Crises cardiaques traitées trop tard, patients retournés à la maison malgré un lourd diagnostic : le taux d’achalandage élevé dans les urgences du Québec, dont la moyenne était de 123 % dans la dernière semaine, entraînent de lourdes conséquences.

« On n’est plus capables de s’occuper de tous les patients. Tous les jours, c’est de 1300 à 1500 patients qui quittent les urgences après avoir seulement été évalués au triage. C’est sûr qu’à long terme, il va y avoir des erreurs. Il y en a eu et il va y en avoir encore plus », dit le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le DGilbert Boucher.

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Le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Mardi, la situation était particulièrement critique à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, dans Lanaudière, où le taux d’occupation des salles d’urgence était de 250 % en début de journée, selon le portail d’Index Santé.

L’achalandage dépassait également 200 % dans de nombreuses urgences du Québec, notamment à l’hôpital Le Royer, sur la Côte-Nord, au CSSS de Memphrémagog, en Estrie, au Centre hospitalier régional de Lanaudière, au Centre de services de Rivière-Rouge, dans les Laurentides, et à l’hôpital Royal Victoria à Montréal.

« Dès qu’on tombe en haut de 150 %, ça devient extrêmement dysfonctionnel », dit le DBoucher. Les infirmières doivent déterminer la priorité des patients grâce à une brève rencontre de quelques minutes. « À 200 %, l’évaluation médicale des patients est très sommaire. On ne peut pas examiner le ventre d’un patient de la bonne manière quand on est dans un corridor. Tout devient plus difficile », illustre-t-il.

Les professionnels s’inquiètent des conséquences concrètes de cet achalandage élevé. « Des crises cardiaques manquées et des patients retournés à la maison avec un diagnostic assez grave sans avoir vu le médecin, il commence à y en avoir de plus en plus », dit le DBoucher.

Des conditions pas toujours sécuritaires

Lorsque la demande est aussi élevée, les soins aux urgences ne sont pas optimaux, soutient le président de l’Association des spécialistes en médecine interne du Québec, le DHoang Duong. « Malheureusement, les patients ne sont pas soignés dans des conditions qui sont sécuritaires », déplore-t-il.

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Le DHoang Duong, président de l’Association des spécialistes en médecine interne du Québec

La semaine dernière, le spécialiste en médecine interne de l’hôpital Pierre-Le Gardeur a soigné une patiente qui avait une sérieuse infection urinaire. Lorsqu’elle a reçu des antibiotiques, son état s’est amélioré rapidement.

« Elle n’avait plus besoin de rester à l’hôpital, mais elle a dû rester couchée dans une civière pendant plusieurs jours et elle a perdu des forces musculaires. Même si son infection était guérie, il fallait la garder à l’hôpital, parce qu’elle n’était plus capable de marcher et de rentrer chez elle », raconte le médecin.

La situation ne s’améliore pas

Lundi, 107 patients étaient en attente aux urgences à l’hôpital Pierre-Le Gardeur et près d’une dizaine d’ambulances patientait dans le stationnement de l’établissement avant de se rendre au triage, a déploré Stéphane Cormier, président du Syndicat interprofessionnel de la santé de Lanaudière.

Devant ce fort achalandage, le personnel de la santé de Lanaudière craque sous la pression.

Dans les urgences, ça pleure. Il y en a qui s’en vont en maladie. Ce n’est pas tolérable. [Ils] vivent de la détresse. Ce n’est pas pour rien qu’[ils] quittent le réseau.

Stéphane Cormier, président du Syndicat interprofessionnel de la santé de Lanaudière

« On a tous le moral bas ces temps-ci, renchérit le DDuong. Ce taux d’occupation élevé arrive à une période de l’année où d’habitude, ça devrait bien aller. On n’a pas encore commencé les vacances de Noël, où la capacité du réseau va être encore réduite, donc ça risque de s’aggraver. On est un peu inquiets », dit-il.

Une urgence, vraiment ?

Dans la dernière semaine, pas moins de 10 300 personnes se sont présentées aux urgences. Au total, 52 % des visites ne nécessitaient pas de s’y rendre, selon les indicateurs de performance du réseau de la santé et des services sociaux.

Avant de considérer venir aux urgences, le DDuong rappelle que d’autres ressources peuvent être consultées, notamment la ligne téléphonique Info Santé en composant le 811 ou le Guichet d’accès à la première ligne (GAP).

Les patients gravement malades ne devraient toutefois pas hésiter à se rendre aux urgences, soutiennent les spécialistes. « On entend parler de plus en plus de patients qui auraient dû se rendre aux urgences, mais qui ne sont pas allés parce qu’ils ont vu que c’était occupé et ils ne voulaient pas déranger », dit le DBoucher.

Ne pas se présenter à temps à l’hôpital peut avoir des conséquences, rappelle le médecin. « Il y a certaines pathologies qui dépendent du temps avant de commencer le traitement », dit-il.