« C’est une bonne chose. Une très, très bonne chose. » L’ancien président et directeur général de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, David Levine, voit d’un bon œil l’arrivée de Santé Québec et la nouvelle loi sur l’efficacité en santé. Le Collège des médecins se dit favorable à ce que les spécialistes assument une « responsabilité collective » pour prendre davantage en charge les patients partout sur le territoire, sous réserve de prendre connaissance de tous les détails. Des syndicats en santé dénoncent toutefois le fait de ne pas avoir été consultés.

« C’est de ça que le réseau a besoin et que les gestionnaires ont besoin », dit d’emblée David Levine. Dans la nouvelle loi, Québec fusionnera entre autres l’ancienneté syndicale des employés à travers la province, obligera les médecins spécialistes à pratiquer en région et mettra fin aux conseils d’administration régionaux.

« En ce moment, c’est le bureau du ministre qui prend toute décision en fonction de la politique. C’est nettement mieux que ce soit centralisé ailleurs où les décisions ne sont pas prises pour des raisons politiques, mais [qu’elles] sont prises pour le bien-être de la population », dit-il.

Le gouvernement mettra fin aux conseils d’administration régionaux et nommera des directeurs généraux dans tous les grands établissements. Ces directeurs se rapporteront directement à Santé Québec plutôt qu’à des conseils d’administration locaux ou à la sous-ministre en titre du ministère de la Santé et des Services sociaux.

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David Levine, ancien PDG de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal

Or, le succès de la nouvelle loi dépendra de la volonté des gens du Ministère de « laisser Santé Québec, une autre instance distincte, prendre la responsabilité de 50 à 55 % du budget », estime M. Levine. « J’espère qu’ils vont avoir le courage de le faire », dit-il.

Par ailleurs, le directeur de Santé Québec devra être choisi minutieusement, soutient-il. « Il ne faut pas que ce soit un PDG d’une compagnie de fabrication d’automobiles ou d’une scierie de bois. Il faut que ce soit un PDG qui a travaillé dans le domaine de services à la population et où ses employés et ses clients sont très importants », dit-il.

Chose certaine, il va y avoir « une résistance dans le réseau », notamment de la part des syndicats, note-t-il. « Mais je pense que le gouvernement, en étant en début de mandat, va peut-être être en mesure et avoir le courage de mettre en application les choses nécessaires. »

Le Collège favorable à la « responsabilité collective »

Le Collège des médecins se dit favorable à l’idée d’exiger des médecins spécialistes qu’ils assument une « responsabilité collective » afin de mieux prendre en charge les patients partout sur le territoire, incluant dans des régions et des hôpitaux délaissés en ce moment. Il se prononce sous réserve de prendre connaissance de tous les détails du projet de loi attendu cette semaine.

« Je suis d’accord avec ce que j’entends si c’est dans [le] sens de faire en sorte que la communauté médicale soit plus responsable de bien offrir les services à la population qu’elle a à desservir dans sa région », a affirmé son président, le DMauril Gaudreault.

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Le DMauril Gaudreault, président du Collège des médecins

Comme La Presse l’a révélé lundi, Québec entend consacrer cette « responsabilité populationnelle » par de nouvelles obligations prescrites aux spécialistes : répondre plus efficacement aux demandes de consultation faites par les médecins de famille, assurer des gardes à l’hôpital et accepter le partage des horaires défavorables (après 16 h, par exemple).

Selon le DGaudreault, des médecins rencontrés lors de sa tournée récente de centres hospitaliers « sont d’accord avec le fait que les membres de la communauté médicale doivent mieux s’organiser pour être plus responsable, tous ensemble. »

Il y a là une relative atteinte à l’autonomie professionnelle quand on fait ça, mais il faut aller dans ce sens-là. Il faut que ça se fasse de même pour faire en sorte que la tâche soit partagée entre tous les médecins d’une même région.

Le DMauril Gaudreault, président du Collège des médecins

À Québec, on souligne que les médecins de famille sont soumis à des obligations de prise en charge des patients alors que les spécialistes ne le sont pas. Ces derniers doivent désormais l’être, dans le but d’améliorer l’accès aux soins, explique-t-on.

« Les médecins de famille dans les diverses régions ont établi de belles façons de faire par rapport à cette responsabilité sociale d’offrir les soins à la population. Et si M. Dubé veut faire la même chose avec les médecins spécialistes, bien moi, c’est sûr que je vais approuver ça et supporter ça », a indiqué le DGaudreault.

« Négocier sur la place publique »

Le manque de consultations entourant Santé Québec et la nouvelle loi sur l’efficacité en santé frustrent toutefois les syndicats en santé. « Ce sont des choses qui n’avaient pas été discutées à la table de négociation. Ce gouvernement-là négocie sur la place publique », s’exclame Réjean Leclerc, président de la FSSS-CSN. « Je trouve ça particulier d’inscrire ça directement dans une loi avant même d’en discuter avec les personnes visées. »

« Le gouvernement est incohérent. Il dit d’un bord de la bouche qu’il veut décentraliser, puis ses actions disent le contraire. Ils veulent encore plus centraliser les choses », dit M. Leclerc. À terme, les employés du réseau auront un seul employeur, Santé Québec, plutôt que les 34 employeurs locaux, ce qui permettra de fusionner les conventions collectives.

Ça enlève la flexibilité aux gestionnaires locaux et ça centralise encore davantage la gestion qui était déjà très centralisée.

Réjean Leclerc, président de la FSSS-CSN

Selon la présidente de la CSN, Caroline Senneville, de nombreuses questions restent en suspens. « On a rencontré le ministre, vendredi dernier, qui nous a donné les grandes lignes du projet de loi, mais c’était seulement les grandes lignes, parce que l’Assemblée nationale doit être au courant en premier du contenu de la loi », dit-elle.

Par ailleurs, Mme Senneville se questionne sur la « plus-value » de ces nouvelles mesures. « Est-ce que l’ancienneté nationale, par exemple, ça va faire en sorte qu’il y a des régions où ça va être encore plus difficile de retenir les employés ? », se demande-t-elle.

Elle craint également que ces nouveaux changements soient vus « comme une charge de plus » pour les travailleurs. « Tout ne va pas très bien dans le réseau de la santé et il faut s’assurer que les changements sont faits à la bonne vitesse », dit-elle.

Plusieurs syndicats, dont la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), l’Association des spécialistes en médecine interne du Québec (ASMIQ) et la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ), ont dit vouloir attendre de voir le projet et de l’analyser avant de le commenter.

Avec Francis Vailles, La Presse