec succès aux restes de la grotte de Denisova, en Sibérie. « Ce genre de paléontologie protéomique est très prometteuse pour les ossements ne contenant pas d’ADN, ce qui survient souvent en Chine », dit Jean-Jacques Hublin, auteur principal de l’étude, qui travaille à l’Institut Max-Planck à Leipzig, en Allemagne.

Une reconstitution virtuelle de la partie de la mâchoire trouvée dans la grotte de Baishiya.

Adaptation à l’altitude

Cette découverte sino-européenne, décrite fin avril dans la revue Science Advances, est importante parce que les gènes d’adaptation à l’altitude sont parmi les changements les plus importants qu’ont connus les ancêtres de l’homme moderne. « On savait, avec des travaux chinois ces dernières années, que les gènes de résistance à l’altitude des Tibétains proviennent d’un homme archaïque, le Dénisovien, mais on ne savait pas combien de temps cette adaptation avait duré », a expliqué Jean-Jacques Hublin dans une conférence de presse téléphonique. « Depuis longtemps en paléontologie, le modèle le plus populaire considérait que l’évolution depuis l’homme archaïque jusqu’aux Asiatiques modernes s’était faite localement, sans grandes migrations. On voit qu’il faut oublier ce modèle statique, il y a eu un grand brassage de population depuis plusieurs centaines de milliers d’années en Asie. »

PHOTO FOURNIE PAR DONGJU ZHANG, DE L’UNIVERSITÉ DE LANGZHOU

Les gènes d’adaptation à l’altitude sont parmi les changements les plus importants qu’ont connus les ancêtres de l’homme moderne.

Lointains cousins

Les Dénisoviens sont des cousins de l’homme de Néandertal, dont l’existence a été démontrée avec l’analyse de restes d’une jeune fille ayant vécu il y a 41 000 ans dans la grotte de Denisova des monts de l’Altaï, en Sibérie.

« Nous décrivons le deuxième site dénisovien, dit Jean-Jacques Hublin. Nous savions que les Dénisoviens occupaient un large territoire, parce qu’ils sont présents dans 3 à 5 % des gènes des Mélanésiens et des autochtones australiens et qu’ils ont donné aux Tibétains leurs gènes de résistance à l’altitude. Les Dénisoviens avaient probablement une grande variété génétique, comme le montre l’étude récente indiquant que les ancêtres des Papous proviennent d’un métissage entre deux populations distinctes, des Dénisoviens du Nord et des Dénisoviens du Sud, il y a 15 000 ans. On a aussi trouvé en Chine plusieurs fossiles qui ne sont ni de Néandertal ni de sapiens, avec des outils distincts, qu’on n’a pas pu encore relier aux Dénisoviens par manque d’ADN. »

Les outils de pierre trouvés dans la caverne de Baishiya, qui sont aussi situés dans la strate datant de 160 000 ans, sont différents des outils trouvés ailleurs en Chine, note M. Hublin. Des ossements de mammifères modifiés par ces outils sont aussi décrits dans l’article de Science Advances.

PHOTO FOURNIE PAR DONGJU ZHANG, DE L’UNIVERSITÉ DE LANGZHOU

Des membres de l'équipe scientifique inspectent la grotte de Baishiya.

Une grotte riche

La découverte a été effectuée dans la grotte de Baishiya, voisine du monastère tibétain de Labrang, le plus important à l’extérieur de Lhassa. « C’est un moine qui a trouvé les restes d’os en 1980, dans cette grotte importante où a vécu une figure importante de la religion bouddhiste », a expliqué durant la conférence de presse la coauteure Dongju Zhang, de l’Université de Langzhou. « Nous avons pu faire un relevé scientifique en 2010. » Traditionnellement, ces ossements de la grotte étaient transformés en poudre médicinale par les moines, note Jean-Jacques Hublin, de l’Institut Max-Planck. « Nous avons été chanceux que le moine conserve la mandibule intacte. » L’automne dernier, une autre étude sino-américaine avait reporté dans la revue Science de 12 000 à 40 000 ans l’occupation du Tibet avec la découverte d’ossements dans une grotte au sud du Tibet située à 4100 m d’altitude.

Ancienne vallée

Début mai, une autre étude avait rajeuni la formation du plateau tibétain. Alors que plusieurs études avançaient qu’il datait de plus de 40 millions d’années, des chercheurs allemands ont trouvé des fossiles de palmiers montrant que le plateau était traversé d’au moins une vallée tropicale il y a 25 millions d’années. La compréhension de la formation du plateau tibétain est importante parce qu’elle a mené au système de moussons dans le sous-continent indien. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Science Advances.

PHOTO FOURNIE PAR DONGJU ZHANG, DE L'UNIVERSITÉ DE LANGZHOU

La découverte a été effectuée dans la grotte de Baishiya, voisine du monastère tibétain de Labrang, le plus important à l'extérieur de Lhassa.

Les Dénisoviens dans le temps

660 000 ans Ancêtre commun des Néandertaliens, des Dénisoviens et des Homo sapiens

450 000 ans  Ancêtre commun des Néandertaliens et des Dénisoviens

430 000 ans Plus vieux site connu de l’homme de Néandertal ou d’un ancêtre immédiat, en Espagne

100 000 ans Homo sapiens sort de l’Afrique, premiers sites trouvés en Israël

45 000 à 41 000 ans Homo sapiens arrive en Europe

41 000 ans Plus récent site dénisovien connu, en Sibérie

36 000 ans Dernier refuge connu du Néandertal, dans le sud de l’Espagne

15 000 ans Plus récent métissage entre Dénisoviens et Homo sapiens, en Papouasie ou en Indonésie

Sources : Nature, Science Advances, PNAS