La neuropsychologue Marianne Bélanger, fondatrice de la première clinique québécoise à se consacrer exclusivement à la douance et à la double exceptionnalité au Québec et figure très connue dans le domaine, fait face à cinq chefs d’infraction disciplinaire de l’Ordre des psychologues en lien avec des évaluations en neuropsychologie qu’elle a effectuées sur des enfants.

Les faits reprochés se seraient déroulés à Saint-Lambert et à Montréal entre juin 2017 et avril 2019. Dans le cadre d’un rapport d’évaluation en neuropsychologie, elle aurait « fait défaut d’exercer sa profession de façon conforme aux règles de l’art en psychologie, notamment dans l’application d’un “testing des limites” ». Aucun autre détail ne peut être divulgué par le conseil de discipline de l’Ordre à ce stade-ci.

En entrevue à La Presse, Mme Bélanger affirme que le processus disciplinaire en cours a selon elle été « personnalisé », entre autres parce qu’elle est très exposée médiatiquement et est une « pionnière » dans son domaine, mais reflète surtout le débat professionnel qui a cours actuellement sur l’évaluation de la douance au Québec.

Environ 25 000 enfants d’âge scolaire seraient considérés comme doués ou à « haut potentiel » au Québec, selon le site Naître et grandir.

En 2020, les neuropsychologues Marie-Claude Guay, Marie-Josée Caron, Julie Duval et Elodie Authier ont présenté une formation accréditée par l’Ordre des psychologues du Québec intitulée « La douance à outrance, il est temps de remettre les pendules à l’heure ».

Dans un article publié dans Le Soleil à ce sujet, Mme Guay expliquait qu’« actuellement, le problème qu’on constate, c’est qu’il y a énormément d’enfants qui sont identifiés comme des enfants qui ont une douance alors qu’ils ont un potentiel intellectuel tout à fait normal ». Et que chez certains enfants qu’elle réévalue car ils ont toujours des difficultés scolaires des années après avoir reçu une évaluation de douance, elle découvre une toute autre réalité. Comme de la dyslexie. « Entre-temps, les enfants ont été privés, par exemple, de services d’aide en lecture ou en écriture », a expliqué Mme Guay au Soleil.

Ce dont on parle

Dans un texte sur « l’évaluation de la douance intellectuelle » publié en juin 2021, la directrice de la qualité et du développement de la pratique à l’Ordre des psychologues du Québec, Isabelle Marleau, indique que « la personne douée intellectuellement est celle qui obtient des résultats très supérieurs aux tests de QI [quotient intellectuel] », soit un résultat de 130 ou plus. Les personnes avec une « double exceptionnalité », soient celles avec une douance et un autre trouble neurodéveloppemental comme un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), doivent aussi répondre à ce critère, selon le texte de Mme Marleau.

La psychologue Stéphanie Deslauriers, qui siège au comité scientifique de l’Association québécoise pour la douance (AQD), affirme qu’il y a différentes épreuves dans un test de quotient intellectuel (QI). « Certaines mesurent les capacités de langage, les connaissances, le raisonnement non verbal… », énumère-t-elle. Pour chacune de ces épreuves, des critères de passation sont établis. Par exemple, ce peut être qu’après trois échecs consécutifs aux questions, l’épreuve est terminée. « C’est à partir de ces mesures-là qu’on va évaluer le QI », dit Mme Deslauriers.

Durant le test d’évaluation du QI, les psychologues et neuropsychologues peuvent aussi avoir recours au « testing des limites ». C’est-à-dire qu’ils peuvent aller « au-delà » des critères de passation et donner plus de temps pour répondre aux questions ou accorder certaines chances pour aller plus loin dans les questions, entre autres.

Le testing des limites, c’est aller au-delà des limites normales du test pour permettre de mieux comprendre le fonctionnement de la personne et mieux cibler l’intervention […] Ça ne doit toutefois pas être considéré dans le calcul du QI.

Stéphanie Deslauriers, psychologue qui siège au comité scientifique de l’Association québécoise pour la douance

Mme Deslauriers précise que l’AQD ne se positionne pas dans le cas du dossier disciplinaire en cours.

Visage très connu

Marianne Bélanger est très connue dans le milieu de la douance au Québec. En entrevue, elle explique qu’elle est devenue sans l’avoir prévu une « pionnière » dans le domaine dans la province et avoir contribué à sortir le sujet de l’obscurité.

Elle a cofondé la Clinique intégrée de développement de la douance et du talent, de même que l’Association québécoise pour la douance. Elle donne plusieurs conférences. Elle est également l’autrice du livre La douance : comprendre le haut potentiel intellectuel et créatif. En 2020, le ministère de l’Éducation a publié le programme « Agir pour favoriser la réussite éducative des élèves doués ». Deux publications de Mme Bélanger figurent dans les références.

Mme Bélanger a accordé plusieurs entrevues ces dernières années dans différents médias au sujet de la douance. Elle a dit à quelques reprises avoir elle-même un diagnostic de « double exceptionnalité », domaine dans lequel Mme Bélanger dit se spécialiser.

Enquête constante

La neuropsychologue explique faire l’objet d’une « enquête constante » de son ordre professionnel depuis quatre ans. Elle dit qu’à plusieurs reprises, l’Ordre l’a « questionnée sur [ses] méthodes d’évaluation ». Les plaintes émanaient d’autres neuropsychologues qui estimaient que les méthodes d’évaluation de Mme Bélanger n’étaient « pas scientifiquement valides parce qu’[elle conclut] à une double exceptionnalité quand il y a un QI en bas de 130 », explique-t-elle.

Pour Mme Bélanger, ses collègues n’ont « pas tort de penser ça ». « La douance, c’est un QI en haut de 130. Ça en fait partie. On le sait. Mais ce n’est pas que ça maintenant », dit-elle, en disant se baser sur la littérature scientifique. Elle plaide aussi que la double exceptionnalité n’a pas les mêmes particularités que la douance.

Mme Bélanger explique que les connaissances dans le domaine de la douance ont évolué à la vitesse grand V ces dernières années. Elle estime que les questionnements sur les méthodes et les façons de faire sont « normaux ». Mais elle s’attriste de voir que « ceux qui payent le prix » de tout ce débat sont « les enfants et les familles qui reçoivent des messages contradictoires ».

Pour Mme Bélanger, le débat qui se déroulera devant le conseil disciplinaire aura ceci de bon : « Il fallait qu’on l’ait, cette discussion. » Elle estime que, peu importe le résultat de son audience disciplinaire, il est important de « rebâtir l’expertise en douance et de bâtir l’expertise en double exceptionnalité » au Québec. L’audience de Mme Bélanger devant son conseil de discipline se poursuivra en juin.

Rectificatif
Ce texte a été modifié afin de tenir compte du fait que la douance n’est pas un trouble neurodéveloppemental et que les psychologues et neuropsychologues ne peuvent donc pas poser un diagnostic de douance. On parle plutôt d’une démarche d’identification d’un profil de douance.

En savoir plus
  • 2,5 %
    Proportion de la population ayant un quotient intellectuel de plus de 130
    source : Association québécoise pour la douance
    De 1500 $ à 2000 $
    Coût d’une évaluation en neuropsychologie en clinique privée
    source : Naître et grandir