La pandémie a été l’élément déclencheur d’un virage ambulatoire poussé encore plus loin : des opérations majeures peuvent être désormais réalisées en un jour. Si ce n’était des bonds de géant faits en anesthésie et en chirurgie, les listes d’attente seraient encore plus longues. 

C’est grave, docteur ? Quand même, mais vous échapperez à tout le moins aux patates en poudre. Opérations pour un cancer colorectal, mastectomies sans anesthésie générale, remplacements de hanche ou de genou : la pandémie a multiplié les procédures qui peuvent désormais se faire de façon minimalement invasive et en opérations d’un jour. Les patients repartent en courant (façon de parler) et les hôpitaux, aux prises avec des listes d’attente, ne demandent pas mieux.

Le diagnostic de cancer colorectal ? Un très mauvais souvenir. L’opération subséquente pour se faire enlever 20 centimètres d’intestin ? Une toute petite convalescence. Le jour même, Jasmin Laperle, toujours somnolent, sortait de l’hôpital. Cinq jours après, il mangeait au restaurant avec sa conjointe. Et il n’en revenait pas.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jasmin Laperle

Avant 2020, explique le DPatrick Charlebois, chirurgien, aucun patient ne recevait son congé le jour même après une telle résection colique. Ni au Centre universitaire de santé McGill (CUSM) ni nulle part en Amérique.

« La pandémie a vraiment été l’élément déclencheur » d’un virage ambulatoire poussé encore plus loin, dit-il.

Aujourd’hui, « au CUSM, le quart des patients nécessitant une résection colique sont jugés admissibles à la chirurgie d’un jour et 85 % de ces patients sélectionnés partent de l’hôpital le jour même ».

Dans les années 1990, les laparoscopies, conjuguées à des anesthésies et à des soins postopératoires moins lourds, ont fait faire un bond de géant aux opérations d’un jour.

Puis est arrivée la pandémie, qui a tout changé aussi en ce qui concerne le cancer du sein à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.

En raison des lourdes précautions à prendre face aux risques de propagation aérienne du virus, seules quelques femmes pouvaient alors être opérées chaque jour.

Et si l’on ne faisait pas d’anesthésie générale ? Sans respirateur, il y aurait moins de propagation du virus, se sont dit les anesthésistes, qui se sont mis à utiliser des blocs paravertébraux permettant de « geler » la patiente localement. En lui donnant un petit calmant « pour qu’elle soit relaxe », « parce qu’un peu comme une coloscopie, vous préférez quand même ne pas vous en souvenir ! », lance le DLucas Sideris.

La veille de l’entrevue, il avait opéré sept femmes atteintes du cancer du sein, de tous les âges, lors d’interventions plus ou moins lourdes.

« Aucune d’entre elles n’a eu d’anesthésie générale. Cinq minutes après la fin de l’opération, les patientes sont totalement réveillées et elles nous disent : “C’est déjà fini ?” Oui, Madame, ça s’est bien passé, leur répond-on. Elles n’ont pas mal et elles souhaitent rentrer à la maison. »

Vu les listes d’attente et le vieillissement de la population, heureusement que les techniques se sont raffinées et ont rendu possibles ces opérations d’un jour, fait observer le DSideris, « parce qu’autrement, ça nous prendrait aujourd’hui des hôpitaux de 4000 lits ».

En orthopédie, d’immenses progrès aussi

Dans les années 1990, un remplacement de hanche ou de genou nécessitait 12 jours d’hospitalisation. Jusqu’en 2015, il fallait encore trois ou quatre jours, explique pour sa part le DÉtienne Belzile, chirurgien orthopédique.

En 2019, tout juste avant la pandémie, poursuit-il, suivant l’exemple d’un hôpital d’Ottawa, le CHU de Québec a commencé à procéder en contexte d’opération d’un jour. « Au début, on faisait des essais : on opérait les gens, on les gardait à l’hôpital, mais sans s’occuper d’eux du tout. Après 50 patients, on a vu que c’était sécuritaire. »

Là aussi, des blocs nerveux – genre d’épidurale – ont été utilisés, et des doses moindres de narcotique sont administrées.

Quand est arrivée la pandémie, tout était rodé.

Maintenant, 40 % de nos patients qui ont besoin d’un remplacement de la hanche ou du genou sont admissibles à la chirurgie d’un jour.

Le DÉtienne Belzile, chirurgien orthopédique

Y compris des patients venus d’aussi loin que Sept-Îles, qui sont invités à aller récupérer à l’hôtel.

« Dès qu’il y a hospitalisation, cela coûte 3000 $, note le DBelzile. Mais surtout, c’est une occasion ratée pour un autre patient. »

Être au calme, avec ses proches

Même si le séjour à l’hôpital est expéditif avec son petit côté « lève-toi et marche ! » (surtout pour les patients qui ne sont pas à l’horaire en tout début de journée), les opérations d’un jour sont sérieuses et nécessitent des précautions.

Le patient doit donc rester dans les parages. Jasmin Laperle et sa conjointe, qui habitent à Drummondville, avaient donc pris soin de louer un condo à Montréal pour quelque temps.

L’étude-bilan qui a été faite des résections coliques d’un jour conclut que seuls 5 % des patients « ont dû se présenter aux urgences dans les 72 heures suivant l’opération » et « que 90 % des patients se disent satisfaits et choisiraient de nouveau ce parcours », se réjouit le DCharlebois.

Fait non négligeable, depuis le printemps 2020, cette façon de faire a aussi permis à l’hôpital d’économiser 500 000 $ et, surtout, a libéré des lits pour d’autres patients dont l’opération nécessitait une hospitalisation.

Un protocole très précis a été mis en place pour déterminer quels patients peuvent partir de l’hôpital après une résection colique d’un jour. Parmi les conditions d’admissibilité se trouvent notamment le fait d’avoir été opéré par laparoscopie, de bien tolérer la diète liquide à la salle de réveil, de voir sa douleur bien contrôlée par des médicaments pris oralement, d’avoir quelqu’un chez soi les premiers jours et d’être en mesure d’utiliser une application spécifique sur un téléphone intelligent pour être rapidement en contact avec un soignant, advenant toute complication.

Des avancées tous azimuts

Caroline Chapadeau, infirmière en salle d’opération depuis 17 ans, note aussi que tout a changé au fil des ans. Les patients ont beaucoup moins de tubes en se réveillant, ils peuvent de plus en plus prendre leur médication à la maison au lieu d’être cloués à l’hôpital avec des intraveineuses.

« Des pansements plus étanches nous permettent aussi d’éviter les agrafes dans un grand nombre de cas », fait-elle observer.

Les infirmières des CLSC sont mises à contribution et rendent visite au patient au besoin, mais bon nombre d’entre eux n’ont qu’à retirer au bout de quelques semaines le pansement qui couvre leurs mini-incisions, sans avoir à faire appel à qui que ce soit.

Il reste que « certains patients sont inquiets ou que leurs conjoints ne sont pas à l’aise ou ont peur du sang. Il faut les rassurer, s’assurer qu’ils repartent de façon sécuritaire à la maison en ayant toutes les informations nécessaires et les numéros de téléphone à contacter », insiste Mme Chapadeau.

Peut-on espérer que les opérations d’un jour se feront pour encore plus de pathologies et de personnes ? Le DSideris en doute. « On est davantage à l’étape de raffiner tout cela », croit-il.

Et le profil des personnes malades limite d’autres avancées. Plusieurs personnes vivent seules, souligne-t-il, et s’il fait des opérations du sein d’un jour même avec des femmes de plus de 80 ans, la mauvaise santé générale de certaines oblige à la prudence.

Un rappel à l’ordre du Protecteur du citoyen

Vive les opérations minimalement invasives, mais tout doit être fait dans les règles de l’art. Après avoir reçu des informations sur la qualité des soins périopératoires en chirurgie d’un jour à l’Hôpital de Montréal pour enfants, le Protecteur du citoyen a lancé des rappels à l’ordre en mars 2022.

Dans plus de la moitié des dossiers analysés, « la surveillance des signes vitaux et neurologiques ne correspond pas à ce qui est attendu par l’Hôpital de Montréal pour enfants » lui-même, écrivait le Protecteur du citoyen.

Le rapport signalait aussi que « seuls les dossiers de quelques usagers et usagères documentent les signes vitaux au moment du congé. Quelques-uns ne comportent aucune mention de signes vitaux ».

Pour deux usagers plus particulièrement, est-il encore écrit, « les valeurs de signes vitaux sont hors des valeurs normales et la surveillance infirmière subséquente a été insuffisante. L’un d’eux, un usager de 16 ans, a tout de même eu son congé, malgré une tension artérielle de 90/36, soit un taux beaucoup plus faible que celui de référence ».

Le Protecteur du citoyen a donc exigé de cet hôpital qu’il fasse les rappels nécessaires à son personnel.

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    Nombre d’opérations d’un jour en 2021-2022 au Québec
    Ministère de la Santé et des Services sociaux