(Montréal) Des centaines de délégués d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine qui doivent assister à une importante conférence sur le sida à Montréal le mois prochain sont dans l’incertitude parce qu’Ottawa ne leur a pas délivré de visas, disent les organisateurs, tandis que des dizaines d’autres ont vu leur demande rejetée.

Parmi ceux qui se sont vu refuser des visas ou qui n’ont pas reçu de réponse du gouvernement figurent des chercheurs qui devaient présenter leurs travaux et des délégués qui ont reçu des bourses pour assister à la conférence.

Le Dr Jean-Pierre Routy, professeur de médecine à l’Université McGill et coprésident local de la Conférence internationale sur le sida (AIDS 2022), a déclaré vendredi dans une entrevue que 1200 personnes de pays en développement ont reçu des bourses pour assister à la conférence et qu’au moins 400 d’entre elles attendent toujours pour les visas.

Il a souligné que ce sont ces 1200 personnes qui bénéficient le plus de l’occasion d’échanger avec d’autres participants à la conférence. Si un pourcentage important d’entre elles ne peuvent pas venir, « ce sera une catastrophe pour l’esprit de la conférence, pour l’image du Canada et du gouvernement fédéral », a-t-il dit.

M. Routy a indiqué que la Société internationale sur le sida (IAS) a écrit au gouvernement canadien jeudi dans le but d’accélérer le processus d’approbation des visas, ajoutant que si les délégués ne font pas approuver leurs visas dans les deux prochaines semaines, beaucoup pourraient ne pas être en mesure de réserver des vols et de trouver un logement avant le début de la conférence le 29 juillet.

Ironiquement, a-t-il dit, une grande partie du financement pour amener les boursiers à la conférence provenait du gouvernement fédéral, qui a donné 3 millions à la conférence.

Jonathan Ssemanda, doctorant à l’Université de Makerere en Ouganda, qui doit présenter ses recherches sur l’amélioration de l’adhésion aux médicaments antirétroviraux lors de la conférence, a déclaré qu’il avait demandé un visa il y a plus de deux mois. On lui a dit que le traitement prendrait 30 jours ouvrables, mais il n’a toujours pas reçu de réponse.

M. Ssemanda a souligné qu’il est frustrant de voir des collègues de pays non africains faire approuver leurs visas alors qu’il continue d’attendre.

M. Ssemanda, qui a payé 185 $ pour demander le visa et soumettre ses empreintes digitales et sa photographie, a déclaré qu’il ne comprenait pas pourquoi le gouvernement canadien continuait d’accepter les demandes de visa de pays comme l’Ouganda s’il ne prévoyait pas de les approuver.

La Presse Canadienne a demandé au ministre de l’Immigration Sean Fraser s’il était au courant du problème et ce qui est fait à ce sujet, mais son cabinet n’a pas immédiatement fourni de réponse.

Javier Belocq, un Argentin qui siège à la délégation des communautés au conseil d’administration du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, a déclaré que son groupe avait lancé une enquête cette semaine pour tenter d’avoir une idée du nombre de personnes qui se sont vu refuser des visas pour voyager à Montréal pour la conférence. En deux jours, 60 personnes ont répondu pour dire qu’elles avaient des problèmes, la moitié d’entre elles disant que leurs candidatures avaient été rejetées.

M. Belocq a affirmé qu’il n’était pas sûr d’obtenir lui-même un visa à temps après un processus de demande complexe qui nécessitait l’aide d’un ami à Toronto. « C’était un cauchemar », a-t-il dit.

Son ami a passé 10 heures en ligne à essayer de remplir tous les documents requis, et après que M. Belocq eut pris ses empreintes digitales et une photo le 13 juin dans le cadre de la demande, on lui a dit qu’il faudrait au moins un mois avant qu’un visa puisse être délivré.

M. Belocq a déclaré que dans l’état actuel des choses, de nombreux médecins et scientifiques du Nord participeront en personne à la conférence – dont beaucoup viennent de pays dont les citoyens n’ont pas besoin d’un visa de voyage pour entrer au Canada. Mais des personnes vivant avec le VIH, des militants communautaires et des agents de santé de pays du Sud, où le VIH et le sida sont beaucoup plus répandus, devront participer virtuellement ou faire une croix sur la conférence.

Il a déclaré que la conférence, qui dans le passé a attiré environ 20 000 participants, n’a vraiment de valeur que si les scientifiques et les communautés concernées sont réunis.

« Nous devons mettre les gens au centre », a-t-il dit, ajoutant qu’il était ennuyé que la Société internationale sur le sida n’ait pas mis en place de plan pour s’assurer que les gens puissent y assister.

Iwatutu Joyce Adewole, la déléguée ONG Afrique au Conseil de coordination du programme de l’ONUSIDA, a déclaré que bien que le gouvernement canadien lui ait délivré sans problème un visa pour assister à la conférence, elle est en contact avec 13 autres personnes de pays africains qui attendent toujours l’approbation.

Mme Adewole, dont le travail est axé sur la prévention du VIH, ainsi que sur la santé sexuelle et reproductive chez les jeunes femmes et les adolescentes au Nigéria – une population de plus en plus touchée par le VIH/sida – a aussi fait valoir que les personnes les plus touchées devraient pouvoir assister à la conférence.

Mme Adewole a déclaré que la crise du sida en Afrique est fondée sur l’inégalité, qui a rendu l’accès aux médicaments et à l’information plus difficile que dans les régions plus riches.

« Si les personnes touchées par cette inégalité ne sont pas présentes, alors vous dites qu’elles ne comptent pas et que leur voix n’a pas d’importance et que vous pouvez faire des choses avec ou sans elles », a-t-elle soutenu.

La Presse Canadienne avait initialement rapporté que Iwatutu Joyce Adewole n’avait reçu qu’un visa de six jours. Or son visa est pour une plus longue période.