Pour réaliser des tests médicaux simples, notamment des tests de grossesse, les médecins et infirmières qui travaillent pour les CISSS et CIUSSS du Québec doivent désormais recevoir une formation spécifique. Sur le terrain, cette nouvelle barrière administrative exaspère.

« Ce n’est pas compliqué : on prend la bandelette, on la met dans le pipi, et on regarde les couleurs », s’exclame le Dr Etienne Villeneuve, médecin dans un groupe de médecine de famille universitaire (GMF-U) de Lanaudière. « Les tests de grossesse, les femmes enceintes achètent ça chez Dollarama et elles sont capables de les analyser ! »

Le DVilleneuve travaille depuis plus de 10 ans dans ce GMF-U et suit en particulier des femmes enceintes. Depuis au moins un an, une série de tests simples (grossesse, infection urinaire, streptocoque, etc.) — qui peuvent même être faits en pharmacie, dans certains cas — sont encadrés par une nouvelle norme provinciale.

Cela est dû notamment au déploiement d’OPTILAB, regroupement de divers laboratoires de biologie médicale répartis en 12 « grappes de services », selon le MSSS. Cette réorganisation commencée en 2011 prévoit que les laboratoires doivent obtenir un agrément de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) en ce qui a trait aux examens de biologie médicale délocalisés (faits à l’extérieur des laboratoires).

Consultez le site de l’Organisation internationale de normalisation

Parmi les exigences de cet agrément : la formation récurrente du personnel.

Ainsi, ces tests très simples doivent désormais être envoyés en laboratoire, plutôt qu’être réalisés au bureau du médecin. Ou encore, ils peuvent être effectués sur place par des infirmières ou des médecins s’ils ont reçu une formation annuelle spécifique d’une heure par type de test.

Quelque chose qui ressemble à une perte de temps, selon le DVilleneuve. « Deux ou trois heures de formation [par année] et par intervenant, médecin ou infirmière, c’est beaucoup d’heures qui ne sont pas données à des patients », s’insurge-t-il.

Pour le Dr Mathieu Moreau, médecin de famille en médecine palliative, « toute formation obligatoire additionnelle décourage les professionnels, particulièrement les médecins ». À son sens, les médecins risquent de ne plus faire les tests et de rediriger les patients ailleurs.

« #Optilab #Opticrap est bien excité à faire du zèle de contrôle qualité sur des tests que ma mère pourrait faire les yeux fermés », a aussi dénoncé sur Twitter le Dr Sébastien Poulin, médecin spécialiste en microbiologie médicale et infectiologie au CISSS des Laurentides. Il répondait à une publication à ce sujet du DVilleneuve, le 15 août dernier.

Pas tous les médecins

Là où le bât blesse, c’est que cette nouvelle norme encadre seulement les médecins qui « œuvrent dans les installations » du ministère de la Santé et des Services sociaux — comme le CISSS de Lanaudière, dont relève le GMF-U où travaille le Dr Villeneuve.

Les autres cliniques de médecine familiale peuvent donc continuer d’utiliser ces tests comme à l’accoutumée, sans formation.

Dans la clinique où exerce le Dr Villeneuve, toutes les infirmières ont d’abord été formées. Mais avec la pandémie, le délestage et la mobilité du personnel, le Dr Villeneuve s’est retrouvé à devoir envoyer des échantillons en laboratoire, faute de gens formés à cette fin.

« ​​Ça entraîne des coûts supplémentaires et des délais pour des diagnostics », affirme-t-il. Et c’est pire pour les situations urgentes : une patiente qui veut se faire poser un stérilet (un test de grossesse préalable est nécessaire) ou un autre qui a besoin d’antibiotiques, en raison d’un possible streptocoque.

Des jours d’attente sont parfois nécessaires avant de recevoir une réponse du laboratoire, dénonce le Dr Villeneuve, alors qu’auparavant, le résultat était instantané. Et dans certains cas, des patients vont même décider d’aller passer le test à la pharmacie, à leurs frais, et de revenir avec le résultat.

Le médecin a finalement décidé de recevoir lui-même la formation demandée, il y a quelques jours. À sa sortie, excédé, il a gazouillé avec ironie : « Depuis 1 an, le CISSS/optilab m’interdit de faire des tests de grossesse et des analyses d’urine dans mon bureau parce qu’ils ne peuvent garantir la fiabilité de ma technique/interprétation. […] Aujourd’hui, j’ai réussi mes 2 examens écrits (oui oui, des choix de réponses) et pratiques ! Je suis bon un an ! Recertification dans un an ! Je me sens vraiment bien outillé maintenant ! »

L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a indiqué à La Presse ne pas avoir reçu de plaintes à ce sujet.

Une norme provinciale

Cette norme a été mise en place « afin d’améliorer la qualité des services de laboratoires de biologie médicale », affirme Robert Maranda, responsable des relations avec les médias du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

« La norme encadre, entre autres, la formation, la certification et la recertification pour les tests de grossesse, confirme M. Maranda. Seul le personnel ayant suivi la formation et fait la preuve de ses compétences doit réaliser les examens de biologie médicale. »

« L’accréditation des laboratoires à cette norme est une exigence du MSSS qui a mandaté le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) pour assurer l’évaluation des laboratoires au niveau provincial », a aussi indiqué le service des communications du CISSS de Laval, par courriel, jeudi.

À l’heure où l’accessibilité aux médecins de famille est au cœur de l’actualité, de telles exigences font bondir le Dr Villeneuve. « Je comprends l’idée de standardiser [les pratiques], personne n’est contre la vertu, assure-t-il. Mais est-ce que ce n’est pas plus important de donner des services à la population ? »

Avec la collaboration d’Alice Girard-Bossé, La Presse

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