Inquiètes des nombreux dysfonctionnements des laboratoires centralisés auxquels ont recours les hôpitaux du Québec, les deux principales fédérations de médecins du Québec interpellent le ministre de la Santé, Christian Dubé, pour lui demander une intervention d’urgence. Selon les médecins, la situation s’est détériorée et « risque de compromettre la sécurité des patients ». Ils réclament un « plan de redressement » de toute urgence.

« Dans encore trop de régions du Québec, nous ne parvenons pas à offrir des soins sécuritaires et de qualité à nos patients », écrivent le DVincent Oliva, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, et le DMarc-André Amyot, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, dans une lettre envoyée mercredi et obtenue par La Presse.

Il y a cinq ans, Québec amorçait le regroupement des laboratoires d’hôpitaux du Québec avec son projet Optilab. Ainsi, dans chaque région, certains laboratoires « serveurs » traitent les échantillons de plusieurs hôpitaux avoisinants. À Montréal par exemple, tous les hôpitaux font traiter leurs échantillons aux laboratoires serveurs du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et du CHU Sainte-Justine. Or, les médecins s’inquiètent des « écarts inacceptables de délais pour obtenir des résultats […] dans les hôpitaux ayant le statut de laboratoires serveurs et ceux des installations desservies par ces laboratoires ».

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, le DMarc-André Amyot

Dans leur lettre, les Drs Oliva et Amyot écrivent qu’un patient subissant une analyse pour un possible diagnostic de cancer aura son résultat dans un délai de quatre semaines à l’hôpital de Verdun et de plus de deux mois à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Mais au CHUM, qui sert de laboratoire serveur pour une grande partie de la région de Montréal, ce délai n’est que de 24 heures. « L’inefficacité des systèmes informatiques, les délais de transport et de traitement de l’échantillon et la pénurie de personnel » expliquent cette situation, selon les présidents des deux fédérations, qui déplorent que le tout se traduit « par un retard de diagnostic et de traitement ». « Nous ne pouvons tolérer, comme citoyens et comme médecins, qu’il y ait, dès lors, deux classes de centres hospitaliers, et donc de patients », écrivent-ils.

Des quotas de biopsies

Les médecins déplorent aussi les problèmes « d’organisation globale » des laboratoires d’Optilab. Les auteurs de la lettre adressée à Christian Dubé écrivent qu’en décembre, alors que les salles d’urgence débordaient à Montréal, le centre hospitalier de St. Mary a transmis une directive aux groupes de médecine de famille (GMF) et aux médecins de son territoire leur demandant de ne plus transmettre d’échantillons au laboratoire à compter du vendredi. Une demande qui « contrevenait alors directement aux objectifs du plan ministériel pour désengorger les urgences ».

Les fédérations déplorent que certains laboratoires imposent aussi des quotas de biopsies aux médecins.

En dermatologie, des médecins se voient ainsi refuser des spécimens en raison de ces quotas […] Une situation en tout point inacceptable lorsque l’indication de la biopsie vise à déterminer si le patient est atteint d’un mélanome.

Extrait de la lettre du DVincent Oliva et du DMarc-André Amyot

La lettre évoque aussi le « déploiement défaillant du nouveau système d’information de laboratoire provincial (SIL-P) » utilisé dans les laboratoires d’Optilab dont La Presse parlait en décembre⁠1.

Des délais plus longs que jamais

Chef au GMF du Suroît, la Dre Lynn Dominique dit que les délais pour obtenir les résultats de laboratoire de ses patients n’ont jamais été aussi importants que depuis le déploiement du SIL-P. Des résultats ont été envoyés à la mauvaise clinique et plusieurs jours se sont écoulés avant que la Dre Dominique ne finisse par les obtenir. « Ça augmente considérablement le travail des secrétaires et de tout le monde. Et les patients attendent trop longtemps. En tant que médecins, ça nous touche », dit-elle.

Hémato-oncologue au CHUM, le DNormand Blais estime qu’avec l’implantation du SIL-P et d’autres nouvelles normes administratives dans les laboratoires d’Optilab, les équipes, trop peu nombreuses, sont débordées. Et ont moins de temps à consacrer au traitement des analyses. Résultat : il peut s’écouler jusqu’à six semaines avant qu’un patient ayant subi une biopsie du poumon ne reçoive ses résultats.

Dans aucun pays au monde ce genre de délai n’est considéré comme acceptable.

Le DNormand Blais, hémato-oncologue au CHUM

Ce n’est pas la première fois que les fédérations de médecins interpellent le gouvernement au sujet des ratés des laboratoires d’Optilab. Mais celles-ci estiment que leurs signaux d’alarme « maintes fois manifestés auprès des instances responsables, au sujet de défaillances relatives à l’organisation hypercentralisée d’Optilab, sont loin d’avoir donné les résultats escomptés. De fait, la situation s’est détériorée ».

Les médecins souhaitent que les performances des laboratoires d’Optilab soient mesurées. Ils vont jusqu’à demander un « plan de redressement », « un recadrage » et une « certaine décentralisation du projet dans la région de Montréal ».

Au cabinet du ministre Dubé, on dit vouloir « prendre le temp d’analyser l’ensemble des éléments de la lettre », mais « entendre très bien les enjeux soulevés ». « S’il faut poser des gestes supplémentaires pour améliorer les soins aux Québécois et améliorer la rapidité, on va le faire », indique un attaché de presse de M. Dubé, Antoine de la Durantaye, qui souligne que le projet Optilab « a été mis en place par le gouvernement libéral » et que des modifications ont été apportées depuis.

1. Lisez « Nouveaux logiciels pour la gestion des tests de laboratoire : un lancement “broche à foin” »