(Montréal) La santé mentale du personnel soignant se dégrade depuis plusieurs années. Le forum « Les États généreux » s’est penché sur ce constat vendredi à Montréal.

Médecins, psychiatres, travailleurs sociaux et infirmières se sont réunis pour proposer un plan d’action visant à améliorer la santé mentale de ceux qui s’occupent de la santé des autres.

La santé mentale des professionnels de la santé est un enjeu qui préoccupait même avant la pandémie. L’assureur Beneva a remarqué une augmentation de 120 % des départs d’une durée de plus de deux ans chez les soignants en raison de problèmes psychologiques entre 2017 et 2022.

Les 120 professionnels réunis au forum organisé par l’Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ) ont échangé afin de proposer différentes pistes de solutions, qui seront colligées par des étudiants du Pôle santé de HEC Montréal. Des experts du comité organisateur se réuniront ensuite pour publier un cahier de propositions.

« Si on a un plan d’action solide, je vous garantis que je vais en faire la promotion pour que ce soit associé à des fonds suffisants pour le mettre en branle dans la prochaine année, au prochain budget », a promis le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, lors de son allocution devant les participants au forum.

Pour la présidente de l’AMPQ, la Dre Claire Gamache, il faut s’occuper de la santé mentale du personnel soignant dès qu’ils se trouvent sur les bancs d’école. « On est dans cette culture-là de l’excellence, de ne pas avoir droit à l’erreur, d’être toujours dans des standards extrêmement élevés, et ça amène des vulnérabilités. J’ai l’habitude de dire qu’on enseigne un peu la dépression à l’université en médecine », a évoqué la Dre Gamache.

Et il faut aussi s’attarder à l’arrivée de ces jeunes professionnels sur le marché du travail, selon la psychiatre. « Il faut vraiment réfléchir à comment on accueille les nouveaux travailleurs, comment on les soutient, comment on les protège, autant du traumatisme que du virus », a-t-elle affirmé.

Les enjeux de santé mentale ne se limitent pas aux étudiants en médecine. Une professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal, Emmanuelle Khoury, évoque que les étudiantes font des stages rapidement, et que leurs idéaux d’une pratique antioppressive et équitable du travail social se confrontent souvent à un système rigide. « Là c’est la performance, dans le sens de combien de personnes est-ce que je vois, pour combien de temps », a expliqué Mme Khoury.

La professeure remarque que des travailleuses sociales se dirigent vers le réseau privé ou changent de profession. « C’est un symptôme d’un réseau qui ne prend pas soin des travailleurs. On doit prendre soin de notre réseau, et vice versa », a déclaré Mme Khoury.

Avant le forum, le comité organisateur des « États généraux » a mené une série d’entrevues pour présenter des premières pistes de solutions afin d’améliorer la santé mentale du personnel de la santé. Parmi elles, il y a l’idée de prendre des décisions individuellement comme professionnel dans un objectif de santé globale, et celle que les patients se trouvent au bon endroit au bon moment.

Pour la Dre Gamache, le forum se voulait un lieu d’échanges interdisciplinaire de façon à ce que les professionnels de la santé retrouvent « un sens partagé » à leur travail. « Si notre système de santé peut devenir un système apprenant, on peut s’adapter au changement », a évoqué la psychiatre.

Voir au-delà des listes d’attente

Pour le Dr Olivier Farmer, psychiatre œuvrant en milieu hospitalier et au refuge de La Mission Old Brewery, il est important d’agir en amont pour éviter que les patients soient sur une liste d’attente, plutôt que d’essayer de la réduire à tout prix.

« Si le gouvernement met de la pression pour vider la liste d’attente, ça doit dire qu’il faut que je voie plein de nouveaux cas, pas toujours tellement pertinents. Là je rush, et je fais plein de notes, c’est ça mon activité principale. Et si les gens viennent à la pelletée à l’urgence, il faut les hospitaliser. On est à l’hôpital en train de faire plein de choses qu’on pourrait faire dans la communauté », a-t-il expliqué.

« Je constate que je travaille beaucoup mieux quand je suis en proximité, mes actions sont plus efficaces », a renchéri M. Farmer.

Il estime que des mesures organisationnelles pourraient aussi être prises pour éviter que les patients engorgent les urgences « pour rien ». Par exemple, donner aux médecins de famille l’accès à la salle des plâtres.

« [Les médecins de famille] peuvent prescrire le plâtre, mais ils n’ont pas accès à l’équipement de la salle des plâtres qui est à l’hôpital. Ils sont obligés de les envoyer [les patients] à l’urgence, où ils font tout le processus de l’urgence, revoient le médecin de l’urgence, qui va constater la même affaire », explique le psychiatre.

« On est encore pris avec l’indicateur des listes d’attente parce qu’on n’a pas beaucoup d’autres indicateurs de disponibles dans le réseau, donc on travaille à faire évoluer nos indicateurs », a affirmé à ce sujet le ministre Carmant en entrevue, précisant qu’« on est passé de 700 000 patients vus par année à 900 000 vus par année ».

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.