Elizabeth Emond, 29 ans, ne veut pas d’enfants. Elle n’en a jamais voulu. Depuis qu’elle est adulte, elle a tenté d’obtenir une ligature des trompes à une trentaine de reprises, ce qu’on lui refuse systématiquement. « Je n’ai pas l’impression qu’on me prend au sérieux. Stériliser une femme, on dirait que c’est quelque chose de tragique. »

L’accès à la ligature des trompes, une opération qui rend la femme stérile de manière permanente, semble parsemé d’obstacles chez les femmes de moins de 30 ans. En réaction à un article de La Presse sur la vasectomie paru lundi, des dizaines d’entre elles ont témoigné sur Facebook.

Enfant, Elizabeth Emond « n’avait pas envie de jouer avec des poupées comme les autres ». Pour elle, c’était déjà un signe. Elle a entamé les démarches très tôt, tout juste âgée de 18 ans. En une dizaine d’années, elle a encaissé environ 30 refus de la part de différents spécialistes médicaux.

Contrairement aux hommes qui demandent une vasectomie, on ne lui a pratiquement jamais permis de passer un test formel pour vérifier s’il s’agissait d’une décision éclairée, raconte-t-elle en entrevue.

« On dirait que [les réponses des médecins], c’est dicté par leurs valeurs personnelles, estime Elizabeth. Le système de santé devrait être basé sur la logique et non les émotions. J’ai l’impression qu’ils ne veulent pas faire ça sur des femmes qui n’ont jamais eu d’enfants. »

Juste dire le mot [ligature], c’est un refus immédiat. C’est vraiment décourageant. Je veux avoir le choix sur mon propre corps.

Elizabeth Emond

« Je ne pense sincèrement pas que je serais apte à élever un autre être humain, explique la jeune femme. Je ne pourrais pas m’épanouir en ayant une famille. J’ai des problèmes d’anxiété, et je suis aussi neurodivergente à la base… Je ne vois pas comment je pourrais être une bonne mère. »

En 2021, 144 des 1398 femmes québécoises ayant subi une ligature des trompes avaient moins de 30 ans. C’est une proportion de 10,3 %.

« Nos raisons peuvent être valides et logiques », ajoute la principale intéressée. « Ce n’est pas parce qu’on est des femmes qu’on va changer d’avis. Je ne vois pas pourquoi on m’oblige à rester fertile. »

Un enjeu persistant

En 2004, Geneviève Miller avait 27 ans. Pendant trois années consécutives, elle a abordé la question de la ligature des trompes avec son médecin de famille.

PHOTO SARKA VANCUROVA, LA PRESSE

Âgée de 45 ans, Geneviève Miller pense qu’il existe une certaine « misogynie » dans le système médical. Selon elle, le corps des femmes est trop contrôlé.

La réponse a toujours été rapide et négative. « On me disait que j’avais un beau col de jeune fille », raconte-t-elle. Découragée, elle a interrompu ses démarches.

« J’étais tannée de le demander et de me faire dire que ça n’avait pas d’allure ou que j’allais sûrement changer d’idée, se rappelle Geneviève. Après trois ans, j’ai eu une grossesse non désirée. Et c’était clair pour moi que je ne voulais pas d’enfant. Ce n’est pas la faute du médecin si je suis tombée enceinte, mais la ligature m’aurait permis d’être constante dans ma contraception. »

Autre élément qui contribue au problème, selon Geneviève Miller : le mot « hystérectomie », une intervention chirurgicale qui consiste à retirer l’utérus de la femme pour traiter différents problèmes de santé, est sémantiquement relié à l’« hystérie », à la folie. Elle pense que cela alimente les préjugés.

« On dirait que cette vieille mentalité est malheureusement encore présente aujourd’hui », se désole-t-elle.

Geneviève, qui a maintenant 45 ans, n’a finalement jamais subi de ligature des trompes. Mais elle est aujourd’hui en ménopause et ne sera donc plus fertile.

Je vais être totalement en accord avec mon corps. Enfin ! C’est ce que j’aurais toujours voulu.

Geneviève Miller

D’autres moyens de contraception

La ligature des trompes est une « intervention majeure sous anesthésie générale », rappelle la Dre Guylaine Asselin, qui est obstétricienne-gynécologue à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont depuis 1993.

« Le risque chirurgical est plus grand que [pour la vasectomie chez] l’homme, explique la Dre Asselin. C’est quand même un soin non essentiel qui peut être remplacé par d’autres méthodes de contraception souvent dénigrées par les patientes. »

« L’implant [contraceptif] a encore un taux d’échec de 0,5 % et le stérilet, de 1 % », ajoute la médecin.

La Dre Asselin comprend que des médecins puissent refuser une ligature aux plus jeunes femmes « parce que le risque de regret est très grand à [leur] âge ».

Mais elle croit que « si le dossier est réglé » dans la tête de la femme qui demande qu’on l’opère, qu’elle a « vraiment fait le tour de la question » et qu’elle a « compris ce que les autres moyens contraceptifs pouvaient apporter comme avantage », cette femme devrait avoir droit à une ligature des trompes.