La violence explose dans le réseau de la santé, le nombre d’employés victimes d’évènements ayant doublé depuis 10 ans. C’est d’ailleurs dans le milieu des soins que l’on compte le plus grand nombre d’incidents.

La vie de Marie*, préposée aux bénéficiaires en CHSLD au CIUSSS Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, a été chamboulée le 7 octobre 2019. Lors d’un souper avec les résidants, un homme souffrant d’alzheimer et connu pour son agressivité s’est approché d’elle, par-derrière.

« Il a mis sa main gauche sur mon menton et sa main droite sur ma nuque il a forcé ma tête vers la gauche. Le patient a essayé de me tuer en me brisant la nuque », se remémore-t-elle. Sous le choc, Marie n’a pas crié. « J’ai tranquillement glissé mes doigts entre son poignet et mon cou et j’ai essayé de lui faire lâcher prise. »

La femme a été transférée en centre hospitalier où s’en est suivi un an et demi de réadaptation et de thérapie pour traiter des blessures cervicales et un trouble de stress post-traumatique. Encore aujourd’hui, elle vit avec des douleurs chroniques. « J’ai l’impression qu’on m’a volé ma vie. Je ne peux plus rien faire », confie-t-elle, en ravalant ses sanglots.

Des statistiques « troublantes »

Le nombre d’employés du milieu de la santé ayant reçu des indemnisations de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) liées à de la violence subie au travail est passé de 933 en 2012 à 1994 en 2021. Dans la quasi-totalité des cas, il s’agissait de voies de fait ou d’actes violents.

« Ces statistiques sont troublantes et j’estime que la réalité est beaucoup plus dure », affirme le professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et spécialiste des émotions et des violences dans les organisations Angelo Soares.

Les travailleurs du secteur de la santé et de l’assistance sociale sont de loin ceux qui sont les plus nombreux à rapporter avoir subi de la violence au travail. Ils ont fait plus de la moitié (55 %) du nombre de déclarations effectuées au Québec en 2021. Le secteur de l’enseignement arrive au deuxième rang avec 16 % des déclarations.

Ces chiffres ne représentent probablement que la pointe de l’iceberg, estime le professeur Angelo Soares. « Lors d’un projet de recherche, une infirmière m’a dit que si elle remplissait un formulaire chaque fois qu’elle vivait un épisode de violence au travail, elle ne ferait que ça », illustre-t-il.

Dur pour le personnel de soutien

Le personnel de soutien des services de santé, comme les aides-soignants et les préposés aux bénéficiaires, est le plus touché par cette violence. Ce groupe représente 52 % des déclarations faites dans le milieu de la santé en 2021. Les professionnels en soins infirmiers suivent avec 9 % des cas.

Les agents administratifs, responsables notamment de l’enregistrement des patients à l’hôpital, sont également visés. « La violence envers les agentes administratives a toujours existé parce qu’elles sont en première ligne, mais ça a vraiment empiré avec la pandémie. Ça peut aller jusqu’à des menaces de mort, des coups dans la vitre, ça va très loin », observe la responsable des communications du syndicat des travailleuses et des travailleurs du CISSS des Laurentides, Valérie Lapensée.

On parle très peu d’à quel point ça peut être traumatisant de recevoir un patient qui cogne tellement fort dans la vitre que tu penses qu’il va réussir à la casser.

Valérie Lapensée, responsable des communications du syndicat des travailleuses et des travailleurs du CISSS des Laurentides

Un mal répandu

Le problème est répandu dans toute la province. « Aux urgences des hôpitaux de Joliette et de Pierre-Le Gardeur, on a enregistré une centaine de cas de violence dans la dernière année », dit le président du syndicat des travailleuses et des travailleurs du CISSS de Lanaudière, Simon Deschênes.

À Québec, les agressions représentent la principale cause de déclaration des accidents de travail, soutient le responsable du syndicat des travailleuses et des travailleurs du CIUSSS de la Capitale-Nationale, Jean-Renaud Caron. Les affiches rappelant aux usagers d’être respectueux avec le personnel font d’ailleurs leur place dans les centres hospitaliers du Québec.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Aux urgences de l’hôpital du Sacré-Cœur, à Montréal, tous les usagers doivent désormais se soumettre à une inspection de leur sac et de leur manteau dans un contexte de hausse de la violence armée.

Le professeur Angelo Soares note qu’une partie de ces violences est causée par des personnes souffrant de troubles psychiatriques ou cognitifs, comme la démence. « Mais c’est loin d’être tout le monde et il faut rappeler que la majorité des gens qui ont des problèmes de santé mentale ne sont pas violents », dit-il.

L’état du système de santé, y compris « les nombreuses heures d’attente », accentue cette violence envers le personnel soignant, estime le professeur en psychologie du travail et des organisations à l’Université de Montréal Luc Brunet.

Si les gens attendent trop longtemps, ils deviennent agressifs. Il faut diminuer les temps d’attente dans le système et il faut sensibiliser la population pour qu’elle comprenne que ce n’est pas le personnel qui est responsable.

Angelo Soares, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Une prévention à revoir

Puisque le nombre de cas de violence ne cesse d’augmenter depuis la dernière décennie, « ça veut dire que les mesures de prévention ne fonctionnent pas », soutient le professeur Angelo Soares. « L’employeur est responsable en vertu de la loi de donner un milieu de travail sain. Il n’est pas capable de fournir ça », dit-il.

Appelé à réagir, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a indiqué que la gestion de la prévention des accidents au travail relève plutôt de chaque établissement. Il dit toutefois mettre à disposition différentes formations relatives à la civilité, au harcèlement et à la violence, notamment par l’entremise de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS).

Valérie Lapensée déplore toutefois que la formation offerte par l’ASSTSAS soit difficilement accessible aux travailleurs. « Cette formation est de moins en moins donnée, car le manque de personnel fait en sorte qu’on n’est pas capable de libérer les gens pendant quatre jours pour qu’ils puissent la suivre », souligne-t-elle.

De son côté, le CISSS des Laurentides a indiqué avoir implanté un nouveau programme pilote de formation en septembre 2022 sur la prévention et l’intervention lors de comportements violents conçu pour les plus petits groupes et se fragmentant en différentes séances pour offrir plus de flexibilité.

« Ça nous préoccupe beaucoup parce qu’on n’a pas le luxe de perdre des travailleuses et travailleurs en pleine pénurie de personnel », dit Réjean Leclerc, président de la FSSS-CSN. Il souhaite qu’il y ait plus de prévention auprès du personnel de la santé et que des messages soient envoyés à la population. « Il faut que le gouvernement dise clairement que la violence n’est pas tolérée. »

* Le prénom a été modifié afin de préserver son anonymat.