Malgré des milliers de dollars en primes, la « petite révolution » promise il y a un an par le gouvernement Legault n’a pas permis d’atteindre les cibles d’embauche dans le réseau de la santé. Les besoins de main-d’œuvre sont aussi grands qu’avant et les voyants du tableau de bord du ministre Christian Dubé demeurent au rouge.

(Québec) « Ce qu’on vous annonce aujourd’hui, ce n’est rien de moins qu’une petite révolution », lançait François Legault en septembre 2021.

Son gouvernement sortait le chéquier : 1 milliard pour offrir des primes de 12 000 à 18 000 $ aux infirmières qui s’engageront à temps complet pour une année. Québec annonçait aussi son intention d’embaucher 3000 « agents administratifs » pour alléger le fardeau des infirmières sur le terrain.

Objectif : donner de l’air à un réseau malmené par la pandémie de COVID-19 et augmenter le nombre de travailleurs à temps plein. Des visées qui viendraient aussi réduire « à court terme » le recours au « temps supplémentaire obligatoire » (TSO) et aux agences de placement, affirmait le ministre de la Santé, Christian Dubé.

Résultat des courses ? Ces « moyens costauds » annoncés en grande pompe il y a un an ont permis des avancées timides. La plupart des cibles n’ont pas été atteintes, a pu constater La Presse. Les besoins de main-d’œuvre n’ont d’ailleurs pas diminué. Ils sont au même niveau qu’en septembre 2021.

Le ministre Dubé a depuis annoncé son Plan santé, qui s’accompagne de la publication d’un tableau de bord évolutif qui permet de « mesurer » la progression de son plan de redressement, notamment des ressources humaines.

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Le ministre Christian Dubé présentant son tableau de bord du réseau de la santé à La Presse en mai dernier

À l’automne 2021, M. Dubé disait vouloir recruter 4300 nouvelles infirmières. Il avait gonflé la cible à 5000 dans les semaines suivantes. Vérification faite, le plan de recrutement aura finalement permis d’embaucher 3047 nouvelles ressources, a confirmé le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

Point positif : ces primes ont convaincu 42 358 employés de s’engager à rehausser leur poste, en passant d’un poste à temps partiel à un poste à temps complet pendant un an. Mais seulement un travailleur sur cinq (8598 employés) restera à temps complet « sur le long terme en modifiant [son] statut d’emploi » après la fin du contrat, a précisé le Ministère.

Si bien que Québec n’atteint pas non plus sa cible de faire passer de 60 à 75 % le nombre d’infirmières à temps complet dans le réseau. Ce taux tourne autour de 66 % actuellement, selon les données du MSSS.

Il y a un an, M. Legault évoquait « un réseau presque dysfonctionnel » alors que 40 % des infirmières « sont à temps partiel ».

Proportion d’employés à temps complet

  • Infirmières : 59,27 %
  • Infirmières cliniciennes : 71,24 %
  • Infirmières auxiliaires : 69,35 %
  • Moyenne : 66 %

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

Des résultats pas étonnants

Les résultats n’étonnent pas la chercheuse de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) Anne Plourde, qui se spécialise dans les politiques et les réformes récentes de la santé.

« Le gouvernement a misé presque exclusivement sur des incitatifs financiers, alors qu’on sait que ce qui incite très souvent les professionnelles à quitter le réseau, ce sont des enjeux de qualité [des conditions d’emploi], de conciliation travail-famille et cette capacité [d’avoir le temps] d’offrir les services », explique-t-elle.

Selon Mme Plourde, le gouvernement Legault est « encore dans une logique comptable d’augmentation de la rémunération » alors qu’il devrait être plus ferme sur l’implantation de ratios professionnel-patients et l’abolition du TSO.

Par ailleurs, malgré la mise en place de bourses d’études de 4000 $, Québec a aussi manqué sa cible de former et d’embaucher 3000 « agents administratifs » en soutien au secteur clinique. À la fin du programme de formation accélérée, en juin dernier, ce sont finalement 1851 boursiers qui étaient employés d’un établissement de santé.

Le MSSS souligne néanmoins que « certains établissements avaient déjà embauché du personnel administratif et logistique » sans passer par le programme de bourses, annoncé en décembre 2021.

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Québec n’atteint pas pour l’instant sa cible de faire passer de 60 à 75 % le nombre d’infirmières à temps complet dans le réseau. Ce taux tourne autour de 66 % actuellement, selon les données du MSSS.

Le bilan est plus encourageant pour le programme de formation accélérée pour les infirmières auxiliaires, dévoilé au même moment.

Québec voulait en attirer 2000 grâce à des bourses d’études de 20 000 $. Elles sont pour l’heure 1701 sur les bancs d’école et 146 en attente d’entreprendre leur formation. Les premières diplômées pourront être à pied d’œuvre selon l’échéancier initial, en mars 2023.

Peu d’effets sur le terrain

Malgré les offensives du gouvernement Legault, le réseau de la santé compte moins d’employés maintenant qu’au moment de lancer son plan d’embauche. Selon le tableau de bord du ministre Dubé, le réseau a perdu environ 8000 travailleurs depuis.

Les besoins de main-d’œuvre pour les postes spécifiques d’infirmière, d’inhalothérapeute et de préposé aux bénéficiaires ont d’ailleurs continué de fluctuer pour revenir au même niveau qu’il y a un an alors que les établissements de santé en recherchaient 9689 en date du 22 octobre dernier.

Personnel employé dans le réseau

  • 8 octobre 2022 : 331 957
  • 29 septembre 2021 : 339 957

Besoins de main-d’œuvre*

  • 22 octobre 2022 : 9689
  • 29 septembre 2021 : 9639

*Infirmières, inhalothérapeutes, préposés aux bénéficiaires et aides de service

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

Au chapitre du recours au TSO et à la main-d’œuvre indépendante pour le personnel en soins infirmiers et cardiorespiratoires, les efforts de recrutement ont eu bien peu d’effets, selon la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui représente notamment les infirmières.

« On ne voit pas d’améliorations, au contraire, ça ne cesse de se dégrader la plupart du temps, que ce soit au niveau des conditions de travail ou de la pénurie de professionnelles en soins qui augmentent de jour en jour. C’est très, très triste de voir ça », déplore la présidente de la FIQ, Julie Bouchard.

Taux d’utilisation de la main-d’œuvre indépendante

  • 8 octobre 2022 : 4,53 %
  • 25 septembre 2021 : 4,70 %

Recours au TSO

  • 8 octobre 2022 : 0,26 %
  • 6 novembre 2021 : 0,33 %

Pour le personnel en soins infirmiers et cardiorespiratoires

« Même s’il y a eu beaucoup d’argent qui a été mis sur la table, ce fut un échec parce que les [conditions pour les primes] étaient tellement contraignantes que certaines y ont adhéré, mais pas à la hauteur de ce que le gouvernement souhaitait », ajoute-t-elle.

Le taux d’absentéisme s’est néanmoins nettement amélioré depuis l’an dernier, notamment avec le ralentissement de la pandémie, alors que 54 580 employés sont absents. Ce chiffre était près de 65 000 en septembre 2021.

Lisez « Un milliard pour stopper l’hémorragie »

Pas encore de plan en chirurgie

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Le nombre de personnes en attente d’une opération atteint désormais 160 000.

Incapable d’atteindre des cibles fixées en juin 2021, en pleine pandémie, le gouvernement Legault n’a toujours pas mis à jour son plan de rattrapage des opérations. Si Québec est parvenu à freiner l’hémorragie après le tsunami Omicron, les listes d’attente pour passer sous le bistouri ne diminuent pas.

« Avec la reprise des activités un peu partout à travers le Québec, le rythme d’augmentation des patients sur la liste d’attente ralentit, mais avant de voir un rattrapage, ce ne sera pas facile. Il manque de ressources pour y arriver », prévient le président de l’Association québécoise de chirurgie, le DPatrick Charlebois.

Le MSSS espère « revenir au niveau prépandémique le plus rapidement possible », sans préciser de cible. Au début de la crise sanitaire, 115 000 Québécois étaient en attente d’une intervention chirurgicale. Ce nombre a explosé depuis deux ans en raison du délestage.

La liste d’attente comporte maintenant plus de 160 000 noms.

En juin 2021, le ministre Dubé avait présenté un vaste plan dans lequel il se donnait jusqu’en 2023 pour rattraper les retards causés par la pandémie. Ces cibles sont devenues caduques avec les vagues subséquentes de la crise sanitaire.

En février dernier, Christian Dubé affirmait qu’il fournirait un « nouvel agenda » des cibles à atteindre « au cours des prochains mois ». En avril, il a évoqué un plan de rattrapage « sur deux à trois ans ». Après vérification, les travaux pour mettre à jour le plan de rattrapage sont toujours « en cours », indique le MSSS.

Patients en attente d’une intervention chirurgicale (12 mois et plus)

  • 8 octobre 2022 : 21 757
  • 9 octobre 2021 : 18 208
  • Niveau prépandémique : 3000

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

Lisez « Un plan de rattrapage “sur deux à trois ans”, promet Dubé » Lisez « Québec se donne deux ans pour rattraper le retard »

Priorité aux patients qui attendent depuis un an

Comme l’a déjà indiqué le ministre Dubé, un effort particulier est fait pour réduire la liste de patients qui attendent depuis plus d’un an. Selon le tableau de bord, au moins 21 757 personnes patientent depuis plus de 12 mois.

« C’est un exploit de maintenir un volume de 20 000 malgré les cinquième et sixième vagues », faisait valoir le ministre en commission parlementaire, au printemps dernier. C’est aussi lors de cette intervention qu’il a affirmé qu’il espérait revenir au niveau prépandémique (autour de 3000 pour ceux en attente depuis plus d’un an) en avril 2023.

« Je ne pense pas que ce soit tout à fait réaliste », nuance le DCharlebois.

Les gens en attente depuis plus d’un an, c’est parce que leur cas est moins prioritaire. C’est triste, il y a des gens qui souffrent. On peut opérer tous ces patients, mais d’autres gens, qui ont peut-être plus besoin d’une chirurgie à court terme, vont attendre.

Le DPatrick Charlebois, président de l’Association québécoise de chirurgie

Les CISSS et CIUSSS ont signé 31 ententes avec 16 centres médicaux spécialisés (cliniques privées) pour amoindrir les effets de la pandémie dans le réseau et maintenir un meilleur niveau d’activités chirurgicales.

La crise qui affecte les urgences du Grand Montréal, qui croulent sous les patients, touche aussi les blocs opératoires en raison du manque de disponibilité de lits d’hospitalisation. Christian Dubé a ordonné il y a deux semaines, la création d’une cellule de crise pour régler la situation des urgences.

Voyants au rouge

En mai dernier, le ministre Christian Dubé dévoilait son tableau de bord compilant une tonne de données sur le système de santé et permettant de suivre l’atteinte des cibles du Plan santé. Six mois plus tard, la plupart des voyants sont toujours au rouge.

Urgences et hospitalisations

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Le taux d’occupation de lits disponibles dans les hôpitaux est passé à 87,7 %, soit sous la barre du niveau acceptable de 90 %.

Si les voyants demeurent au rouge pour la situation dans les urgences – toujours une durée moyenne de 18 heures sur civière –, la situation montre des signaux d’amélioration pour les hospitalisations. Le taux d’occupation de lits disponibles est passé à 87,7 %, soit sous la barre du niveau acceptable de 90 %. Le nombre de lits disponibles tend aussi à augmenter. La situation des patients en « niveau de soins alternatifs », donc qui ne requièrent plus de soins en milieu hospitalier, demeure au-dessus des cibles.

Accès à la première ligne

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Plus de 860 000 Québécois sont inscrits au Guichet d’accès à un médecin de famille.

Après avoir reporté plus d’une fois l’échéance, le fameux Guichet d’accès à la première ligne (GAP), qui doit permettre aux patients orphelins d’avoir accès à un professionnel de la santé, est sur le point d’être entièrement déployé à travers le Québec (90 territoires sur 92) ; 306 246 personnes sont maintenant inscrites en GMF. Plus de 860 000 Québécois sont en revanche toujours inscrits au Guichet d’accès à un médecin de famille. Ce nombre était de plus de 1 million au début de l’été.

Très longue attente à la DPJ

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Le MSSS s’est fixé une cible de 21,40 jours d’attente pour obtenir une évaluation en Protection de la jeunesse.

Le temps moyen d’attente pour obtenir une évaluation en Protection de la jeunesse a explosé depuis six mois, passant d’environ 28 jours en mai 2022 à 46,22 jours au 8 octobre dernier. C’est plus du double de la cible du MSSS qui est fixée à 21,40 jours. Il s’agit néanmoins d’une amélioration par rapport au niveau pandémique alors qu’il fallait en moyenne attendre 55 jours pour recevoir une évaluation, en janvier 2021.

Soins à domicile : la liste s’allonge

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Au total, 17 691 Québécois attendent un premier service de soins à domicile.

La liste de patients en attente d’un premier service de soins à domicile a continué de s’allonger depuis les six derniers mois. Ainsi, 17 691 Québécois patientent maintenant pour obtenir un premier service alors que ce nombre était de 17 570 en mai dernier. Le tableau ne fait pas état du temps d’attente.

Santé mentale : faible amélioration

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Environ 20 000 Québécois cherchent à obtenir des services de santé mentale.

Le nombre de Québécois (adultes et enfants) qui cherchent à obtenir des services de santé mentale reste stable depuis les derniers mois, autour de 20 000. Depuis mai, la liste d’attente chez les enfants tend en revanche à diminuer : environ 7300 enfants étaient sur cette liste en mai alors qu’ils sont autour de 6000 au dernier bilan.