Le reste de l’automne s’annonce très difficile dans nos hôpitaux. Le taux d’occupation dans les urgences du Québec a atteint 121 % la semaine dernière, un sommet depuis deux ans. À l’hôpital du Suroît, à Salaberry-de-Valleyfield, on a même refusé des cas moins urgents et détourné des ambulances durant la nuit de dimanche à lundi.

« On est comme le baromètre qui annonce aux autres ce qui arrivera sous peu », prévoit le chef adjoint du service des urgences du CISSS de la Montérégie-Ouest, le DBernard Richard. « Des fermetures, il y en aura d’autres », renchérit le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le DGilbert Boucher.

Lundi matin, les urgences de l’hôpital du Suroît présentaient un taux d’occupation de 203 %. En tout, 65 patients occupaient des civières alors que la capacité est de 32. Sur ces 65 patients soignés aux urgences, 46 attendaient d’être hospitalisés aux étages. Un record, selon le DRichard. Dans ce contexte, « comment gérer les 35 à 40 ambulances du jour ? », se demandait-il lundi matin.

Durant la nuit de dimanche à lundi, des affiches ont été installées sur les portes de l’hôpital du Suroît indiquant une « fermeture temporaire de l’urgence ».

Porte-parole du CISSS de la Montérégie-Ouest, Jade St-Jean indique que les affiches ont été installées « sans l’autorisation d’un gestionnaire ou de la direction ». Mme St-Jean affirme que l’urgence « n’a pas été fermée cette nuit » et que les patients « ont tous été triés et ont continué d’être vus selon l’ordre de priorité ». Mais elle concède que compte tenu de l’achalandage important durant la nuit, « on a recommandé aux personnes dont la condition était considérée comme non urgente (P4-P5) de considérer d’autres alternatives à l’urgence ou d’y revenir [lundi] matin pour éviter qu’ils attendent de longues heures dans la salle d’attente ».

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Dominique Pilon, directeur des activités hospitalières à l’hôpital du Suroît

Directeur des activités hospitalières à l’hôpital du Suroît, Dominique Pilon ajoute que l’établissement a vécu une situation « critique » qui a obligé le détournement d’ambulances vers l’hôpital Anna-Laberge, à Châteauguay, pendant trois heures. Mais selon lui, la salle d’urgence de l’hôpital du Suroît « n’a pas été fermée du tout ». M. Pilon attribue l’installation d’affiches à un « malentendu avec le personnel ».

Mme St-Jean affirmait lundi matin que la situation, « bien qu’encore difficile », était « stabilisée » à l’hôpital du Suroît. Une affirmation qui choque la présidente du Syndicat des professionnelles en soins de la Montérégie-Ouest, Mélanie Gignac. « Ce soir, on devrait être 12 infirmières et 7 infirmières auxiliaires pour couvrir le quart de travail aux urgences. Mais à date, seulement 3 infirmières et 4 infirmières auxiliaires sont confirmées. Comment allons-nous couvrir le quart de soir ? Les deux tiers des infirmières de jour vont devoir rester ? », demandait-elle, lundi midi. En fin de journée, le DRichard a confirmé que 19 travailleurs devaient rester et faire des heures supplémentaires obligatoires pour pourvoir le quart de soir.

On est en train de se rendre malades à soigner des gens malades.

Mélanie Gignac, présidente du Syndicat des professionnelles en soins de la Montérégie-Ouest

Un scénario qui va se reproduire

Pour le DBoucher, il est clair que les urgences sont très achalandées actuellement, en Montérégie mais aussi dans plusieurs régions du Québec. « On a autant de patients que l’an passé, mais on n’est pas capables de tous s’en occuper. Et l’hiver s’en vient… », dit-il. Comme toujours, le DBoucher explique que les débordements aux urgences traduisent dans les faits l’embourbement global du réseau de la santé. À Montréal lundi, les deux tiers des 570 civières aux urgences étaient occupées par des patients en attente d’être hospitalisés.

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Lundi matin, les urgences de l’hôpital du Suroît présentaient un taux d’occupation de 203 %

Le nombre de patients en fin de soins actifs dans les hôpitaux et qui attendent une place en CHSLD, en soins à domicile ou en réadaptation est aussi particulièrement élevé ces temps-ci, ce qui accentue la crise aux urgences en y maintenant pendant des jours des personnes devant être hospitalisées.

Présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec, la Dre Judy Morris juge « inquiétant » que la crise dans les urgences soit « soutenue » depuis des mois. « On pensait que cet été, ça allait mal, mais que ça allait s’améliorer avec la fin des vacances. Mais non », dit-elle, soulignant le manque toujours criant de personnel et le « volume très élevé » de patients se présentant aux urgences. Ceux-ci ont différentes problématiques. Un peu de cas de COVID-19. Mais aussi, plusieurs autres virus.

Il y a eu des fermetures planifiées de certaines urgences dans les derniers mois. Il y a le Suroît. Les Laurentides ont eu des difficultés dernièrement… Des fermetures d’urgence, il y en aura d’autres.

La Dre Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec

La situation tendue dans les salles d’urgence du Québec préoccupe le Collège des médecins. Dans une infolettre envoyée à ses membres vendredi et obtenue par La Presse, le président du Collège, le DMauril Gaudreault, indiquait avoir rencontré à deux reprises le Regroupement des chefs d’urgence du Québec dans les derniers jours. « Ils sont extrêmement préoccupés par la situation actuelle, étalée dans les médias. Et avec raison ! Ils craignent autant pour la sécurité des patients que pour la leur », a écrit le DGaudreault. Ce dernier constate que ce « contexte lourd ne facilite pas le recrutement de personnel dans les urgences, ce qui fait en sorte que la pénurie de ressources se poursuit. C’est un cercle vicieux », dit-il.

M. Pilon confirme que la crise vécue à l’hôpital du Suroît est causée par la pénurie de main-d’œuvre. « On est dans des grosses campagnes de recrutement, on vient de faire des offres, je pense, très intéressantes aux infirmières. […] Je viens de faire un appel individualisé à 430 infirmières qui avaient quitté notre organisation au cours des dernières années pour les inviter à revenir pour leur dire ce qu’on a fait comme améliorations », dit-il.

Au cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, on signale que différentes solutions sont déployées pour tenter de contrer la pénurie de personnel dont « l’embauche et la valorisation de médecins et d’autres professionnels de la santé, le déploiement du Guichet d’accès à la première ligne partout au Québec, l’ajout de lits dans le réseau pour dégager les urgences de cas mineurs, l’aménagement local des horaires, le retour à la maison avec des soins à domicile ou encore le décloisonnement des professions pour augmenter l’offre de service ».

L’attaché de presse du ministre Dubé, Marjaurie Côté-Boileau, souligne que malgré la situation vécue lundi à l’hôpital du Suroît, le taux d’occupation sur civière qui « frisait les 300 % » l’an dernier est retombé à 125 % au cours de la dernière année. « La situation est loin d’être parfaite, mais il demeure qu’on est dans une période de transition dans le réseau de la santé », dit-elle.