Temps d’attente moyen, taux d’occupation, durée moyenne de séjour sur civière : ça va mal dans les urgences, bien plus mal qu’à pareille date l’an dernier, selon les données des autorités en santé. Et le personnel au front est en colère.

À Montréal, la durée moyenne de séjour sur civière était, le 25 juillet, de 19 heures 43 minutes. En Outaouais, on en était à 21 heures 46 minutes, tandis qu’à Québec, il se situait à 14 heures 34 minutes. Le taux d’occupation aux urgences est d’un peu plus de 110 % en moyenne, alors que la cible fixée par le ministère de la Santé et des Services sociaux est de 85 %.

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (la FIQ, qui représente notamment les infirmières) est furieuse que le gouvernement, qu’elle interpellait depuis mai, n’ait annoncé qu’en juillet des mesures pour limiter les pénuries de main-d’œuvre. Et la mesure annoncée – celle des heures supplémentaires à taux double – est loin de séduire.

Pour avoir accès au taux double, il ne faut pas que tu t’absentes pendant les sept jours précédents ni pendant les sept jours après. Tu n’as pas le droit d’être malade, même dans le contexte de la surcharge de travail et de la pénurie de professionnels en soins.

Julie Bouchard, présidente de la FIQ

Les gens sont très fâchés, dit-elle, que des conditions aussi strictes soient imposées « à des professionnels qui se tiennent debout depuis maintenant deux ans ».

Si une infirmière a été obligée de faire des heures supplémentaires obligatoires pendant 16 heures à une ou plusieurs reprises pendant une période donnée, « qu’elle n’a eu que huit heures pour aller manger, dormir et se laver, il se peut bien qu’elle s’absente pendant un quart régulier », illustre Denis Cloutier, président du Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, affilié à la FIQ.

« Le gouvernement a failli à sa responsabilité première, celle de planifier [les niveaux] de main-d’œuvre à l’approche de l’été », renchérit Julie Bouchard.

Des heures supplémentaires vraiment obligatoires ?

Mais à quel point le « temps supplémentaire obligatoire » est-il obligatoire ?

M. Cloutier explique que cette question n’est pas régie par la convention collective, mais relève de considérations déontologiques.

Depuis 2019, l’Ordre des infirmières ne sévit plus contre des infirmières qui refusent de faire des heures supplémentaires obligatoires, « et même les employeurs ne veulent plus aller devant le Tribunal administratif du travail pour cela », explique-t-il.

Mais la pression demeure énorme sur les infirmières, qui se font dire : « Tu ne vas pas laisser tomber tes amis, tes patients… », relate M. Cloutier.

Ce n’est pas pareil partout. À Québec, par exemple, le réseau apparaît en bien moins mauvais état que dans l’Outaouais. À Montréal même, la situation est nettement plus critique dans certains hôpitaux.

Le DRéjean Hébert, gériatre et ancien ministre de la Santé, explique que la modernisation de l’hôpital de l’Enfant-Jésus, à Québec, a fait beaucoup de bien. « Il faudrait faire la même chose en Outaouais, mais il y a un délai entre l’identification d’un problème et une construction [d’hôpital], soit à peu près 10 ans. »

Et il ne faut pas croire non plus, souligne-t-il, que tout va pour le mieux à Québec. L’accès à un médecin de famille est très difficile, fait-il observer. Et à Montréal, il rappelle qu’un des problèmes vient du fait que des gens des banlieues nord et sud préfèrent venir se faire soigner dans la métropole et contribuent ainsi aux engorgements.

Patients plus malades, personnel insuffisant

« Les patients sont plus vieux, plus malades et il y a moins de personnel. On a oublié les ressources humaines que ça prend pour les soigner », résume la Dre Amélie Boisclair, médecin aux soins intensifs à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, à Terrebonne.

Elle ne cache pas sa frustration quand elle entend le gouvernement dire que le réseau de la santé tient le coup.

« Mais à quel prix ? », demande-t-elle.

J’ai souvent l’impression qu’on n’écoute pas les gens sur le terrain. La solution, c’est souvent de donner un chèque. Mais ce n’est souvent pas ce que le personnel demande.

La Dre Amélie Boisclair, médecin aux soins intensifs à l’hôpital Pierre-Le Gardeur

Les hôpitaux de Saint-Jérôme et de Maisonneuve-Rosemont, qui sont tout près de son établissement, sont souvent mal en point. Des appels à ne pas se rendre aux urgences de Maisonneuve-Rosemont sont ponctuellement faits. Et les gens qui y travaillent, ce sont des confrères « que l’on voudrait être capable d’aider », alors que son hôpital, souligne-t-elle, « n’a pas de marge de manœuvre ».

Nathalie Cyr, vice-présidente aux relations de travail dans les Laurentides (FIQ), dit « que les professionnels ne partent jamais du travail la tête tranquille ».

Parce que quand une infirmière doit parfois s’occuper de 36 patients, dit-elle, « la qualité des soins n’est pas la même ».

Christian Merciari, porte-parole du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal (qui inclut Santa Cabrini et Maisonneuve-Rosemont), dit que la situation dans les établissements de son territoire « est la même que celle qui existe partout ailleurs dans le réseau de la santé québécois ».

Les pénuries, les vacances et la septième vague de l’épidémie de COVID-19 créent « un problème conjoncturel qui va perdurer vraisemblablement jusqu’à la fin de la période estivale ».

À noter que vendredi, l’Ordre des infirmières et infirmiers a tenu à souligner, au sujet du temps supplémentaire obligatoire, que « cela relève du domaine de la gestion et des relations de travail ». « L’employeur ne doit pas utiliser le Code de déontologie pour gérer une situation de manque de ressources ni pour exercer de la pression auprès des infirmières […] »

Le refus d’effectuer du temps supplémentaire, « de surcroît obligatoire, ne constitue pas nécessairement un abandon dans la mesure où l’infirmière respecte ses devoirs et obligations déontologiques ». L’infirmière doit prévenir son employeur de sa nécessité de partir et il doit lui trouver une remplaçante.

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  • Entre 98 % et 103 %
    Moyenne du taux d’occupation aux urgences en juillet 2021
    ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec
    Entre 109 % et 117 %
    Moyenne du taux d’occupation aux urgences en juillet 2022
    ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec