Dans des hôpitaux de partout sur la planète, des patients participent chaque année à des études cliniques et contribuent au développement de nouveaux traitements contre différentes maladies. Atteinte d’un cancer du sein métastatique, la Québécoise Mélanie Dufour s’est prêtée à l’exercice cette année. Pour « donner aux suivantes ». La Presse l’a suivie dans cette expérience.

Une étude en cadeau

Nous sommes à quelques jours de Noël, en décembre 2021. Mélanie Dufour reçoit le cadeau qu’elle espérait : elle apprend qu’elle est admissible à prendre part à une étude clinique de phase 1 visant à développer un nouveau traitement contre le cancer. Elle deviendra la troisième personne au monde à tester le tout.

Quelques semaines plus tôt, La Presse avait rencontré la mère de famille de 45 ans dans les locaux du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Mme Dufour y était pour rencontrer son médecin traitant, le radio-oncologue et chercheur au Centre de recherche du CHUM David Roberge.

Ce dernier avait expliqué dans le détail à sa patiente le projet de recherche qu’il mène. En gros : l’objectif est de tester un nouveau traitement de radio-immunothérapie destiné à ralentir la progression de tumeurs cancéreuses au cerveau.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le Dr David Roberge explique à Mélanie Dufour le nouveau traitement de radio-immunothérapie.

Enseignante, Mme Dufour reçoit un premier diagnostic de cancer du sein le 8 décembre 2014, à 38 ans. « Je l’ai attrapé tard. J’avais des métastases partout », dit la mère de deux enfants de 11 et 14 ans. Plusieurs parties de son corps sont envahies à ce moment par le cancer, dont les poumons, le foie et le cerveau.

Les premiers traitements que Mme Dufour reçoit fonctionnent très bien. À un point tel que le cancer disparaît complètement de toutes les parties de son corps, sauf de son cerveau, où une poignée de petites tumeurs s’accrochent. Débute alors une course au traitement pour tenter de freiner la croissance des tumeurs ou, mieux, de les éliminer.

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Mélanie Dufour, 45 ans, est atteinte d’un cancer métastatique depuis huit ans. Elle participe à une étude clinique de phase 1 visant à développer un nouveau traitement.

Le DRoberge explique que le traitement des tumeurs au cerveau n’est pas simple. Pénétrer la barrière hématoencéphalique, conçue pour être étanche, est ardu. La plupart des patients atteints de ce type de cancer peuvent au mieux espérer freiner le développement de leurs tumeurs le plus longtemps possible.

« Différents médicaments existent. Les patients utilisent un médicament jusqu’à ce qu’il ne fasse plus effet. On doit alors passer à un autre », explique le DRoberge.

Mme Dufour dit être atteinte d’un « cancer chronique ».

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Un peu comme quelqu’un qui a le diabète. Et on essaie toutes sortes de médicaments pour que je reste en forme et en santé le plus longtemps possible.

Mélanie Dufour

Des développements rapides

Au cours des dernières années, le développement de médicaments contre le cancer s’est beaucoup accéléré, constate le DRoberge. Avant, un nouveau médicament apparaissait tous les 10 ans, dit-il. Alors qu’aujourd’hui, « ça déboule beaucoup plus rapidement ». Notamment grâce aux multiples projets de recherche clinique sur de nouveaux médicaments.

Mme Dufour a elle-même pu bénéficier d’un nouveau traitement, l’Herceptin, il y a quelques années. Mais aujourd’hui, ses options s’amenuisent. Ses derniers examens ont montré que son traitement actuel commence à faire de moins en moins effet. Dans ces circonstances, Mme Dufour a choisi de participer à l’étude de phase 1 du DRoberge.

La patiente sait qu’il se peut que le projet ne fonctionne pas pour elle. Et que la maladie progresse un peu. « Au pire, on va se rabattre sur les traitements ordinaires, dit-elle. Mais on aura ajouté une option à ce que j’avais avant. »

Troisième patiente au monde

Dans une salle d’examen du CHUM à la mi-décembre, Mme Dufour rencontre le DDaniel Juneau, spécialiste en médecine nucléaire. Ce dernier explique à la patiente, qu’il soignera conjointement avec le DRoberge, en quoi consistera le traitement de l’étude clinique.

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Le Dr Daniel Juneau, spécialiste en médecine nucléaire, discute avec Mélanie Dufour.

Il y a plusieurs mois, une entreprise pharmaceutique a contacté les équipes du CHUM et du CUSM pour participer à cette étude de phase 1. La recherche en est à ses débuts.

Le traitement consiste à envoyer des traitements radioactifs directement sur les tumeurs cancéreuses des patients. Pour pénétrer la barrière hématoencéphalique du cerveau, une molécule créée à partir de fragments d’anticorps de chameau est utilisée et joue en quelque sorte le rôle de véhicule. Une autre molécule y est couplée : un isotope radioactif. Le « véhicule » apporte l’isotope radioactif jusqu’aux tumeurs et la radiation qui se libère tue les cellules cancéreuses en épargnant le plus possible les cellules saines.

L’un des aspects intéressants de ce traitement est que l’isotope radioactif émet différents types de radiations, dont certaines sont détectables par caméra, explique le DJuneau.

En faisant des images de dosimétrie, on est capable de voir où le médicament va, combien de temps il reste…

Le DDaniel Juneau, spécialiste en médecine nucléaire

Mme Dufour deviendra la troisième patiente au monde à recevoir le traitement.

Avec son conjoint, Patrick Leblanc, Mme Dufour écoute attentivement les explications. Le DJuneau explique que puisque très peu de patients ont reçu ce traitement jusqu’à maintenant, il est difficile de déterminer quels peuvent être les effets secondaires. Des nausées et une perte d’appétit sont possibles. De la fatigue. Un risque d’atteinte à la fonction rénale peut aussi être envisagé, mais des médicaments préventifs sont donnés en conséquence.

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Le Dr Daniel Juneau discute avec des membres de son équipe.

Le DJuneau précise qu’à tout moment, Mme Dufour peut se retirer de l’étude. Mais la femme est déterminée : elle veut aller de l’avant. « On a fait pas mal le tour des médicaments traditionnels. Ce programme va permettre des avancées. Si ça peut donner la chance aux autres après d’avoir plus de choix de traitements, pourquoi pas ? Il faut que ça parte de quelque part, la recherche », dit-elle.

« Mon plus beau chemin jusqu’à maintenant »

Mélanie Dufour a reçu une première injection du traitement expérimental le 11 janvier 2022. Puis une deuxième le 8 février. À la mi-février, Mme Dufour raconte à La Presse se sentir « très bien ». Les effets secondaires sont inexistants. « Je n’ai pas de maux de ventre. Ni de cœur. Pas de maux de tête », dit-elle. Son mari note le « beau teint » de sa femme. « Elle prend du poids aussi, ce qui est bien », dit-il.

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Mélanie Dufour, quelques semaines après l’arrêt de son traitement

L’absence de symptômes est une apparente « bonne nouvelle » pour la patiente. Mais celle-ci s’en méfie aussi. Car Mme Dufour sait qu’en participant à la phase 1 du projet de recherche, la dose de traitement qu’on lui a administrée est faible. Peut-être trop…

Le temps lui donnera raison. Le 1er mars, Mme Dufour subit un scan complet de son corps. Le DRoberge réalise que les tumeurs de Mme Dufour ne diminuent pas. Pire : l’une d’elles a légèrement augmenté de volume.

Plus question de continuer dans le projet de recherche ; on retourne aux traitements ordinaires.

  • Début février, Mélanie Dufour subit des examens dans le cadre de la recherche clinique au CHUM.

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    Début février, Mélanie Dufour subit des examens dans le cadre de la recherche clinique au CHUM.

  • Début février, Mélanie Dufour subit des examens dans le cadre de la recherche clinique au CHUM.

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    Début février, Mélanie Dufour subit des examens dans le cadre de la recherche clinique au CHUM.

  • Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

  • Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

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    Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

  • Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

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    Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

  • Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

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    Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

  • Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

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    Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

  • Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

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    Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

  • Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

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    Début mars, Mélanie Dufour subit un scan pour vérifier l’efficacité du traitement.

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« Mon corps, ça fait longtemps qu’il a des traitements de chimiothérapie. C’est comme si la dose a été trop faible pour lui », affirme Mme Dufour.

Même si sa patiente n’aura pas eu de bénéfice direct en participant à l’étude clinique, le DRoberge explique que sa participation n’aura pas été vaine. Car puisque la faible dose a donné peu d’effets secondaires aux premières patientes, la phase 2 du projet de recherche peut aller de l’avant, avec une dose plus forte.

Les patients qui acceptent de participer aux études cliniques le font pour eux. Mais aussi souvent pour aider les autres. Pour faire avancer la science.

Le Dr David Roberge, radio-oncologue et chercheur au Centre de recherche du CHUM

La course continue

Rencontrée chez elle en mai, Mme Dufour n’a pas le moral dans les talons. Bien au contraire. Elle a déjà repris la course au traitement. « J’essaie un nouveau médicament. Ça s’appelle l’ENHERTU », dit-elle. Une nouvelle molécule, « développée par d’autres patientes, comme elle », note le DRoberge.

  • Mélanie Dufour, avec son mari Patrick Leblanc, garde le moral et a repris la course aux traitements.

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    Mélanie Dufour, avec son mari Patrick Leblanc, garde le moral et a repris la course aux traitements.

  • Mélanie Dufour, avec son mari Patrick Leblanc, garde le moral et a repris la course aux traitements.

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    Mélanie Dufour, avec son mari Patrick Leblanc, garde le moral et a repris la course aux traitements.

  • Quand elle a reçu son diagnostic il y a huit ans, Mélanie Dufour s’est fixé un objectif : amener ses enfants à la majorité.

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    Quand elle a reçu son diagnostic il y a huit ans, Mélanie Dufour s’est fixé un objectif : amener ses enfants à la majorité.

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Mme Dufour venait de recevoir une première dose, le 10 mai. Et réagissait plutôt bien. « J’espère que ça va marcher ! J’espère chaque fois », dit-elle.

Mme Dufour sait que sa situation est fragile. Qu’un jour, son corps pourrait dire qu’il n’en peut plus des traitements. Mais elle refuse de s’en affliger. Pour elle, ses années de vie avec le cancer, « c’est [son] plus beau chemin jusqu’à maintenant ».

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Mélanie Dufour

Ça m’a calmée. Je me donne le droit de ne pas faire d’activité si ça ne me tente pas. De m’étendre. De me reposer. De profiter de ma famille. Je ne changerais rien.

Mélanie Dufour

Quand elle a reçu son diagnostic en 2014, elle s’est fixé un objectif : amener ses enfants à la majorité. « Après, si ça continue, tant mieux », dit-elle. Et si une autre étude clinique se présentait, y participerait-elle ? « Oui. Je veux guérir. Mais je veux aussi faire profiter les autres de ce que je fais. »