(Québec) Poursuivant une « logique médico-centriste », la vaste réforme du ministre Christian Dubé risque de « creuser encore plus » le déséquilibre entre la santé et les services sociaux, déplore l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux.

Ce qu’il faut savoir

  • Le projet de loi 15 vise à rendre plus efficace le réseau de la santé et des services sociaux.
  • L’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec juge qu’il existe « un déséquilibre entre les deux piliers du réseau qui sont la santé et les services sociaux » et craint que la réforme Dubé « creuse encore plus l’écart ».
  • L’Ordre invite le ministre de la Santé à créer « une direction propre aux services sociaux à l’intérieur de Santé Québec » et recommande de revaloriser le rôle des CLSC.

« Je pense que le moment est charnière pour remettre de l’avant les services sociaux », plaide le président de l’ordre professionnel, Pierre-Paul Malenfant. L’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec témoignera ce mardi lors de la dernière journée de consultations sur le projet de loi 15, qui vise à rendre plus efficace le réseau de la santé et des services sociaux.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Christian Dubé, ministre de la Santé, lors des consultations sur le projet de loi 15, le mois dernier

Selon l’Ordre, la réforme Dubé ne va pas assez loin pour revaloriser la mission des services sociaux. « Il y a un déséquilibre majeur entre les deux piliers du réseau qui sont la santé et les services sociaux. On constate que ce déséquilibre-là, dans le projet de loi, est maintenu », explique M. Malenfant, qui y va d’une série de recommandations pour « éviter de creuser encore plus l’écart ».

D’emblée, l’Ordre déplore que la composante « services sociaux » soit éclipsée de l’appellation de la nouvelle société d’État « Santé Québec ». La réforme du ministre doit se traduire par la création d’une agence qui sera responsable de tout le volet opérationnel du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui lui se concentrera sur les grandes orientations et la planification.

Cela induit le fait que le réseau est ‟santé”. Où sont les services sociaux ? Ça peut paraître cosmétique, mais ça reste quelque chose d’assez révélateur.

Pierre-Paul Malenfant, président de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec

Si l’Ordre salue l’instauration d’un conseil multidisciplinaire des services sociaux pour chaque établissement dans la nouvelle structure, il invite le ministre de la Santé à créer « une direction propre aux services sociaux à l’intérieur de Santé Québec » avec des pouvoirs équivalents à ceux prévus pour les services de santé.

Des « CLSC 2.0 »

L’ordre professionnel rappelle au ministre Dubé qu’il a devant lui « l’occasion unique » de rétablir le déséquilibre entre la santé et les services sociaux par sa réforme. Il lui recommande de revaloriser le rôle des CLSC en leur confiant l’autonomie et la marge de manœuvre nécessaires pour assurer une gouvernance locale. « On pourrait appeler ça un CLSC 2.0 », souligne M. Malenfant.

C’est-à-dire que l’Ordre recommande la création d’établissements publics locaux et des services sociaux de première ligne, à l’échelle des MRC, comme les CLSC. Ces établissements devraient recevoir un budget de fonctionnement et être dotés d’un conseil d’administration faisant « une large place aux citoyens » et aux représentants du milieu municipal et scolaire, par exemple, et aux professionnels des services sociaux.

« Au début des années 1980, il y avait autour de 1000 établissements au Québec. Dans toutes les communautés, il y avait un conseil d’administration, un comité de direction, les employés étaient des employés de la place. Il y avait tout un réseau qui était autour, qui prenait soin de la communauté », soutient M. Malenfant.

On va se retrouver avec la présente réforme avec un seul établissement, Santé Québec, qui va avoir tous les pouvoirs. […] C’est une hypercentralisation qui va à l’encontre des bonnes pratiques que la science […] met de l’avant pour les services sociaux.

Pierre-Paul Malenfant, président de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec

Faisant l’objet de critiques pour mener une opération de centralisation, Christian Dubé a déjà affirmé qu’il songeait à ajuster sa réforme en créant des comités de surveillance locaux composés, entre autres, d’élus municipaux, afin d’« aller plus loin » dans la reddition de comptes à la population (1).

Lisez l’article « Christian Dubé songe à ajuster sa réforme »

Il s’agit notamment d’une recommandation de Michel Clair, ex-président de la commission d’enquête qui a passé le réseau de la santé au crible en 2000.

Pour M. Malenfant, il ne faut pas seulement qu’il soit question de « surveillance ».

« Je pense qu’il doit aussi y avoir une question de prise en charge, de responsabilité d’une instance, d’un conseil d’administration élu et nommé par les gens de la place qui vont être en mesure de donner les orientations pour les services spécifiques à la région », nuance-t-il.

L’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec, l’Ordre des pharmaciens du Québec et la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador seront parmi les derniers groupes entendus mardi lors des consultations sur le projet de loi 15. L’étude détaillée du texte législatif, c’est-à-dire article par article, s’amorcera ensuite.

Le projet de loi 15 est une brique de quelque 300 pages avec 1200 articles.