Au Québec, plus de 420 000 enfants n’ont pas de médecin de famille. Désemparés, des parents mettent des heures, voire des jours, à trouver un rendez-vous médical pour leur petit.

« Chaque fois que [mon fils] est malade, c’est la galère pour trouver un rendez-vous », lance Geneviève Tremblay, mère d’un garçon de 3 ans. Son petit avait un médecin de famille à la naissance, mais ce dernier est parti du pays il y a deux ans. Depuis, le bambin est sur une liste d’attente du gouvernement.

Au total, 427 763 enfants n’ont pas de médecin de famille actuellement, selon des chiffres du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) obtenus par La Presse. Parmi ceux-ci, 56 869 ont moins de 1 an, 86 805 de 2 à 5 ans et 284 089 de 6 à 17 ans.

Lorsque son fils a besoin d’un rendez-vous urgent, Geneviève Tremblay tente tant bien que mal de recourir aux plateformes Bonjour Santé ou Rendez-vous santé Québec. « Mais les rendez-vous sont rares. C’est presque impossible à trouver », déplore-t-elle.

C’est alors la course pour en dénicher un.

De façon générale, je peux passer de deux à trois heures à rafraîchir constamment les plateformes pour essayer de trouver. À force de constamment réessayer, on finit par être le numéro chanceux qui obtient une consultation, mais ça peut être très long.

Geneviève Tremblay, mère d’un garçon de 3 ans

Dans son quartier, raconte-t-elle, des mères se lèvent à minuit pour trouver une consultation pour leurs enfants. « On dirait que c’est rendu la norme. On est toutes en concurrence pour mettre la main sur quelque chose de tellement rare qu’on est prêtes à se lever au petit matin pour obtenir une consultation », déplore-t-elle. Des familles de son entourage utilisent plusieurs ordinateurs en même temps pour obtenir un rendez-vous.

À la fin octobre, Geneviève Tremblay soupçonnait que son fils avait une otite. Elle a contacté le Guichet d’accès à la première ligne (GAP), une ligne téléphonique mise en place par le gouvernement qui permet aux personnes sans médecin de famille d’obtenir un rendez-vous médical. Elle dit ne jamais avoir été rappelée. Désemparée, elle a écrit une publication sur Facebook, afin de demander des solutions à son entourage.

À sa grande surprise, son appel a porté ses fruits. La semaine dernière, une infirmière praticienne spécialisée, qui est tombée sur sa publication, lui a offert de prendre en charge le bambin dans la clinique médicale où elle travaille. Cette infirmière, qui a une formation universitaire de niveau supérieur, suivra désormais l’état de santé du jeune garçon et pourra prescrire, en cas de besoin, des traitements et des médicaments, tout comme le ferait un médecin de famille. « Je suis très heureuse, mais je m’inquiète pour les gens toujours sur la liste d’attente », confie la mère.

Des rendez-vous difficiles d’accès

« À l’heure où on se parle, beaucoup de parents n’ont pas encore accès à une fluidité pour prendre des rendez-vous pour répondre à leurs questions », observe la Dre Marie-Claude Roy, présidente de l’Association des pédiatres du Québec.

Selon elle, il ne serait pas nécessaire d’avoir un médecin de famille attitré à chaque enfant. Elle estime toutefois que les parents devraient avoir accès rapidement à un professionnel de la santé en cas de besoin, par exemple avec une infirmière praticienne spécialisée ou un pharmacien.

Entre 0 et 5 ans, il se passe énormément de choses, il y a beaucoup d’infections et d’enjeux de développement. On a souvent besoin, en tant que parents, de se référer à un professionnel de la santé.

La Dre Marie-Claude Roy, présidente de l’Association des pédiatres du Québec

Le DAlain Papineau, président du Collège québécois des médecins de famille (CQMF), est du même avis. « Il est important qu’un enfant soit suivi dans sa période de croissance et de développement [0 à 5 ans] », souligne-t-il, ajoutant que ce suivi peut être réalisé soit par un médecin de famille seul, soit par une équipe interprofessionnelle.

« C’est l’enfer »

Sophie Bélanger rêve que son fils puisse avoir accès facilement à un rendez-vous médical lorsqu’il en a besoin. Son garçon, âgé de 6 ans, est sans médecin de famille depuis 2019, ce dernier ayant lui aussi quitté le pays. « C’est l’enfer quand on veut consulter un médecin. Je refuse d’aller au privé, c’est contre tous mes principes, mais je sais qu’à un moment donné, il va falloir que j’y aille », laisse tomber Mme Bélanger.

Au début du mois d’octobre, son garçon ne se sentait pas bien. Il toussait, son nez coulait et il avait mal à une oreille. « J’ai contacté toutes les cliniques pour avoir un rendez-vous, mais c’était plein partout. Je capotais. Je suis relativement débrouillarde, mais j’étais incapable de trouver une place pour que mon enfant puisse voir un médecin », se rappelle-t-elle.

Un de ses amis lui a parlé du Guichet d’accès à la première ligne (GAP). « Je ne savais même pas que ça existait », dit-elle. Au téléphone, on lui a donné un rendez-vous la journée même. Une fois son garçon examiné, Mme Bélanger a demandé au médecin si elle pouvait lui poser une question sur son enfant. Elle s’interrogeait sur les ganglions visibles dans son cou. Le médecin lui a répondu que si sa question ne concernait pas le motif de la consultation, il ne pourrait pas lui répondre.

« Ça fait trois ans que mon enfant n’a pas vu de médecin et je n’ai même pas le droit de poser une question sur les ganglions dans son cou », déplore la mère de famille. Si elle veut obtenir une réponse, elle devra partir à la quête d’un nouveau rendez-vous.