Des Québécois se voient offrir de plus en plus d’options au privé sur le portail de Clic Santé, où le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous au public est parfois très long. Se disant conscient du problème, Québec montre du doigt la pénurie de personnel.

Quand Marie-Andrée Brassard tente de prendre un rendez-vous pour une prise de sang sur Clic Santé, deux options s’offrent à elle : attendre plus d’un mois pour la faire réaliser gratuitement dans un établissement public, ou encore débourser 40 $ pour la faire faire la journée même au privé.

« Ce qui me choque profondément, c’est de constater que le gouvernement du Québec, par l’intermédiaire de Clic Santé, fait la promotion du privé », explique Marie-Andrée Brassard en entrevue avec La Presse.

Depuis une vingtaine d’années, la résidante de Québec doit fréquemment se faire prélever du sang à cause de problèmes de santé. « Avant la pandémie, c’était très facile. J’allais à l’hôpital Saint-Sacrement sans rendez-vous et je n’attendais même pas 10 minutes », dit-elle.

Avec l’arrivée de la pandémie, plusieurs établissements de santé ont fait migrer la prise de rendez-vous vers la plateforme Clic Santé pour avoir accès à divers services médicaux. « Jusqu’à il y a deux ou trois mois, Clic Santé me dirigeait vers des organismes publics comme des CLSC ou les hôpitaux Chauveau et Jeffery [Hale]. »

En août, lorsqu’elle a tenté de prendre rendez-vous, de nouvelles options figuraient sur le portail. « Non seulement on me dirige vers ces établissements publics, mais on me dirige aussi vers de nombreuses pharmacies ou entreprises où il faut payer », dit-elle.

Ce que je trouve curieux, surtout dans le climat politique actuel et avec tout le débat concernant le privé en santé, c’est que Clic Santé, qui est en quelque sorte le bras du gouvernement, nous dirige vers le privé pour un service. Je trouve ça très choquant et inquiétant.

Marie-André Brassard, résidante de Québec

Pour prendre rendez-vous au public, le temps d’attente dans sa région est d’environ quatre à cinq semaines. Au privé, des rendez-vous sont offerts la journée même. « Il m’est arrivé d’aller au privé parce que c’était urgent et ça m’a coûté 40 $ », dit-elle.

« L’équité n’est plus »

À la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), on déplore cette omniprésence du privé sur la plateforme. « C’est totalement déplorable, parce que j’ai l’impression que Clic Santé est devenu comme un portail de promotion publicitaire du privé », soutient la présidente de la FIQ, Julie Bouchard.

Les mieux nantis vont pouvoir obtenir un rendez-vous beaucoup plus rapidement en payant pour leurs soins, au détriment de ceux qui ont moins de moyens financiers.

Julie Bouchard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)

La Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) est du même avis. « On trouve ça pernicieux. Certains pourront payer pour une prise de sang et d’autres ne le pourront pas. L’équité n’est plus », dit le président de la FSSS-CSN, Réjean Leclerc.

Selon lui, il faut chercher à réduire les listes d’attente dans le secteur public, plutôt que de le remplacer par le système privé. « Comme ça, tout le monde va avoir la même opportunité », dit-il.

En réponse à la demande de La Presse, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a dit être conscient de l’augmentation de la présence du privé et du long délai au public. « La pénurie de main-d’œuvre affecte effectivement le recrutement, et ce, pour les différents titres d’emploi présents dans le réseau de la santé et des services sociaux. Les technologistes médicaux n’y échappent pas non plus », a indiqué le porte-parole, Robert Maranda.

La Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault veut d’ailleurs faire davantage de place au privé en santé en construisant deux centres médicaux, l’un dans l’est de Montréal et l'autre à Québec, qui seraient entièrement supervisés par des entreprises. Ces « minihôpitaux » privés seraient entièrement couverts par la RAMQ pour ce qui est des soins, mais leur construction et la gestion relèveraient du privé.

Objectif expérience client

Clic Santé offre des dizaines de services médicaux, tels que du dépistage, de la vaccination et des soins courants. Avec la vaccination contre la COVID-19, le nombre d’utilisateurs de la plateforme Clic Santé a bondi à 7,1 millions de Québécois, indique la porte-parole de Clic Santé, Sophie Villeneuve.

Devant la demande grandissante, de nombreux établissements offrant des services privés se sont joints à la plateforme.

L’objectif est d’avoir le plus d’offre possible pour que l’expérience des gens qui viennent sur le portail de Clic Santé soit bonne. 

Sophie Villeneuve, porte-parole de Clic Santé

Le MSSS et Clic Santé se sont renvoyé la balle lorsque La Presse les a interrogés au sujet du nombre de services privés désormais offerts sur la plateforme.

Clic Santé a indiqué que le MSSS est le seul propriétaire de ces données. De son côté, le MSSS a dit disposer uniquement des informations liées à la prise de rendez-vous pour la vaccination contre la COVID-19 et l’influenza, des services publics assurés.