Les fortes concentrations d’arsenic et de cadmium dans l’air de Rouyn-Noranda causent bel et bien un surplus de cas de cancer du poumon, mais le mystère plane toujours à propos de l’impact de cette contamination sur d’autres problèmes de santé et sur les conséquences des nombreux autres métaux lourds présents dans l’air de la ville.

C’est ce qui ressort de l’« évaluation du risque cancérigène attribuable aux concentrations d’arsenic et de cadmium dans l’air de la ville de Rouyn-Noranda », rendu public mercredi par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Le document, attendu depuis 2019, conclut qu’il y aurait un taux plus élevé de cas de cancer du poumon à Rouyn-Noranda même si la Fonderie Horne était soumise à la norme québécoise sur les concentrations d’arsenic de 3 nanogrammes par mètre cube d’air (ng/m⁠3), en raison de l’exposition passée.

En vertu de ce scénario, il y aurait entre 6,7 et 288 cas de cancer du poumon supplémentaires par million d’habitants, ce qui est supérieur « à la valeur de risque considérée comme négligeable » au Québec, qui est de 1 cas sur 1 million d’habitants.

Ramené à l’échelle de la population du centre de Rouyn-Noranda, qui est de 23 000 personnes, cela représente de 1 à 7 cas de plus que dans une population non exposée à ces contaminants.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

DLuc Boileau, directeur national de santé publique du Québec

« Ce sont des chiffres qui peuvent paraître petits, mais on dépasse largement les risques acceptables », a déclaré le directeur national de santé publique du Québec, Luc Boileau, présent lors du dévoilement de l’étude.

Le maintien des émissions d’arsenic au niveau actuel, ce n’est pas tolérable considérant les impacts sur la santé.

DLuc Boileau, directeur national de santé publique du Québec

Une telle diminution des émissions réduirait néanmoins le risque cancérigène de 48 % par rapport au maintien des émissions de la fonderie à leur niveau de 2018, soit 165 ng/m⁠3 et serait bénéfique pour les nouvelles générations.

L’INSPQ a aussi étudié d’autres scénarios, comme le maintien des émissions de la fonderie à leur niveau de 2018, ce qui provoquerait de 13 à 554 cas supplémentaires par million d’habitants, donc de 1 à 14 cas dans le centre de Rouyn-Noranda.

Ces calculs, effectués à partir de plus de 10 000 mesures des taux d’arsenic et de cadmium dans l’air de Rouyn-Noranda entre 1991 et 2018, évaluent le risque sur une période de 70 ans, en tenant compte d’une exposition aux contaminants 24 heures par jour, 7 jours sur 7.

Zones d’ombre

L’évaluation de l’INSPQ ne se penche toutefois que sur l’effet combiné de l’arsenic et du cadmium, ce qui laisse de grandes zones d’ombres sur l’impact d’autres métaux lourds dont la présence dans l’air de Rouyn-Noranda a été documentée.

C’est le cas notamment du nickel, « qui est également un cancérigène des voies pulmonaires chez l’humain », indique le rapport de l’INSPQ, qui précise que « les risques estimés ici pourraient théoriquement être sous-estimés si des interactions entre les substances devaient avoir lieu ».

Ces différentes substances peuvent avoir un effet combiné « multiplicatif » plutôt qu’« additif », a expliqué une experte de l’INSPQ lors d’une présentation technique de l’étude à l’intention des médias.

Or, il n’existe pas de données suffisantes sur les concentrations des autres métaux lourds que l’arsenic et le cadmium pour faire des calculs « solides scientifiquement », a-t-elle expliqué.

L’évaluation de l’INSP peut donc « laisser croire que les causes [des cas de cancer du poumon] sont ailleurs que dans les rejets de la Fonderie », a déploré le comité Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda (ARET), ajoutant que les données utilisées « sont incomplètes, car elles ne comprennent pas les particules fines qui n’ont jamais été mesurées ».

L’avis de l’INSPQ est intéressant, mais il ne doit pas être utilisé pour faire accepter l’inacceptable à la population.

Nicole Desgagnés, comité Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda

Autres problèmes de santé

Le cancer du poumon est loin d’être le seul problème de santé lié aux concentrations de métaux lourds dans l’air de Rouyn-Noranda, où l’on répertorie également dans une proportion supérieure à la normale des bébés de petits poids, des retards de croissance intra-utérine et des maladies pulmonaires obstructives chroniques (MPOC), montraient des données publiées en mai par la santé publique.

« Aujourd’hui, nous rendons compte de l’impact du cancer du poumon de deux contaminants, mais on veut le faire sur les autres aspects [de santé] », a déclaré le DBoileau.

Il ne s’agira pas d’évaluation comme celle de l’INSPQ, qui exigerait plusieurs mois de travail, a-t-il précisé, mais plutôt de recueillir l’avis « des meilleurs experts à partir des données actuelles pour caractériser le risque ».

« Plusieurs actions s’imposent, elles seront présentées concrètement dans les prochaines semaines », a déclaré à ses côtés la présidente-directrice générale du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Abitibi-Témiscamingue, Caroline Roy.

Il faudra notamment déterminer quel est le « consensus sur les seuils » de contamination acceptables pour la communauté, a précisé le directeur par intérim de la Direction régionale de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue, le docteur Stéphane Trépanier, indiquant s’attendre à ce que ce soit fait au plus tard en septembre.

D’ici là, le DBoileau affirme qu’il n’y a « pas de données qui justifieraient le fait de fermer l’entreprise ».

En savoir plus
  • 35 %
    réduction du risque cancérigène à Rouyn-Noranda avec une diminution immédiate des concentrations d’arsenic à 20 ng/m⁠3
    source : Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)