L’éventualité semble toutefois peu probable, selon des experts.

Est-ce que des États américains pourraient poursuivre des médecins canadiens qui pratiquent des avortements sur des patientes étasuniennes en visite au pays ? Voici une question qui préoccupe l’Association canadienne de protection médicale dans la foulée du renversement de l’arrêt Roe c. Wade aux États-Unis.

Organisme à but non lucratif qui offre à plus de 100 000 médecins des services de défense juridique, l’Association canadienne de protection médicale (ACPM) a publié, la semaine dernière, une lettre dans laquelle elle partage avec le gouvernement fédéral ses craintes de poursuites aux États-Unis.

Cette éventualité semble toutefois peu probable, estiment des experts interviewés par La Presse.

Le renversement de l’arrêt Roe c. Wade par la Cour suprême des États-Unis retire le droit constitutionnel à l’avortement aux Américaines. L’automne dernier, certains États comme le Texas ont même promulgué des lois qui permettent aux citoyens de poursuivre au civil des médecins ayant pratiqué un avortement sur leur territoire.

Caroline Fredrickson, professeure à la faculté de droit de l’Université Georgetown à Washington, ne croit pas que de telles poursuites puissent s’étendre au Canada. La juriste de formation et experte de la Cour suprême américaine cite des raisons juridiques et diplomatiques.

« Ça serait très difficile, parce qu’il y a un tas de choses qui sont permises au Canada qui ne le sont pas aux États-Unis, et vice-versa. »

L’idée qu’une femme américaine aille à Montréal pour avoir un avortement et que le médecin qui l’aurait traitée soit poursuivi par des gendarmes du Texas me semble absurde.

Caroline Fredrickson, professeure à la faculté de droit de l’Université Georgetown à Washington

Mais puisque « les tribunaux américains sont dans la poche de la droite », rien n’est impossible, ajoute Caroline Fredrickson.

« Je suis sûre que le gouvernement canadien ne serait jamais d’accord pour extrader des médecins aux États-Unis », tempère-t-elle.

« Problème de juridiction »

Même son de cloche chez Mugambi Jouet, professeur adjoint à la faculté de droit de l’Université McGill et spécialiste de l’évolution de la société américaine.

« En ce qui concerne le droit pénal, je pense qu’un État américain se heurterait à un problème de juridiction en essayant de poursuivre pénalement un médecin canadien pour avoir pratiqué un avortement au Canada, puisque ce n’est pas un crime ici », précise-t-il.

Selon Caroline Fredrickson, le seul scénario plausible selon lequel un médecin canadien pourrait être poursuivi est s’il voyageait dans un État américain conservateur pour pratiquer un avortement. Encore là, une telle situation, aussi invraisemblable soit-elle, causerait un scandale international, souligne-t-elle.

Quant à la probabilité qu’un État adopte une loi permettant de poursuivre des médecins ayant pratiqué des avortements au Canada sur des Américaines, Mme Fredrickson ne croit pas que la Cour suprême des États-Unis soit prête à déclencher une crise diplomatique avec Ottawa en validant de telles initiatives.

Pas de poursuites inter-États

Jusqu’à présent, aucun médecin américain n’a été poursuivi pour avoir pratiqué un avortement dans un autre État.

Cela n’a pas empêché l’État de New York, qui anticipait le renversement de l’arrêt Roe c. Wade, d’adopter en septembre 2021 des lois visant à renforcer la protection juridique des professionnels de la santé qui s’exposent à des poursuites en provenance d’États conservateurs.

Nous ne coopérerons pas avec les États qui tentent de poursuivre les femmes ou les médecins pour avoir reçu ou fourni des soins en matière de reproduction.

Gavin Newsom, gouverneur de la Californie, le 24 juin dernier sur Twitter

« Avant même de penser à poursuivre un médecin canadien, c’est déjà complexe de poursuivre un médecin dans un autre État », note Andréanne Bissonnette, chercheuse en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.

Le mouvement antiavortement affiche plutôt une volonté de restreindre l’interruption volontaire de grossesse dans les autres États, ajoute la doctorante en science politique à l’Université du Québec à Montréal.

« Oui, les Américaines peuvent venir au Canada pour se faire avorter, mais il y a beaucoup plus de femmes qui se déplacent d’un État à l’autre, parce que c’est plus proche de chez elles et qu’elles n’ont pas besoin de passeport », note-t-elle.

Restrictions de déplacements

À l’heure actuelle, il n’est pas possible pour un État américain d’interdire à ses citoyennes de se rendre dans un autre État pour obtenir un avortement ou une autre procédure médicale.

Néanmoins, le débat quant à l’adoption de lois visant à restreindre les déplacements inter-États pour des avortements a notamment été lancé au Missouri par la représentante républicaine Mary Elizabeth Coleman, à la suite de l’ouverture d’une clinique d’avortement Planned Parenthood en Illinois, tout près de la frontière avec le Missouri.

Or, la promulgation de lois visant à restreindre les déplacements des femmes risque d’échouer au test des tribunaux puisque plusieurs libertés fondamentales, comme la liberté de mouvement, seraient en jeu.

En savoir plus
  • 61 %
    Proportion d’Américains qui croient que l’avortement devrait être légal dans la plupart des cas, sinon tous les cas
    SOURCE : Pew research center (2022)
  • 39 %
    Proportion d’Américains qui se déclarent antiavortement
    55 %
    Proportion d’Américains qui se déclarent pro-choix
    SOURCE : sondage gallup (2022)