(Québec) L’octroi de milliers de contrats de gré à gré pendant la pandémie a entraîné « un risque de dépendance » envers certains fournisseurs, comme la plateforme de rendez-vous Clic Santé, qui a touché 17,3 millions de dollars en contrats, note la vérificatrice générale (VG).

Dans un audit de performance publié jeudi, Guylaine Leclerc dévoile également que le recours à la main-d’œuvre indépendante en soins infirmiers est à la hausse et que les taux horaires ont connu « de fortes augmentations » à la levée des décrets ministériels plafonnant les tarifs, en décembre dernier.

La vérificatrice générale a examiné 29 contrats d’une valeur de 25 000 $ et plus octroyés en vertu de l’état d’urgence sanitaire, qui permettait de contourner les règles habituelles d’appel d’offres en procédant de gré à gré, de mars 2020 à mars 2022. Après examen, elle conclut que ces contrats avaient toujours un lien direct ou indirect avec la pandémie, mais établit « un risque de dépendance » envers certains fournisseurs.

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Guylaine Leclerc

Elle cible notamment la plateforme Clic Santé, qui été grandement mise à contribution pendant la campagne de vaccination. Dès décembre 2020, le MSSS a informé tous ses établissements de santé que la plateforme Clic Santé avait été choisie pour l’opération. Ce choix reposait sur le fait qu’une majorité de CISSS et CIUSSS utilisait déjà cette plateforme pour la prise de rendez-vous, écrit la VG.

Des ententes distinctes avec le propriétaire ont été conclues avec chaque établissement de santé, qui paie des frais d’utilisation par rendez-vous. Par ailleurs, le MSSS a aussi attribué quatre contrats de gré à gré avec l’entreprise Clic Santé pour que des fonctionnalités soient ajoutées à la plateforme, comme rendre possible la prise de rendez-vous par tranche d’âge. Ces quatre contrats s’élèvent à près de 1,3 million de dollars.

En tout, 80 contrats ont été octroyés de gré à gré pendant la période d’urgence sanitaire pour la plateforme de prise de rendez-vous en ligne, pour une valeur totale de 17,3 millions de dollars.

« La prise de rendez-vous en ligne est une solution qui est appelée à demeurer dans le réseau de la santé au-delà de l’urgence sanitaire, notamment dans le but d’optimiser les processus et d’uniformiser l’expérience client », note la VG dans son rapport alors que le ministre de la Santé Christian Dubé mène une importante réforme du réseau de la santé et des services sociaux.

Le MSSS a par ailleurs récemment incité les établissements à renouveler pour 18 mois leur contrat avec la plateforme, soit jusqu’à septembre 2024.

Dépendance et coûts

« Dans le contexte où le ministère n’en est pas lui-même le propriétaire, il y a un risque de dépendance envers la firme. En effet, si le MSSS procède à un appel d’offres, le fournisseur actuel a un avantage par rapport aux autres fournisseurs potentiels, notamment parce qu’il a reçu environ 1,3 million de dollars pour ajuster sa plateforme aux besoins du ministère », soutient la VG.

Et si ce dernier signe un contrat à long terme avec le fournisseur, ce service n’aura jamais fait l’objet d’un appel d’offres, et aucun autre soumissionnaire n’aura pu se présenter.

Extrait du rapport de la vérificatrice générale Guylaine Leclerc

En cas de dépendance, il existe aussi un risque « d’observer une hausse des coûts » pour le service, illustre la VG dans son rapport. Mme Leclerc démontre par ailleurs que les coûts par rendez-vous pour l’utilisation de la plateforme Clic Santé « ont fortement augmenté en quelques années ». Elle souligne une hausse de 89,1 % par rapport au coût moyen de 2020.

La VG recommande au MSSS d’effectuer une analyse des coûts et des avantages de l’élargissement du recours à la plateforme Clic Santé « et prendre les mesures nécessaires s’il y a lieu ».

Elle note aussi que l’achat de places d’hébergement dans le contexte de la crise sanitaire induit aussi un risque de dépendance puisque les contrats pour des places temporaires se sont transformés dans certains cas en places permanentes.

Main-d’œuvre indépendante

En plus d’avoir accès aux données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et à l’ensemble de celles des établissements de santé, les équipes de la VG ont audité plus particulièrement le CISSS de la Montérégie-Centre, le CIUSSS de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke et celui de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Sans grande surprise, le recours aux agences privées de placement a explosé pendant la pandémie. Pour les trois CISSS et CIUSSS audités, la dépense en main-d’œuvre indépendante pour les soins infirmiers et les soins d’assistance s’élevait à 14,4 millions de dollars en 2016-2017, à 25,5 millions en 2019-2020 et à 50,5 millions en 2021-2022.

Les travaux de la VG viennent aussi confirmer que des entreprises ont profité de la fin des décrets ministériels venant plafonner les taux horaires, en décembre 2022. Par exemple, en Estrie, pour le personnel en soins infirmiers, ce sont 17 % des agences qui ont soumissionné à des tarifs supérieurs au double de ceux établis par l’arrêté, écrit-on dans le rapport.

Le projet de loi 10 qui vise à limiter le recours aux agences a été adopté en avril. Le gouvernement doit par règlement réintroduire des taux horaires similiaires à ceux qui étaient prévus dans les décrets.