Que se passe-t-il quand plusieurs virus cherchent un nid douillet pour se reproduire ? Se partagent-ils le territoire ou se font-ils la guerre pour accaparer le terrain ? Peut-on attraper en même temps l’influenza et la COVID-19 ? Peut-on avoir le rhume et la grippe ? Quelques réponses sur l’état de la science des interférences entre virus.

C’est l’histoire de deux virus respiratoires qui se rencontrent dans un poumon. Que se disent-ils ? Que se passe-t-il ?

En fait, tout dépend des virus qui se rencontrent et de celui qui est arrivé en premier. Dans certains cas, les virus pourront cohabiter et co-infecter les cellules de l’organisme à coloniser. Dans d’autres, l’infection causée par l’un des virus en empêchera un deuxième de s’introduire et de se reproduire.

Qu’est-ce qui explique les mécanismes de l’interférence entre virus ? Ce champ d’études de la virologie, encore peu exploré, bénéficiera cet hiver d’une grande attention de la part des chercheurs qui voudront savoir si leurs hypothèses se confirment dans la réalité.

Tant mieux pour les virologues… Mais donc, que sait-on de l’interférence entre les virus ?

À partir de la fin des années 1950, les virologues ont commencé à s’intéresser à la lutte que se font certains virus pour pouvoir infecter un organisme. La virologue russe Marina Voroshilova a notamment découvert que le virus de la poliomyélite peinait à prendre racine lorsqu’un entérovirus était présent dans le système digestif. « Mais après, c’est un peu tombé dans l’oubli pendant quelques décennies… jusqu’à la pandémie », raconte le DGuy Boivin, professeur titulaire au département de microbiologie-immunologie et infectiologie de la faculté de médecine de l’Université Laval. Ces deux dernières années marquées par l’arrivée d’un nouveau virus, le SARS-CoV-2, responsable de la COVID-19, ont ravivé l’intérêt pour l’interférence. Notamment afin de répondre à une question que bien des gens se sont posée : est-il possible d’attraper la grippe et la COVID-19 en même temps ?

Justement. Est-il possible d’attraper la grippe et la COVID-19 en même temps ?

Possible, oui. Mais les données suggèrent que ce n’est pas courant. Ce qui tend à montrer, croit le DGuy Boivin, que la circulation des virus de l’influenza et de la COVID-19 ne suit pas la même courbe. Quand la circulation du SARS-CoV-2 était très élevée — par exemple au moment de l’apparition du variant Omicron l’hiver dernier —, il y avait peu d’influenza. Et vice versa.

Les chercheurs ont déjà remarqué que la course de l’influenza peut être ralentie par d’autres virus : en 2009, la France et la Suède ont vu le pic d’infection de H1N1 décalé de quelques semaines par rapport à leurs voisins, possiblement parce que ces deux pays subissaient déjà l’assaut de rhinovirus.

D’autres virus, comme le virus respiratoire syncytial (VRS) et les rhinovirus (qui donnent le rhume), peuvent mieux cohabiter. Cette semaine, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) évaluait que 22 % des enfants hospitalisés pour un virus respiratoire en combattent plus d’un — ils étaient généralement atteints du VRS et d’un rhinovirus. Seuls 2 % des adultes hospitalisés pour des virus respiratoires étaient atteints de co-infections, a observé l’INSPQ. Des données qui ne surprennent pas le DBoivin. « La co-infection est plus fréquente chez les enfants que chez les adultes probablement pour plusieurs raisons », dit-il. Comme le fait que le système immunitaire des enfants est moins développé et que leur nombre de contacts est élevé.

Qu’est-ce qui pourrait déterminer le niveau d’interférence des virus ?

Quand une cellule est infectée par un virus, elle sécrète en défense des molécules appelées interférons. Les autres cellules, qui ne sont pas encore infectées, reçoivent aussi le signal d’alarme pour se mettre à produire des interférons. Mais les virus n’engendrent pas tous la sécrétion de la même quantité d’interférons — le niveau est beaucoup plus élevé dans le cas du SARS-CoV-2 et de l’influenza. « Et un virus peut être plus ou moins sensible à l’action d’interférons produits contre un autre virus », dit le DBoivin. Par exemple, un niveau élevé d’interférons produits pour se débarrasser de la COVID-19 tiendra tous les autres virus à distance. Mais dès que le niveau baisse et que deux virus se présentent — disons, l’influenza et le VRS —, lequel passe à l’attaque en premier ? « L’influenza devrait prendre le dessus », croit le DBoivin.

D’autres virus profiteront aussi du fait que le corps est attaqué pour passer à l’assaut. « Une personne qui combat une infection peut avoir des voies respiratoires endommagées », note le professeur Benoit Barbeau, du département des sciences biologiques de l’UQAM. « C’est possible qu’à ce moment, certains virus veuillent pouvoir tirer avantage de cet environnement-là. »

Les observations qui seront faites cet hiver permettront de mieux comprendre les pics d’activité des virus et de prévoir leur trajectoire. « C’est perturbant pour les hôpitaux, particulièrement en pédiatrie, mais c’est intéressant du point de vue scientifique, dit le DGuy Boivin. Je pense qu’on va apprendre beaucoup durant cette période. »

Formidable… Mais si on préfère ne pas participer à cette expérience virologique in vivo ?

Il existe quand même de bons moyens d’échapper aux virus respiratoires, rappelle Benoit Barbeau : le masque et les vaccins. « Mais bon, je sais que c’est un peu plate de dire qu’il faut être encore vigilant… »