Une nouvelle étude obtenue en primeur par La Presse conclut que la condition physique cardiovasculaire des enfants et des adolescents québécois a subi une détérioration « alarmante » depuis les années 1980. Un coup de barre s’impose pour éviter que l’essoufflement des jeunes Québécois se transforme en « épidémie de maladies cardiométaboliques », préviennent les chercheurs.

Une « baisse alarmante de la condition physique cardiovasculaire »

Mario Leone s’est mis en tête il y a quelques années de répondre à une question en apparence bien simple : est-ce que les enfants québécois sont aussi en forme qu’avant ?

« Les gens disaient “les jeunes ont l’air moins en forme”, mais on avait surtout des données d’ailleurs pour tirer des conclusions », relate ce docteur en physiologie de l’exercice.

Il voulait en avoir le cœur net. Mais comment répondre à cette question le plus fidèlement possible ? En 1982, le kinésiologue Luc Léger et d’autres chercheurs avaient fait passer le test navette – le fameux test bip-bip – à des Québécois de 6 à 17 ans.

Ce test qui est aujourd’hui reconnu à travers le monde consiste à courir la distance de 20 mètres à répétition à un rythme qui augmente chaque minute.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le Dr Mario Leone, professeur associé à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

Le DLeone a donc décidé de refaire le même exercice 35 ans plus tard, dans les six mêmes villes qu’à l’époque et de comparer les résultats. De 2014 à 2017, avec d’autres chercheurs, ils ont visité 36 écoles à Montréal, Québec, Saguenay, Trois-Rivières, Laval et Sherbrooke. Dans l’ensemble, les jeunes de 6 à 17 ans ont complété, en moyenne en 2017, 30 % moins de paliers qu’en 1982.

Les résultats des 3725 jeunes participants que s’apprête à publier la revue Frontiers in Public Health sont inquiétants.

L’étude conclut à « une baisse alarmante de la condition physique cardiovasculaire et de la capacité fonctionnelle dans une population d’enfants et d’adolescents depuis les années 1980 ».

« Ceci met en lumière la menace d’une épidémie de maladies cardiométaboliques dans un futur proche », écrivent les chercheurs, qui incluent même Luc Léger, le créateur du test navette qui a mené l’étude de 1982.

« On a des perceptions. On les regarde, les jeunes, et on se dit : “ils ont l’air moins en forme qu’avant”. Mais là, la mesure a été faite. On a des chiffres. C’est prouvé », explique en entrevue Pierre Lavoie, instigateur des Cubes d’énergie, qui a pu consulter les résultats du DLeone et de son équipe. « Est-ce que ça nous décourage ? Un peu, pour être franc. »

En somme, les jeunes d’aujourd’hui résistent moins à l’effort :

• En l’espace de 35 ans au Québec, le VO2 max des garçons de 17 ans a chuté de 18 % et celui des filles du même âge, de 12,2 % ;

• Le VO2 max des enfants de tout juste 6 ans a aussi baissé, de 7,6 % chez les garçons et de 8,3 % chez les filles ;

• L’étude lève un « drapeau rouge », car de nombreux jeunes ne rencontrent plus la valeur minimale de VO2 max établie par la littérature pour minimiser le risque de développer des ennuis de santé majeurs. À 17 ans, 58 % des garçons sont sous le seuil critique de protection et près de 70 % des filles le sont. En 1982, tous les groupes d’âge étaient largement au-dessus de la zone critique.

Une tendance confirmée

Mario Leone pense que ces résultats préoccupants – qui confirment une tendance constatée ailleurs dans le monde – devraient inquiéter la société et les gouvernements.

Tout le monde regarde en avant et voit la vague des personnes âgées qui développent des maladies chroniques. Mais si tu te retournes et que tu regardes en arrière, ce n’est pas une vague qui s’en vient, c’est un tsunami.

Le Dr Mario Leone, professeur associé à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

Si on ne fait rien, « dans 10 ou 15 ans, on va peut-être se ramasser avec des gens de 35 ans avec des maladies de gens de 70 ans », ajoute-t-il.

« La pression sur le système de santé va être énorme, car elle va venir des deux bords : de ceux qui vieillissent et des jeunes qui sont dans un état assez pitoyable et vont nécessiter parfois des soins pendant de très nombreuses années », prévient le DLeone, qui est professeur associé à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.

Les résultats du chercheur ont été obtenus juste avant la pandémie et ne tiennent donc même pas compte des effets des confinements. Mais de récentes études laissent entrevoir une chute de la condition physique chez les jeunes depuis 2020.

La sédentarité au banc des accusés

Le VO2 max est non seulement une mesure de la capacité cardiorespiratoire, il représente aussi un des meilleurs marqueurs du risque de maladies chroniques ou de mort prématurée. Autrement dit, un VO2 max bas est associé à un risque accru de souffrir d’une panoplie de maladies.

« C’est une étude épeurante. Il faut savoir qu’on perd à peu près 10 % de notre VO2 max par décennie après 30 ans. Donc quelqu’un qui commence bas dans la vie risque de finir bien handicapé plus tard », note le cardiologue Michel White, professeur titulaire de médecine à l’Université de Montréal.

Comment expliquer l’essoufflement des jeunes Québécois ? Le DLeone montre du doigt la sédentarité.

La plus grande différence dans les 40 dernières années, c’est la quantité de minutes consacrées aux activités passives.

Le Dr Mario Leone, professeur associé à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

« En 1982, il n’y avait pas l’internet, ni de téléphone cellulaire, les ordinateurs commençaient et les jeux vidéo étaient peu disponibles, dit-il. Les jeunes passaient leur temps dans des activités plus physiques. »

Quelles solutions ?

L’omniprésence des écrans est un phénomène difficile, sinon impossible, à inverser. Mais plusieurs experts consultés par La Presse estiment que faire bouger davantage les jeunes est possible avec des interventions ciblées.

Car la chute de la capacité cardiorespiratoire des jeunes est loin d’être inéluctable : il leur suffirait de bouger davantage pour remédier à la situation.

De nombreux experts pensent que les jeunes devraient avoir davantage de cours d’éducation physique à l’école.

« Si la recommandation est de bouger une heure par jour, peut-être qu’il devrait y avoir un cours d’éducation physique une heure par jour à l’école », note Stéphanie Girard, professeure au département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Cette experte qui s’intéresse à la motivation des jeunes envers le sport indique qu’il faut aussi s’éloigner de la performance en bas âge pour plutôt se concentrer sur le plaisir de l’activité physique.

« Déjà à 4 ou 5 ans, les enfants se font dire on va compter les points, dit-elle. Déjà ils se font sortir du plaisir avant même d’avoir commencé à en avoir. »

« Changer la culture sportive »

Pierre Lavoie travaille depuis près de 20 ans à faire bouger les jeunes. Il sait que ce combat est ardu et que les apôtres de l’activité physique rament à contre-courant.

On a besoin d’un coup de barre, d’une mobilisation générale. Du CPE au secondaire, le jeune doit développer sa littératie physique pour être capable de se sentir non pas performant, mais compétent dans différents sports. Il doit avoir des outils dans son coffre.

Pierre Lavoie, instigateur des Cubes d’énergie et cofondateur du Grand Défi Pierre Lavoie

Le cofondateur du Grand Défi Pierre Lavoie rêve de voir un jour les ministères québécois de la Santé, de l’Éducation, du Sport et de la Jeunesse assis autour d’une même table pour régler ce problème de santé publique. « On a eu la commission Parent en éducation et ç’a été un succès. »

Il faut selon lui « changer la culture sportive » au Québec. Il faut inciter les jeunes qui le peuvent à marcher ou rouler à l’école, il faut interdire aux écoles de retirer les buttes de neige dans leur cour, il faut cesser de spécialiser les jeunes sportifs et revenir au plaisir du sport…

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Pierre Lavoie, instigateur des Cubes d’énergie et cofondateur du Grand Défi Pierre Lavoie

« Moi, le modèle américain, il ne me fait pas tripper. Ils ont gagné 121 médailles aux Jeux de Rio, en ont gagné 113 à Tokyo, mais c’est la société la moins en forme au monde. C’est une catastrophe nationale. »

Ce coup de barre, Pierre Lavoie espère qu’il viendra rapidement. Car la méforme des jeunes se constate déjà dans le système de santé, selon lui.

« Les jeunes ont du diabète de type 2 à 12 ans, des artères bouchées à 22 ans… Si on ne fait rien, on ne s’en sortira pas. »

Qu’est-ce que le VO2 max ?

Le VO2 max mesure la capacité respiratoire et la quantité maximale d’oxygène que le corps peut utiliser lors d’un effort intense. Il s’exprime en millilitres par kilo par minute (ml/kg/min). Selon le site de l’Institut de cardiologie de Montréal, « plus une personne est capable d’effectuer des exercices aérobiques de haute intensité pendant une longue période, plus son VO2 max est élevé ».

Doper les cours « d’éduc » pour contrer la sédentarité

Augmenter à une heure par jour le temps consacré à l’éducation physique à l’école serait une manière efficace de lutter contre la sédentarité et la mauvaise forme cardiorespiratoire des enfants, estiment de nombreux experts consultés par La Presse.

La logique est simple : puisque les autorités de santé publique recommandent aux enfants et adolescents de faire une heure d’activité physique par jour, il faudrait réserver un temps équivalent à l’éducation physique chaque journée d’école.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

À l’heure actuelle, le gouvernement recommande 2 heures par semaine d’éducation physique et à la santé au primaire, 100 heures par année au premier cycle du secondaire (1re et 2e) et 50 heures par année en 3e, 4e et 5e secondaire.

« Tous les jeunes passent par l’école, alors c’est certain que c’est efficace », remarque François Trudeau, professeur au département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

À l’heure actuelle, le gouvernement recommande 2 heures par semaine d’éducation physique et à la santé au primaire, 100 heures par année au premier cycle du secondaire (1re et 2e) et 50 heures par année en 3e, 4e et 5e secondaire. Mais il ne s’agit que d’une suggestion : Québec n’impose aucun minimum aux écoles.

« Le débat est toujours le même : quand on ajoute de l’activité physique, les autres matières se plaignent de perdre du temps », rappelle M. Trudeau.

Des études ont montré que lorsqu’on augmente le temps d’éducation physique à l’école, les résultats ne baissent pas, mais la condition physique des jeunes augmente. Le jeune est gagnant au bout du compte. Mais politiquement, c’est peut-être difficile à faire passer.

François Trudeau, professeur au département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières

Une « stratégie porteuse de sens »

La Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec (FEEPEQ) demande qu’une heure par jour soit consacrée à cette matière, même si elle concède qu’une telle mesure se heurterait à une pénurie d’enseignants, de matériel ou à la rareté des plateaux sportifs.

« Il s’agit d’une stratégie porteuse de sens dans un contexte où les forces de sédentarité sont grandement à l’œuvre, qu’on pense au temps d’écran ou à la malbouffe », remarque Christian Leclair, directeur général de la FEEPEQ.

M. Leclair n’est pas surpris des résultats de l’étude du DLeone. Il a constaté lui-même cette tendance inquiétante. Il a fait passer des épreuves de condition physique à ses élèves de 2006 à 2021, dont le test navette et d’autres. « Les résultats étaient en baisse. »

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande 60 minutes d’activités physiques d’intensité modérée à soutenue par jour chez les jeunes.

Dans son dernier bulletin, l’organisme Participaction, qui fait la promotion de l’activité physique au Canada, constate que la proportion des enfants canadiens qui respectent les recommandations de l’OMS est passée de 39 % avant la pandémie à 28 % durant celle-ci.